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« Falkland » : une guerre de diversion

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Les Grandes Batailles navales » des éditions Glénat s’enrichit d’un nouveau titre portant sur l’archipel des Falkland. Britanniques et Argentins s’y sont affrontés durant plus de deux mois, pour des motifs controversés.

Rien ne laissait présumer que les Malouines, une terre aride et inhospitalière de quelques kilomètres carrés, allaient devenir le théâtre d’un conflit majeur de la fin du XXe siècle. C’est pourtant là-bas, très loin du continent européen, que les Britanniques, alors quatrième puissance militaire mondiale, vont mobiliser une imposante armada armée pour faire face aux prétentions territoriales argentines. En 1981, un proche de Videla s’empare du pouvoir en Argentine : le général Leopoldo Galtieri rappelle au monde que ce grand pays d’Amérique latine ne cesse depuis son indépendance de se mouvoir entre une démocratie de façade et une dictature de nature.

Comme l’expriment parfaitement Jean-Yves Delitte et Marco Bianchini, l’incompréhension et le désarroi sont de mise dans les rangs militaires, quel que soit le camp scruté. « Je pensais qu’ils étaient nos alliés et qu’ils partageaient nos idées… On m’a toujours dit qu’ils avaient mené une lutte sans merci contre tout ce qui ressemble à du communiste… », pense-t-on dans l’armée britannique. « Si nos généraux ont décidé d’envahir cette terre, c’est pour détourner l’attention du peuple », se dit-on parmi les soldats argentins. Et de fait, les Malouines répondent à un besoin criant de trouver une cause nationale permettant de reléguer au second plan les nombreux motifs de mécontentement populaire. « Notre beau pays est gangrené par une multitude de problèmes économiques », rappelle ainsi Agustin, un militaire incrédule.

C’est l’une des forces de Falkland que d’énoncer l’état d’esprit qui prévaut alors. Alternant points de vue britannique et argentin, l’album met en scène des hommes ordinaires rattrapés par une guerre en tout point absurde. L’un préférerait fêter l’anniversaire de sa femme au pays plutôt que de participer à ce simulacre belliciste coûteux en vies humaines, l’autre rechigne à courber l’échine devant des conseillers nazis accueillis à bras ouverts par ses dirigeants après la Seconde guerre mondiale. Certains demeurent sensibles à la propagande ou justifient leurs actes par des griefs annexes, d’autres appréhendent mieux les tenants et aboutissants de cette « ridicule aventure » motivée par la « stupide incompétence » de quelques politiciens manipulateurs (lesquels n’hésitent pas, par exemple, à recourir au napalm).

Marco Bianchini restitue très bien l’horreur des théâtres de guerre. Il suffit ainsi de se pencher sur la page 41 pour en saisir tout l’effroi : camions en ruines, cadavres jonchant le sol, matériel laissé à l’abandon… Si les justifications apportées à la guerre sont lacunaires et fallacieuses, la désolation qu’elle provoque n’en demeure pas moins bien réelle. Dans un dossier explicatif glissé en fin d’album, les auteurs rappellent ainsi comment des provocations maritimes ont pu déboucher sur une crise diplomatique et une invasion militaire. Le contexte y est exposé avec pédagogie, cela allant des escadrons de la mort et des prisonniers politiques argentins à la puissance de la Grande-Bretagne sous Margaret Thatcher.

Falkland, Jean-Yves Delitte et Marco Bianchini
Glénat, juillet 2022, 56 pages

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