La collection « Grand Angle » des éditions Bamboo accueille le premier album de Ceux qui n’existaient plus, intitulé « Projet Anastasis ». Philippe Pelaez et Olivier Mangin y multiplient les références cinématographiques dans un récit à l’ambiance proche de X-Files.
La série de Chris Carter X-Files avait l’habitude de dissimuler de vastes complots derrière la pellicule fine des apparences. L’étrangeté et le mystère en nappaient chaque épisode ; nul ne pouvait douter que le cartésianisme de Dana Scully ne suffisait pas à tout expliquer. À certains égards, Ceux qui n’existaient plus reproduit les codes du show diffusé sur la Fox entre 1993 et 2002. Les deux œuvres ont en effet en commun un climat de paranoïa doublé d’une machination gouvernementale.
Au début de « Projet Anastasis », le lecteur découvre un groupe de volontaires prêts à se soumettre à des expériences neurobiologiques. Tous auraient été affectés par des traumatismes divers : certains ont échappé à des attentats, d’autres ont vu leurs proches disparaître. Dans un centre médicalisé à la pointe de la technologie et de l’imagerie médicale (IRM fonctionnelle, PET-scan…), ils se voient coupés du monde, privés de moyens de communication et totalement déconnectés. Le Professeur Vetrov et ses collaborateurs l’assurent : tout est mis en place de manière à ce que les résultats soient les plus rapides et probants possibles.
Philippe Pelaez et Olivier Mangin charpentent tôt une ambiance anxiogène, tapissée de non-dits. Dotée d’un quotient intellectuel extraordinaire, Natacha, à qui l’on a diagnostiqué une forme précoce de la maladie d’Alzheimer, se doute que quelque chose cloche. Elle assiste à une scène étrange en pleine nuit, observant par la fenêtre de sa chambre des officiels s’affairer. Elle prend ensuite conscience d’être le cobaye d’une expérience inavouable, sous une fausse identité, laquelle masque en réalité les méfaits dont elle se serait rendue coupable par le passé.
Partant, les révélations vont se succéder les unes aux autres, dans un récit échevelé faisant la part belle aux références cinématographiques. Ces dernières sont d’autant plus claires qu’elles servent à titrer les différents chapitres : Fenêtre sur cour, La Vie est belle, Vol au-dessus d’un nid de coucou ou Orange mécanique voisinent avec Eisenstein ou Dziga Vertov, quand il ne s’agit pas de paraphraser Jurassic Park ou de se gorger d’expériences sulfureuses qu’on aurait pu voir dans Soleil vert ou The Island. La science sans conscience, chapeautée par un gouvernement cherchant à lutter contre la criminalité et la récidive par tous les moyens (même les plus abjects), donne sa chair narrative à l’album.
Philippe Pelaez et Olivier Mangin y ajoutent toutefois une composante à taille humaine, dans la relation ambiguë qu’entretiennent Natacha et le Professeur Vetrov. S’opposant vigoureusement au FSB, protégeant sans l’avouer sa cobaye, le scientifique répond en fait à des affects hérités d’un passé commun, que les auteurs maintiennent longtemps secret. Trois dimensions cohabitent alors, sans se parasiter, dans « Projet Anastasis » : la politique, l’humaine et la dystopique, cette dernière prenant par exemple la forme de projections mentales fixées sur une image. S’il se suffit à lui-même, ce premier tome vaut certainement la peine d’en creuser les enjeux. À suivre…
Ceux qui n’existaient plus : Projet Anastasis, Philippe Pelaez et Olivier Mangin
Bamboo/Grand Angle, mars 2023, 72 pages