Publiée aux éditions Delcourt, l’intégrale de 11 septembre se base sur une histoire contre-factuelle nourrie par les soupçons de l’agent du FBI John Patrick O’Neill, surnommé le Prince des Ténèbres. Ce dernier a tôt vu dans le groupe terroriste al-Qaïda une menace pour la sécurité intérieure américaine. Mais ses cris d’alarme sont restés lettre morte…
Son histoire est tellement improbable qu’elle en devient glaçante. En qualité d’agent du FBI, John Patrick O’Neill a alerté ses supérieurs sur la menace que constituait à ses yeux, pour les États-Unis, le groupe al-Qaïda. Il ne fut toutefois pas entendu et finit sa carrière en qualité de chef de la sécurité du World Trade Center, un poste qu’il commença à occuper quinze jours à peine avant les attentats du 11 septembre, au cours desquels il perdit la vie. Funeste destin que celui de l’homme qui soupçonnait Ben Laden de vouloir détourner des avions (le projet Bojinka) et qui ne résiste désormais à l’oubli qu’à la faveur des hommages qu’on lui rend ponctuellement – dont celui de Fred Duval, Jean-Pierre Pécau, Fred Blanchard et Igor Kordey. John Patrick O’Neill n’est toutefois pas le seul point d’ancrage de cette bande dessinée, puisqu’Ali Mohamed, agent double égyptien, sergent de l’armée américaine, formateur de terroristes et concepteur des attentats de Nairobi et du 11 septembre (oui, tout cela à la fois) y occupe également une place de choix.
Dans ce récit contre-factuel, John Kerry et Barack Obama ont pris la place de George W. Bush et Dick Cheney après le premier mandat du président républicain. John Patrick O’Neill et ses collègues, mais aussi l’ancien membre de la CIA Robert Baer, s’intéressent de près aux activités d’Oussama Ben Laden et de ses hommes. Les attentats du World Trade Center en 1993 ou visant Hosni Moubarak en 1995 ou Clinton à Manille sont, parmi beaucoup d’autres, évoqués dans l’album. C’est l’un des éléments qui caractérise le mieux 11 septembre : par une entreprise de fiction très documentée, les auteurs restituent avec soin ce qui fait l’étoffe d’un groupe terroriste dont les agissements ont été longtemps méjugés. Les liens entre OBL et les Américains – d’abord le soutien, ensuite la haine – mais aussi les Saoudiens – il a construit partout dans le royaume – ou les Soudanais, figurent en bonne place dans l’album, tout comme l’influence d’Aramco ou le conflit israélo-palestinien. Et certaines lignes de dialogues ne laissent planer aucun doute sur ce qu’était la politique américaine au cours des années Bush. « Le pétrole et les Bush, c’est une vieille histoire, c’est même l’origine de leur fortune. Alors ils ne vont pas cracher dans la soupe, même si elle est amère. » Ou sur la prétendue volonté de coopération entre les agences états-uniennes : « Il paraît, oui, et il paraît aussi qu’un type habillé en rouge va descendre dans ma cheminée le 25 décembre ! »
D’une traque obstinée et difficile, celle d’un groupe terroriste longtemps resté sous les radars américains, Fred Duval, Jean-Pierre Pécau, Fred Blanchard et Igor Kordey tirent un récit haletant, étayé et édifiant quant à la situation géopolitique des années 1990-2000. S’il est parfois difficile de faire le tri entre la part romancée et factuelle de 11 septembre, il n’en demeure pas moins que le lecteur trouvera dans cet album autant de sujets de réflexion que de fausses pistes, autant de personnages réels mais méconnus que d’intrigues imaginées de toutes pièces. Avec à la clef, notamment, une nouvelle mouture des printemps arabes.
Jour J : 11 septembre, Fred Duval, Jean-Pierre Pécau, Fred Blanchard et Igor Kordey
Delcourt, juin 2021, 200 pages