Voici la biographie en BD d’une femme à la personnalité remarquable et qui a beaucoup œuvré en son temps pour différentes causes, alors que sa condition initiale ne l’y prédisposait pas particulièrement. Cet album a le grand mérite de contribuer à faire en sorte que son action ne sombre pas dans l’oubli.
Née en 1891 à Notasulga (Alabama), cinquième enfant d’une famille de huit, Zora Neale Hurston a passé son enfance à Eatonville dont la particularité était de comporter une population exclusivement noire. De ce fait, la jeune Nora n’a pris conscience que tardivement de ce que peut être le racisme. L’année de naissance de sa mère, Lucy Ann Potts, coïncide avec l’important treizième amendement de la constitution des États-Unis, celui qui abolissait l’esclavage. Ainsi, Lucy Ann et son mari Richard, les futurs parents de Zora, ont pu acquérir un terrain pour y construire une ferme et Zora a grandi dans un environnement relativement protégé qui lui a permis de se forger un caractère remarquable. Ainsi, encore bien jeune elle eut une sorte de vision qui lui donna une idée de quelques étapes marquantes de sa vie future et lui fit sentir qu’elle ne devait jamais se laisser manipuler par les autres, car elle avait la capacité de se forger son opinion et de vivre selon ses besoins propres, étant entendu qu’ils ne se limitaient absolument pas à des actions égoïstes pour sa seule satisfaction personnelle, celle-ci consistant plutôt à défendre ce qu’elle considérait comme fondamental. Et elle trouva largement de quoi s’occuper !
Le parcours de Zora Neale Hurston
Dessinateur-scénariste de cette BD, Peter Bagge considère qu’elle avait un réel talent personnel pour l’écriture. Cela doit pouvoir se vérifier, puisque ses œuvres existent sous forme de traductions en français. Peter Bagge évoque un style vraiment personnel, comportant en particulier des expressions issues de son dialecte natal. Zora Neale Hurston a fait des études universitaires tardivement, allant jusqu’à mentir sur son âge pour se faire admettre et devenir la première diplômée noire de son Université. Elle s’est intéressée à l’ethnologie, en particulier pour faire l’inventaire des pratiques, us et coutumes des noirs-américains, afin d’en garder la mémoire. Et puis, elle a vécu une bonne partie de sa vie à New York où elle côtoya beaucoup de monde, entretint successivement un certain nombre de relations sentimentales avec des hommes, refusa au moins un mariage et en accepta un autre, mais n’eut jamais d’enfant et se comporta imperturbablement en femme libre. De son enfance à Eatonville, elle gardait en mémoire de nombreuses anecdotes qu’elle se plaisait à raconter lors des soirées mais beaucoup moins dans ses livres. A vrai dire, son tempérament d’artiste fut régulièrement en concurrence avec celui de la scientifique à la recherche de faits originaux et révélateur de la culture noire-américaine. Ainsi, elle s’intéressa de très près aux pratiques vaudou.
Zora Neale Hurston dessinée par Peter Bagge
Quant à la présente BD, elle s’avère agréable à lire malgré un aspect assez bavard. Son principal inconvénient est finalement de se présenter sous la forme de courts épisodes (2-3 planches) relatifs aux moments de la vie de Zora retenus par le dessinateur. Cela tient donc plutôt de l’enchainement d’anecdotes que de l’histoire de sa vie en continu. L’autre caractéristique de cette BD tient au style du dessinateur, qui aime mettre en scène ses personnages façon films d’animation à la Tex Avery. Il s’agit probablement d’une manière de rendre attractif ce qu’il présente et on peut dire que, d’une certaine manière, oui cela fonctionne. La justification pourrait en être le caractère extravagant de Zora Neale Hurston. Ainsi, Peter Bagge explique en postface, qu’elle suivait attentivement les évolutions de la mode et changeait donc très souvent de tenue, ce qu’il a presque complètement gommé dans cet album, pour qu’on identifie bien le personnage. En effet, ici elle porte presque systématiquement une robe jaune, couleur que le dessinateur affectionne semble-t-il. Il est vrai que le jaune fait bien ressortir le noir de la couleur de peau de Zora qui arpentait le Sud toute de blanc vêtue. Par contre, faire de Zora un personnage qui prend régulièrement des poses et attitudes grotesques (jusqu’au visage) donne une impression bizarre. On en a une idée avec l’illustration de couverture, où Zora tient un pistolet en main (elle en possédait effectivement un et l’avait régulièrement sur elle, ce qui a contribué à créer son « personnage »). Elle pose dans une attitude assez décontractée, robe blanche pour une fois, le jaune se trouvant sur la carrosserie de la voiture sur laquelle elle pose un pied. Son bras gauche se trouve plié, la main tenant sa ceinture. Quant au bras doit, on n’y fait pas attention au premier coup d’œil, mais il est dans une position impossible, en formant un arc de cercle, comme s’il était d’un seul tenant, sans coude. Voilà un exemple « gentil » des libertés que le dessinateur s’accorde pour exagérer les mouvements de ses personnages.
Pour en savoir plus
La BD donne donc un intéressant aperçu du personnage, des relations qu’elle a pu nouer et entretenir au cours de sa vie et des sujets qui lui tenaient plus particulièrement à cœur. Mais, tout compte fait, c’est le dossier qui figure en supplément à la fin qui s’avère le plus intéressant. Le dessinateur y explique comment il a pris connaissance du personnage Zora et tout ce qu’il a appris sur elle. En 35 pages fournies et agrémentées de quelques photos, on en apprend encore beaucoup plus et on comprend mieux comment le dessinateur a travaillé pour composer sa BD. Ne pouvant tout montrer, il a choisi ce qui lui semblait le plus représentatif ou ce qui l’inspirait plus particulièrement pour raconter Zora à sa façon. Cela fonctionne et donne surtout envie d’en savoir plus. En effet, le dossier de fin d’album est beaucoup plus fourni que les 72 pages de la BD qui s’avère finalement assez décousue. La vie de Zora Neale Hurston étant si remplie, si riche en centres d‘intérêts et en rencontres diverses et donc en anecdotes révélatrices, que le dessinateur en est réduit à enchainer les épisodeses qu’il considère comme les plus dignes de passer à la postérité. L’ensemble est agréable et certes original, mais laisse un goût d’inachevé. En plus, on peut malheureusement passer à côté du dossier bonus, car la BD étant déjà relativement bavarde et comportant une introduction (4 pages), on peut hésiter à y consacrer encore du temps. Ayant parcouru l’essentiel du dossier, je considère qu’il est finalement la plus intéressante partie de l’album pour se faire une idée correcte du personnage Zora Neale Hurston, d’autant que l’image qu’en donne Peter Bagge est déformée par son style. A noter que pour son titre, le dessinateur reprend celui que Zora Neale Hurston a choisi avec ses amis pour la revue littéraire qu’ils ont montée à l’époque, alors que Zora était régulièrement à court d’argent !
Fire !!, Peter Bagge (traduit de l’américain par Marie Brazilier)
Nada éditions : sorti le 10 octobre 2019 (France)