Dernièrement paru chez Delcourt, dans la collection Tonkam, le tome 3 de la série Evol voit Atsushi Kaneko propulser ses lecteurs au cœur de la ville de Hiiragi, au bord de l’implosion. Derrière les séquences d’actions et les dialogues ciselés, l’auteur aborde des thèmes plus profonds qu’il n’y paraît, qui transcendent le cadre narratif posé.
Hiiragi est menacée par une pluie de produits corrosifs, résultant de l’incendie de ses silos. La ville est en alerte rouge. Dans cette ambiance apocalyptique, les pompiers semblent dépassés, tandis que Lightning Volt et Thunder Girl affrontent le groupe Evol, composé d’Akari, Nozomi et Sakura.
Ces jeunes protagonistes sont dépeints par l’auteur, dès le premier tome, comme des êtres brisés par la vie, trahis par une société qui les a marginalisés à cause de leurs origines, de leur personnalité ou de leur santé mentale. Leurs actions, désespérées, reflètent un vécu traumatique et une volonté de révolte. Protagoniste-phare de ce tome, Sakura, anciennement adulée par ses camarades, a connu l’opprobre à cause des actions hostiles de son pays d’origine envers le Japon. Cela a provoqué sa mise au ban du collège, le retrait de ses récompenses individuelles, une brusque dégradation sociale, mais aussi la ruine de sa famille, puisque le magasin de son père a été vidé de ses clients du jour au lendemain. C’est un exemple frappant de la manière dont l’identité individuelle peut être écrasée sous le poids des stéréotypes collectifs. Et Atsushi Kaneko met en vignettes une Sakura désireuse de sauver la face, de ne laisser transparaître aucun affect, aucun signe de faiblesse.
Les super-héros ne sont pas en reste. Aux ordres d’individus vils et corrompus, répondant à des rôles subvertis, ils annoncent sans fard, à l’image de Lightning Volt : « Le peuple doit être impuissant pour continuer à avoir besoin de héros ! » N’en jetez plus : le protecteur capé n’est autre qu’un mégalo jaloux de ses privilèges et soucieux de maintenir le monopole sur son pouvoir. Le détournement des codes opérés par le manga rappelle évidemment The Boys, de Garth Ennis et Darick Robertson.
Parallèlement, le nouveau commissaire, fraîchement nommé, lève le voile sur un réseau d’iniquités à la mairie – abus de confiance, détournement de fonds et collusions criminelles –, soulignant que la corruption n’est pas l’apanage des bas-fonds mais sévit également au sommet de la pyramide sociale, au cœur même des Institutions. C’est dans ce contexte que le groupe Evol, de plus en plus populaire, subit la répression d’une police débordée par tous ses imitateurs et nouveaux sympathisants. Il y a un peu de V pour Vendetta et beaucoup du Joker de Todd Phillips dans ce tableau d’un chaos généralisé, où les lignes entre le bien et le mal sont continuellement redessinées par les contextes sociaux et personnels.
Haletant, le manga s’écarte des représentations traditionnelles des super-héros et pose des questions dérangeantes sur l’héroïsme, l’identité et la moralité. Atsushi Kaneko mêle à la critique sociale, la psychologie humaine et les dynamiques de pouvoir, qui se conjuguent à des actions effrénées.
Evol (T.03), Atsushi Kaneko
Delcourt/Tonkam, août 2023, 240 pages