Cet album est une nouvelle version de celui paru en noir et blanc (2017), chez Warum. Cette édition se justifie par la colorisation de Meriem Wakrim, à la grande satisfaction de Simon Lamouret, le dessinateur. Celui-ci profite de l’occasion pour proposer une deuxième version de l’illustration de couverture.
D’après la lecture de l’album, il apparaît que Simon Lamouret a séjourné en Inde et plus particulièrement à Bangalore. Qu’y faisait-il ? Ce n’est pas précisé. De même qu’il n’est pas indiqué combien de temps il a pu y séjourner. Suffisamment longtemps pour s’imprégner de l’ambiance de la ville et pour faire la distinction avec d’autres villes plus typiques ou importantes en taille, comme New Dehli ou Calcutta. Ce qui ne l’empêche pas de mettre en scène suffisamment de petits épisodes pour qu’on apprécie les mentalités et comportements dans une ville d’importance où les activités sont multiples.
Des choix remarquables
Simon Lamouret fait un choix assez étonnant qui fonctionne parfaitement. Après chaque épisode (une, deux ou trois planches, selon la position dans l’album), présenté de façon classique (quatre bandes et de une à quatre cases par bande selon les épisodes), il enchaîne avec un grand dessin occupant une double planche (album ouvert). En fait, après avoir mis l’accent sur une situation incluant les faits et gestes de quelques personnes, il propose une vue plus générale qui permet de se faire une idée du quartier. Cela apporte un charme indéniable à l’album, dont l’ambition est de donner à respirer l’ambiance de la ville. Jusqu’à quel point y parvient-il ? Pour le savoir, il faudrait avoir mis les pieds là-bas. Ceci dit, le résultat est parfaitement crédible et fait vraiment plaisir à voir. En effet, Simon Lamouret a fait ici un choix aussi simple et original qu’efficace. Avec ses petites scènes en quelques planches, il nous permet d’observer le comportement et l’état d’esprit de quelques personnages, ce qui lui permet de se mettre lui-même en scène, dans des situations qu’il se souvient avoir observées. Avec ses vues d’ensemble, il élargit le point de vue pour montrer Bangalore telle qu’il l’a vue. Ces doubles planches font ainsi la part belle à l’architecture et à l’organisation de la ville. Et puis ce choix d’ajouter de la couleur donne l’impression que Simon Lamouret se rapproche autant que possible de la vérité, donc de la vie.
Un ton particulier
Les petits épisodes en trois planches maximum font la part belle à la fantaisie de l’auteur, à son inspiration, son sens de l’observation. Certaines des saynètes qu’il présente sont muettes et nombreuses sont celles qui font preuve d’un véritable sens de l’humour, qui tient aussi bien de l’état d’esprit des personnages qu’il observe que de sa façon de les présenter. Simon Lamouret réussit à capter des détails qui me semblent révélateurs. À ce titre, je retiens les situations récurrentes avec le dénommé Soussou qui tient une petite échoppe dans une cahute. Quand il vient ouvrir, il constate régulièrement que des personnes indélicates sont venues faire leurs besoins contre une des parois. Le dessinateur se passe de dialogues pour faire sentir l’indignation et l’exaspération de Soussou, ses nettoyages successifs et ses tentatives infructueuses pour dissuader les indélicats, mais aussi ses contorsions pour entrer dans la cahute. En quelques planches, l’auteur fait passer sa tendresse pour le personnage, ses conditions de travail et la mentalité générale des passants qui trouvent naturel d’uriner en pleine rue, du moment qu’ils ont trouvé un coin relativement tranquille. Sur la double planche qui suit, le dessinateur change d’angle de vue et tout cela prend encore davantage de sens.
Un auteur, un éditeur
L’album est de taille relativement grande, ce qui met particulièrement bien en valeur les dessins en doubles planches. Le travail éditorial va jusqu’à un papier relativement épais et de belle qualité, tout à fait en rapport avec la reliure toilée. Vraiment un bel objet qui justifie parfaitement cette nouvelle version de l’album. Le style de Simon Lamouret (et son goût pour les détails) ressort magnifiquement. En noir et blanc, ses dessins fouillés peuvent déconcerter un peu, alors qu’avec l’ajout des couleurs, chaque détail ressort et l’effet de surcharge disparaît. Cela confirme mes impressions lors de la découverte de l’œuvre de Simon Lamouret dans une exposition en médiathèque. On y trouvait un certain nombre de ses planches originales de l’album L’Alcazar (2020) également situé en Inde. Le noir et blanc convenait bien et mettait en valeur un style déjà très plaisant et fouillé, parce que la taille assez grande de ces originaux convenait bien.
Le petit plus
Le dessinateur conclut son album par un dossier de quelques pages, en forme de lexique où il revient sur chacun des épisodes. Il en profite pour donner quelques explications sur ses choix et il précise certains détails qui permettent de mieux comprendre les situations qu’il a mises en scène. Vraiment du beau travail.