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Un œil sur l’« Économie comportementale des politiques publiques »

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Repères » des éditions La Découverte s’enrichit d’un nouvel opuscule intitulé Économie comportementale des politiques publiques. Yannick Gabuthy, Nicolas Jacquemet et Olivier L’Haridon y narrent la manière dont les déterminants comportementaux influencent la prise de décision économique.

Si l’économie comportementale est en plein essor depuis les années 1980, elle s’est surtout signalée à l’occasion de la remise du prix Nobel d’économie à Richard Thaler et Cass Sunstein en 2017. Tous deux ont contribué à théoriser le nudge, ce « coup de pouce » conçu de manière à encourager certains types de comportements, et qu’on retrouve en France tant dans la gestion de la crise sanitaire qu’à Pôle-Emploi. « L’approche par les nudges relève de ce que Thaler et Sunstein [2003] appellent le « paternalisme libéral » : les coups de pouce consistent à orienter les décisions (plutôt qu’à les contraindre) dans une direction bénéfique à la personne qui les prend », expliquent ainsi les auteurs.

L’économie comportementale tient compte de plusieurs biais affectant nos décisions : celui d’immédiateté postule que ce qui nous est néfaste doit être plus difficile à obtenir, celui de projection explique la tendance à acheter davantage de produits alimentaires lorsque l’on fait nos courses en ayant faim et celui de statu quo témoigne de l’importance des choix par défaut. Le biais d’immédiateté nous poussera par exemple à soigner rapidement un mal de dos invalidant, mais à ignorer un diabète, tandis que le biais de statu quo nous condamnera à payer un abonnement inutile à une salle de sport (chose que les amateurs de la série Friends comprendront aisément). Yannick Gabuthy, Nicolas Jacquemet et Olivier L’Haridon l’énoncent clairement : si l’homo œconomicus est supposé rationnel et optimal dans ses choix, l’homer œconomicus (du nom du personnage des Simpson) a parfois besoin d’être guidé dans la bonne direction pour prendre les meilleures décisions possibles.

Concrètement, comment fonctionne l’économie comportementale ? Cette question de fond va en fait sous-tendre tout l’ouvrage. Après un détour par la théorie des jeux (dilemme du prisonnier, équilibre de Nash…), les auteurs vont abondamment revenir sur plusieurs exemples édifiants. En Israël, la mise en place d’une amende pour les parents en retard à la crèche s’est peu à peu transformée en permis d’arriver en dehors des heures prévues. L’acquittement d’une petite somme d’argent a altéré la valeur morale de l’absence de ponctualité. En matière de santé, il s’agit par exemple de taxer les externalités négatives (tabagisme passif) et de subventionner les externalités positives (la recherche sur les vaccins). Les labels peuvent être considérés comme des nudges alimentaires, les franchises dans les contrats d’assurance-santé comme une forme d’aléa moral (visant à limiter les soins superflus) et la dégressivité des allocations de chômage comme un arbitrage entre assurance et incitation au retour à l’emploi. L’épargne est quant à elle le fruit d’un lissage de la consommation, d’une anticipation des revenus futurs et de la fiscalité sur les investissements et les intérêts.

Économie comportementale des politiques publiques revient tour à tour sur la place des items dans les menus de restaurant, les rappels par SMS, le principe du pollueur-payeur, les effets de pairs, la licence morale, le marché du travail, les discriminations à l’embauche, l’influence de l’information dans la prise de décision ou encore la manière dont les inégalités salariales se traduisent en pertes de productivité. Les auteurs rappellent que les choix par défaut ont une importance capitale : ils peuvent par exemple augmenter sensiblement le recours aux médicaments génériques ou le don d’organes. Pour cette même raison, ils doivent être maniés avec une extrême prudence, surtout lorsqu’une gestion politique optimale ne peut être profitable à tous ou lorsqu’il y a une grande hétérogénéité dans les groupes ciblés.

Enfin, la finance comportementale n’est pas sans effets indésirables. L’ouvrage s’intéresse notamment à l’effet rebond. Une baisse de la consommation énergétique dans un secteur d’activité donné pourrait par exemple induire une diminution des prix aboutissant à une augmentation de la demande ailleurs. L’effet boomerang repose sur les mêmes principes : en mettant en comparaison les consommations énergétiques des ménages les plus dispendieux et économes, on pourrait certes pousser les premiers à se montrer plus responsables, mais aussi les seconds à faire preuve d’un certain relâchement. Cela démontre que l’économie comportementale peut engendrer des politiques affectant nos actes de multiples manières, dans le bon sens comme, par ricochet, dans le mauvais.

Économie comportementale des politiques publiques, Yannick Gabuthy, Nicolas Jacquemet et Olivier L’Haridon
La Découverte, mai 2021, 128 pages

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