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« Amour cru » : obsessions

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les scénaristes El Diablo et Gyl-N s’associent au dessinateur Grégory Mardon à l’occasion d’Amour cru, un one-shot érotique dédié aux expériences sexuelles alternatives.

La situation de départ d’Amour cru est relativement anodine : Mélina et Charlie sont deux amies au tempérament opposé, la première s’épanouissant en se montrant frivole, la seconde apparaissant plus introvertie et conservatrice en amour. « J’ai pas forcément besoin de me taper trois mecs par semaine », résume d’ailleurs cette dernière à l’attention de son amie, qui s’envoie en l’air dans les toilettes d’une discothèque dès la cinquième planche de l’album. C’est l’une des dimensions principales du récit : les deux femmes s’apprécient, mais ne se comprennent pas forcément, à tel point que la relation naissante entre Charlie et Alan, un galeriste, suscite le désarroi de Mélina. Son amie a beau lui répéter que « c’est un mec très classe, avec beaucoup de goût » et qu’elle n’« arrive pas à lui voir un défaut », elle demeure suspicieuse. « C’est moi ou le mec est froid comme un glaçon ? », se demande-t-elle à l’issue de leur première rencontre.

Amour cru va cependant rapidement déborder le cadre de l’incommunicabilité. Certes, les deux femmes s’éloignent, mais c’est surtout au moment où Mélina va découvrir les jeux sexuels anthropophages de Charlie et Alan qu’on atteint le point de bascule. Comment doit-elle réagir ? Faut-il qu’elle avertisse la police ? À quel point son amie est-elle devenue déviante ? Retournement complet des rôles : la femme aux mœurs légères, qui se donne à des inconnus et se livre au sexe par écrans interposés, joue les vierges effarouchées devant les pratiques alternatives de son amie, jusque-là considérée comme une rabat-joie incapable de jouir de l’instant présent. Grégory Mardon explore sans détour cet état de fait, puisque des dessins érotiques émaillent la lecture de l’album et entrecoupent les réflexions des deux personnages principaux.

Le problème d’Amour cru, c’est que cette audace formelle est rapidement condamnée à circuler en circuit fermé. « C’est devenu comme une drogue. Plus elle me bouffe, plus je jouis », assène Alan à Mélina, elle-même de plus en plus intriguée quant à l’anthropophagie (et on peut s’interroger sur la crédibilité de cette énorme ficelle scénaristique). Au-delà de ce petit jeu triangulaire et des déviances qu’il supporte, force est de constater qu’El Diablo et Gyl-N ne proposent pas grand-chose à leurs lecteurs. Certes, après la septicémie de son amant, Charlie est accusée de tentative d’homicide et de mise en danger de la vie d’autrui, puis soignée dans un hôpital psychiatrique. On peut donc arguer qu’on questionne la pathologisation de certaines orientations sexuelles – ce qui a bien entendu une résonance particulière dans l’histoire de l’humanité. Mais c’est bien peu au regard des 120 pages qui composent Amour cru et ce, d’autant plus que les dessins laissent eux aussi plutôt de marbre.

Amour cru, El Diablo, Gyl-N et Grégory Mardon
Glénat, février 2022, 120 pages

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