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« Freinet, l’éducation en liberté » : de l’enfant vers l’adulte

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La scénariste Sophie Tardy-Joubert et le dessinateur Aleksi Cavaillez publient Freinet, l’éducation en liberté aux éditions Delcourt, dans la collection « Encrages ». Ils y narrent le combat de Célestin et Élise Freinet pour une école pensée à hauteur d’enfant, plus ouverte, horizontale et inclusive.

Éducation et liberté. Ces deux termes, liés dans le titre de cet album biographique, prennent tout leur sens dès lors que l’on se penche sur certaines archives de l’INA dédiées à la méthode Freinet. Ainsi, un document remontant à 1980 fait état d’enseignements diversifiés, passant par l’édition d’un journal, la céramique, le dessin, le théâtre, le jardinage, des sorties scolaires et toutes sortes d’ateliers ludiques à visée pédagogique. À l’école Freinet, on se doit de « travailler pour améliorer le climat collectif » dans une quête d’« équilibre et d’harmonie » contribuant à « acquérir et découvrir le sens de l’effort ». Chaque semaine, un président est élu afin de coordonner la classe, d’aider, de conseiller, de distribuer la parole. Une réunion dite de coopérative institue le cadre dans lequel chacun peut verbaliser ses désirs pour le bien de la collectivité. Et au cœur du projet se trouvent évidemment l’écriture et l’exposé des textes des enfants, comme cela transparaît clairement dans la bande dessinée de Sophie Tardy-Joubert et Aleksi Cavaillez.

Au moment où Célestin Freinet embrasse sa carrière d’instituteur, la Première guerre mondiale vient à peine de s’achever. Quand il entreprend de construire sa propre école à Vence quelques années plus tard, les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne, tandis que la guerre d’Espagne et le Front populaire se dessinent à l’horizon. Entre ces deux périodes, le jeune homme a initié une réflexion sur la pédagogie, sur la transmission des apprentissages, sur l’ouverture des classes et la fin d’une certaine rigidité scolaire, trop professorale et de nature à laisser certains élèves sur le bord du chemin. Parce que proche du Parti communiste et un peu trop progressiste sur le plan socioculturel, Célestin Freinet s’attire à la fois les foudres des réactionnaires (le clergé local, la police, l’extrême droite et ses relais médiatiques) et les bonnes grâces de certains intellectuels de gauche (dont Adolphe Ferrière). Il doit toutefois quitter son école de Saint-Paul à la suite d’un mouvement de protestation exacerbé par des manipulations idéologiques.

Célestin et sa femme Élise, peintre, partagent une même vision idyllique : celle d’une école se portant à hauteur d’enfant, laissant libre cours à leur imagination et leur intériorité, capable de leur apprendre à apprendre, dans une démarche où la transmission va d’abord de l’enfant vers l’adulte – et non l’inverse. Ce projet, cette méthode, cette école forment le cœur battant de Freinet, l’éducation en liberté, qui a aussi le mérite d’exposer les obstacles qui se sont dressés sur la route de ces pédagogues alors révolutionnaires. On peut toutefois regretter l’absence de dossier didactique en appendice de l’ouvrage, car il aurait été, à notre sens, salutaire d’exposer l’héritage concret de Célestin Freinet mais aussi les critiques actuelles qui lui sont adressées. En revanche, ce qui apparaît de manière limpide dans l’album, c’est le contexte dans lequel cette réflexion scolaire et pédagogique est menée : dans une école verticale où la mémorisation l’emporte sans combattre sur la discussion, les élèves apparaissent passifs, parfois las, et in fine incapables d’exercer leur esprit critique. Un état de fait qui, selon Freinet et ses partisans, favorise les guerres, l’endoctrinement idéologique et toutes les tares qui pèsent alors sur l’histoire du monde.

Enfin, sur le plan graphique, Aleksi Cavaillez s’adonne à un noir et blanc aux arrière-plans souvent dépouillés. On notera aussi les traits épaissis qui forment le contour des végétaux dessinés et l’alternance, parfois dans une même vignette, entre les traits précis des personnages et les esquisses plus sommaires des décors. L’album, engagé, ne manque en tout cas pas d’attrait et mérite certainement que l’on s’y attarde.

Freinet, l’éducation en liberté, Sophie Tardy-Joubert et Aleksi Cavaillez
Delcourt, août 2022, 160 pages

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