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De l’acception de l’« Universalisme »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans Universalisme, opuscule paru dans la collection « Le Mot est faible » des éditions Anamosa, Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang questionnent un concept aujourd’hui largement dévoyé.

« Ce sont ces rentiers de la République qui s’arrogent le droit de dire ce qui est ou n’est pas universaliste. Tout comme l’Académie française n’entend pas partager la définition du bon usage de la langue, les vigies du pseudo-universalisme exercent une police idéologique sur les valeurs – nous montrerons que l’universalisme n’en est pas une. « Déçus » de la gauche, pourfendeurs du « wokisme » et garants de la laïcité face aux dérives « islamo-gauchistes » des démagogues, ces progressistes autoproclamés occupent le terrain en s’insurgeant contre les ravages du politiquement correct (« on ne peut plus rien dire »), en dénonçant la dictature malsaine des réseaux sociaux et en se présentant comme seuls adversaires légitimes de l’extrême droite – puisque les antiracistes en sont les adjuvants plus ou moins conscients. » Comme l’illustre parfaitement cet extrait, Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang se penchent sur une opposition presque programmatique : un pseudo-universalisme oublieux du passé et sourd aux différences contre un universalisme post-colonial désireux de remettre en question l’ordre blanc et les narratifs historiques souvent trop schématiques. Ces heurts philosophico-réflexifs se manifestent notamment à l’endroit de l’antiracisme, volontiers considéré comme sectoriel et communautariste, quand d’autres ne voient en les défaillances mémorielles qu’une mise sous cloche des blessures passées et la perpétuation d’une forme de domination des uns sur les autres.

Universalisme a partie liée avec Fragilité blanche, l’ouvrage de la sociologue américaine Robin DiAngelo paru aux éditions Les Arènes. Tous deux évoquent les mécanismes d’autodéfense des dominants, mais aussi une forme de racisme institutionnel, dont l’appellation des rues ou les statues seraient l’un des nombreux témoignages. Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang épinglent par ailleurs le « pseudo-universalisme » pour sa capacité à refouler l’histoire et à présenter le racisme comme une vulgaire relique. Ils en appellent à une réelle conscience historique et à une relativisation des points de vue, qui permettraient non seulement de replacer certains faits et personnalités à leur juste place (de la Charte du Mandé à Gabriel, Boni ou Mafungo), mais aussi à bien nommer les choses, tel que l’escomptait en son temps Albert Camus. À cet égard, comme le stipulent les auteurs, les discours sur l’« ensauvagement » des banlieues françaises ou une abolition de l’esclavage exclusivement du fait des Blancs ajoutent le mépris et les biais aux douleurs anciennes. La quête d’universalisme nécessiterait pourtant un examen attentif et sincère d’un « roman national » par trop manipulé.

« Ce qui se dit dans les enquêtes d’opinion sur la laïcité et l’incompatibilité supposée de l’islam avec les valeurs républicaines, c’est qu’une majorité de Français sont convaincus par le paradigme houellebecquien de la soumission : le voile est la forme visible d’une idéologie qui veut changer « notre » façon de vivre. Cette menace ne mériterait rien moins qu’une loi sur le séparatisme, normalisation d’un état d’exception visant les ennemis de l’intérieur : mauvais musulmans et suppôts de l’islamo-gauchisme. » Le pseudo-universalisme compartimente la France en communautés tout en regrettant le communautarisme. Et Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang de se demander pourquoi certains Français se sentent agressés par un voile ou une mosquée mais pas par l’ubérisation de l’économie, le remplacement des petits commerces par Amazon ou les anglicismes phagocytant la langue – et notamment le parler financier et managérial. Pour l’anecdote, notons que les auteurs appréhendent Donald Trump comme l’expression de notre mauvaise conscience : cela suppose qu’à leurs yeux, il s’agisse davantage d’une lame de fond que d’un épiphénomène localisé. Universalisme y apporte quelques éléments de réflexion.

Universalisme, Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang
Anamosa, janvier 2022, 104 pages

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