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Falaises, d’Olivier Adam : au bord de la mère

Quatrième roman d’Olivier Adam, Falaises est une plongée dans l’intimité d’un écrivain à partir des souvenirs évoqués par les falaises d’Etretat. Un roman bref mais dense, et un travail remarquable sur l’écriture.

Olivier Adam est sans aucun doute un des écrivains français majeurs actuellement. Auteur de romans, de nouvelles et d’oeuvres de jeunesse, scénariste, il s’est fait connaître dès son premier roman, Je vais bien, ne t’en fais pas, paru en l’an 2000. Il a également obtenu de nombreuses récompenses, dont le Prix Goncourt de la nouvelle pour le recueil Passer l’hiver, en 2004.
Paru en 2005, Falaises est son quatrième roman. L’oeuvre se déroule en une nuit. Dans sa chambre d’hôtel, Olivier regarde les falaises d’Etretat illuminées pour la nuit. Les mêmes falaises d’où sa mère a sauté pour se suicider, lorsqu’Olivier n’était qu’un gamin. Des falaises symboles d’un équilibre précaire, entre lumière et ombre, entre la stabilité du sol et la dangerosité du vide. Un équilibre dans lequel se retrouve le narrateur s’interrogeant sur son passé.
Le souvenir du suicide maternel va déclencher toute un tsunami mémoriel chez l’écrivain. Olivier passera toute la nuit à se souvenir de ceux qu’il a perdus : sa mère, suicidée ; son copain de lycée, suicidé ; son frère, parti en donnant de moins en moins de nouvelles, jusqu’à disparaître complètement. Tous ces personnages vont sortir des sables de la mémoire, surgir de l’ombre comme les falaises qui se détachent de la nuit.

Il y a donc la catastrophe initiale.
Le suicide d’une mère qui, à peine sortie de six mois d’internement (pour s’être volontairement brûlé la main avec son fer à repasser), se jette du haut d’une falaise. Et c’est autour de ce deuil qui n’est jamais fait que se construit le roman. Une mort qui laisse un vide, un gouffre gigantesque où tout s’enfonce, tout disparaît. Y compris les émotions du narrateur : après le traumatisme de la mort maternelle, le narrateur semble traverser les événements sans les vivre pleinement, comme s’il était un témoin de sa propre vie. Ce qui entraînera Olivier à se poser des questions sur ses rapports aux autres, sur l’existence, ou non, d’un lien avec ses proches :

« Si la vie n’est rien d’autre que ce fil ténu qui nous rattache les uns aux autres, le mien était définitivement déficient, fragile et glissant, comme rongé par le sel ».

Le contenu du roman est constitué de souvenirs qu’Olivier fait resurgir lors d’une nuit passée au bord des falaises d’Etretat. Des souvenirs qui arrivent de façon désordonnée, en vrac, mais tournent finalement toujours autour de cette mort maternelle.
Une mort, comme une plaie non refermée. Une mère qu’il revoit partout, qu’il suit même dans la rue. Une mère dont il doutera toujours de la disparition.
Et après cette mère, d’autres souvenirs surgiront. Ils dessineront une enfance, une adolescence, une jeunesse marquée par les morts. Par les personnages qui, comme Lorette, comme Lea, vont s’effacer progressivement. Dont l’image va s’évanouir, replonger dans l’ombre d’où ils venaient juste de sortir.
Ce sont ces personnages auxquels le narrateur, Olivier, s’est attaché au fil de sa vie comme à des bouées de sauvetage, mais des bouées qui vont se défausser et disparaître, chacune de son côté. Un grand frère qui deviendra marin au long cours et se présentera à terre de moins en moins souvent, avant de ne plus donner signe de vie. Un copain de lycée, compagnon de beuveries et d’orgies adolescentes, qui se suicide face à son père. Une petite amie qui finira en institution psychiatrique.

Falaises n’est pas un roman narratif, dans le sens que le roman d’Olivier Adam ne raconte pas, de façon structurée, la vie de son narrateur. Falaises est un roman d’émotions. Ce sont les émotions qui affluent, dans le désordre, au rythme de ces vagues de souvenirs et, par petites touches, d’une façon que l’on pourrait qualifier d’impressionniste, dessine le portrait psychologique d’un homme au bord du gouffre.
Falaises possède une écriture sobre. Pas de phrases difficiles, pas de vocabulaire compliqué. Mais une écriture que l’on pourrait qualifier d’immersive :  les nombreuses énumérations dessinent des lieux, font revivre des époques. Avec tout cela, Olivier Adam ne reconstitue pas un monde, mais favorise les impressions, les émotions. Olivier Adam façonne, cisèle une écriture fuyante, insaisissable, comme les souvenirs eux-mêmes. Une écriture de moments qui passent rapidement dans la lumière avant de retourner dans l’ombre.