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« Batman Detective Infinite » : les cauchemars de Gotham

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

« Visions de violence » paraît aux éditions Urban Comics. Mariko Tamaki et Dan Mora y mettent aux prises un Batman diminué et un individu porteur d’un parasite poussant ceux qui en sont atteints à des accès de rage incontrôlés.

Premier tome d’une nouvelle série intitulée Batman Detective Infinite, « Visions de violence » a quelque chose de profondément pessimiste. Bruce Wayne n’est plus que l’ombre de lui-même : diminué de ses moyens financiers, accaparés par un Joker en fuite, délogé de son fameux manoir, contraint de se déplacer via des tunnels souterrains, il apparaît las et négligé, pendant qu’à Gotham, « de nouvelles bandes se démènent pour atteindre le sommet de la chaîne alimentaire criminelle ». L’heure est d’autant moins à la fête que le nouveau maire Nakano voit d’un œil suspicieux les super-héros, sentiment accentué par la présence inopportune de Batman à côté du corps sans vie de Sarah Worth, la fille d’un riche industriel retrouvée assassinée. Huntress va à peine mieux que son acolyte encapé. Elle se lie d’amitié avec Mary, une victime de violences conjugales sujette aux crises d’angoisse. Elle doit cependant rapidement déplorer sa disparition, regrettant alors aussitôt d’avoir été « une mauvaise amie ». La ville apparaît quant à elle plus que jamais scindée en deux, entre une aristocratie évoluant en vase clos et des quartiers populaires confrontés aux crimes les plus abjects. Pis, Gotham apparaît comme « une ville où une partie intégrante de la vie politique est de faire acte de présence aux galas et aux enterrements », pendant que la pègre et les émules du Joker se disputent la palme de l’infamie.

Partant, la mission menée par Batman se voit doublement compromise : pour élucider le meurtre de Sarah (et des autres victimes), il va devoir composer avec des forces de l’ordre lancées à ses trousses, mais également à la recherche de… Bruce Wayne. Pour ne rien arranger, l’imposant Roland Worth, « un homme qui demande des services et exige des résultats », et qui a la particularité d’avoir construit la moitié de Gotham City, est convaincu que le Chevalier noir et son double, le milliardaire déchu, ont partie liée dans l’assassinat de sa fille Sarah. « Visions de violence » s’inscrit dans ce nouvel univers Infinite au sein duquel Batman apparaît vulnérable et entravé. Il place Bruce Wayne en quidam devant supporter les conventions sociales et les indiscrétions de ses voisins. Il lui oppose pourtant une menace particulièrement hostile : un étrange parasite se répandant à la manière du vampirisme, dont le porteur alpha se voit affublé de caractéristiques ostéo-buccales inspirées du Predator de John McTiernan. Ce n’est d’ailleurs pas le seul clin d’œil adressé au septième art, puisque La Cible de Peter Bogdanovich se voit explicitement cité à l’occasion d’une séquence dans un drive-in où une nouvelle forme de monstruosité supplante celle diffusée sur les écrans. « Gotham a toujours été un refuge pour les créatures en quête de cauchemar et de chaos », confirme-t-on aussitôt. Et de fait, le mal a de quoi s’épanouir dans cet environnement vicié.

Mariko Tamaki, Dan Mora et leurs acolytes convoquent aussi Dame d’argile et surtout Le Pingouin dans ce premier épisode, bien ficelé, de Batman Detective Infinite. Tandis que Roland Worth apparaît en industriel puissant s’échinant à phagocyter les institutions de la ville, Le Pingouin semble blessé dans son orgueil, vexé d’être relayé parmi les reliques de Gotham, tout juste bon à éveiller l’intérêt poli des Batgirls, pendant que Batman s’occupe de morceaux plus engageants que lui. Mais il ne faut jamais sous-estimer Cobblepot : il se sert de la douleur et de la haine de Worth, se débarrasse sans sommation d’un journaliste irrévérencieux et se replace discrètement en haut de l’affiche. Après tout, les Pingouins ont bien survécu aux dinosaures… Dans un Gotham en mutation, certaines choses demeurent immuables : la perversion des institutions – Bruce est laissé seul dans la cellule d’un commissariat visé par une roquette – et la stature sanctuarisée des ennemis historiques de Batman – capitalisant souvent sur leur désinhibition et leur machiavélisme.

Batman Detective Infinite : « Visions de violence », Mariko Tamaki et Dan Mora
Urban Comics, mars 2022, 288 pages

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