le-signal-maxime-chattam-critique-roman
Albin Michel

Le Signal : Maxime Chattam sur les terres de King et Lovecraft

Avec Le Signal, son 25ème roman, paru en 2018, Maxime Chattam rend hommage à ses influences majeures tout en explorant l’épouvante.

L’oeuvre de Maxime Chattam se divise en deux influences majeures.
D’un côté, il écrit des romans de fantasy pour adolescents, essentiellement avec son cycle Autremonde, mais aussi avec un de ses premiers ouvrages, Le cinquième règne.
D’un autre côté, des thrillers horrifiques inspirés, en partie, de ses études en criminologie, dans lesquels on poursuit des tueurs en série (ou, parfois, on plonge dans leur tête).
Le Signal se situe un peu en marge de ces deux domaines.

Maxime Chattam et Stephen King

En exergue de son roman, Maxime Chattam a placé deux longues citations. L’une est un extrait de L’Appel de Cthulhu, de Lovecraft (nous y reviendrons plus loin).
L’autre citation est tirée du Corps, la longue nouvelle de Stephen King qui avait donné le film Stand by me.
Que Chattam soit un admirateur du grand romancier américain n’est pas une surprise. Mais Le Signal est, sans conteste, le plus « stephen-kingien » des romans du Français.

Il y a avant tout le dispositif mis en place par Maxime Chattam. Le Signal se déroule presque exclusivement dans une petite ville de Nouvelle Angleterre, Mahingan Falls. Une petite bourgade littorale enfermée sur elle-même, d’abord par sa position géographique. La commune est lovée dans une cuvette, entourée de montagnes sur trois côtés et de l’océan sur la quatrième face.
Mais, au fil du roman, on se rend compte aussi que cet enfermement est dans les têtes des personnages, comme celle du chef de la police, Lee J. Warden, qui refuse de parler de meurtres pour ne pas avoir à faire appel au District Attorney de la ville voisine.

Cette mise en place rappelle fortement celle de plusieurs romans de Stephen King, qui se plaît à montrer des communautés enfermées sur elles-mêmes, comme dans Bazaar ou Dôme. Comme le romancier américain, Chattam étudie ici (même si c’est en mode mineur) les interactions souvent conflictuelles qui se font au sein de la ville : le policier Ethan Cobb contre son chef Warden, la jeune femme Gemma Duff et le lycéen qui joue les gros durs pour imposer sa conception violente du monde. Cela contribuera à faire monter la tension et à donner une impression de danger permanent.

Au fil du roman, on peut trouver toute une série d’autres références sous forme de clins d’œil, à Stephen King : Mahingan Falls se situe juste à côté de Salem, et on fait mention même à Derry, la ville où se déroule l’action de Ça. D’ailleurs, au détour d’une phrase, le narrateur nous parle également de la peur d’un clown monstrueux et tueur d’enfants. Au-delà, l’importance des adolescents qui tentent de combattre des tueurs surnaturels ne peut que rappeler ce fameux roman, surtout dans une scène importante qui se déroule dans les égouts de la ville.

Maxime Chattam et le monde de l’horreur

Au-delà de Stephen King, Le Signal fourmille d’autres références au monde de l’horreur.

L’autre grand nom convoqué ici est celui d’Howard Philips Lovecraft. On retrouve dans ce roman les villes de Dunwich et surtout Arkham, dont on visite l’asile psychiatrique. Mais surtout il y a l’idée d’une brèche entre les mondes qui permettrait de déverser dans notre univers des êtres monstrueux du fond des temps.

Il est aussi possible de trouver des clins d’œil à d’autres classiques du monde de l’horreur : derrière le personnage de Bob McFarlane, nous pouvons deviner l’hommage à Todd McFarlane, le créateur de Spawn, et le nom de Logan Dean Morgan fait inévitablement penser à Jeffrey Dean Morgan, l’acteur de la série The Walking Dead. Un peu plus loin, le narrateur mentionne un tueur portant un masque blanc et tenant un long couteau…

L’abomination de Mahingan Falls

Le récit du Signal déploie trois arcs narratifs :
_ le premier concerne Olivia et Tom, les deux parents qui emménagent à Mahingan Falls en pensant trouver là le calme après l’agitation new-yorkaise
_ le deuxième s’occupe des enfants du couple, Chad et Owen, avec leurs deux potes Corey et Connor
_ le dernier suit les pas d’un des policiers locaux, Ethan Cobb, confronté à une multiplication de phénomènes étranges.

Selon la logique de ce type de construction, les trois récits vont irrémédiablement se croiser, et une partie du suspense instauré par Chattam consiste à repousser ce moment qui, inévitablement, fera avancer l’histoire.
Cela permet à l’écrivain d’instaurer une ambiance bien glauque et horrifique. Les scènes de meurtres se multiplient : soit nous y assistons directement, soit nous les découvrons en même temps que le policier. Quoi qu’il en soit, le style de Chattam insiste sur des descriptions minutieuses. Les scènes d’horreur sont montrées dans le détail.
Le rythme du roman est impeccable. La foule de personnages principaux et secondaires permet à la fois de donner une description de la ville dans son ensemble (ainsi il est possible d’affirmer que Mahingan Falls est le personnage principal du roman) et de garder un tempo rapide à l’ensemble. Le rythme du roman va s’accélérant, grâce à des chapitres de plus en plus courts qui, généralement, s’arrêtent sur un cliffhanger (dont on connaîtra la suite trois ou quatre chapitres plus loin).
Le tout aboutit à un final en déferlement d’horreur, occupant les cent dernières pages.

Faisant preuve d’une grande culture, Chattam sait mêler habilement fiction et faits réels. Sa référence aux sorcières de Salem, et plus précisément à l’une d’entre elles nommée Jenifael, est très documentée, de même que ses explications concernant le projet MK-Ultra de la CIA dans les années 60.
Finalement, ce réseau de références historiques dresse un portrait des USA comme pays ravagé par des vagues de violence successives, du génocide des Amérindiens à la guerre des gangs de l’époque de la Prohibition, Mahingan Falls semble réunir en son sein tous les crimes commis au fil des siècles dans le pays.

Globalement, l’ensemble donne un roman qui est un très bon divertissement si l’on apprécie le fantastique à tendance horrifique. Plus de 700 pages qui se lisent bien et plutôt vite, constituant une bonne lecture de vacances. Les fans du Chattam écrivain d’horreur y trouveront leur compte : c’est efficace à défaut d’être follement original.

Le Signal, Maxime Chattam.
Albin Michel, octobre 2018, 742 pages.