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« Mixtape 2.0 » : Cut Killer se raconte

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans Mixtape 2.0, Cut Killer et Julien Civange reviennent sur l’émergence en France d’une culture musicale et urbaine née aux États-Unis. C’est à travers la carrière personnelle du DJ parisien, riche en anecdotes passionnantes, que l’histoire du hip-hop nous est contée, dans un livre fourmillant d’images et pulsant au rythme des platines.

Strasbourg-Saint-Denis, Paris, années 80. Le jeune Anouar Hajoui, fan de John Wayne et de Bruce Lee, traîne sa gouaille facétieuse dans les cinémas – le Grand Rex, le Brady – ou fréquente les jeux d’arcade, dans un quartier caractérisé par sa diversité. Élève médiocre, issu d’une famille d’origine marocaine, il s’ouvre vite à la musique, walkman en poche, avant de plonger, béat, dans une culture hip-hop dont Sidney se fait chaque semaine l’ambassadeur sur TF1. Quelques années plus tard, c’est sous le pseudonyme de Cut Killer qu’il va importer en France le concept américain des mixtapes, ces cassettes musicales qui s’échangent sous le manteau, ou dans des boutiques triées sur le volet. Un vent de fraîcheur souffle dans les ghettos américains, et bientôt dans les banlieues françaises. Le rap émerge, et ceux qui manient les platines avec une habileté déroutante lui emboîtent le pas.

Dans Mixtape 2.0, Cut Killer raconte deux odyssées imbriquées l’une dans l’autre. Car les pionniers du rap français, d’IAM à Radio Nova en passant par Original M.C., ont tous eu partie liée avec le DJ. Ainsi, aidé en cela par Julien Civange, le Parisien livre les détails d’un cheminement passionné et passionnant, promenant le lecteur des premières K7 à la séquence devenue mythique de La Haine, où il mélange les courants musicaux dans un mix enlevé et sulfureux, jusqu’à ces fameuses soirées où il croise, installé derrière ses platines, Puff Daddy, Bruce Willis et Jennifer Lopez, dans des fêtes luxueuses et parfois exotiques. Cut Killer, c’est un gamin enivré par la créativité, un mélomane bercé par une culture venue d’ailleurs, un artiste entrepreneur, un gars qui a d’abord rêvé d’écouler quelques cassettes, puis de voir sa musique diffusée dans les boutiques spécialisées et enfin de devenir un Bad Boy à l’image de ceux qu’ils côtoyaient dans les studios new-yorkais de son acolyte Puff Daddy.

Partie prenante dans l’affirmation d’un rap à la française, qu’il a largement contribué à promouvoir et démocratiser, Cut Killer a pourtant toujours eu le regard tourné vers les États-Unis, d’où il ramenait des disques, des idées et des rêves. DJ et ami du rappeur East, proche des Marseillais d’IAM et notamment d’Akhenaton, animateur sur Radio Nova, instigateur des incontournables et séminaux Hip Hop Soul Party, il a été impliqué dans tout ce qui a contribué à asseoir et faire grandir un mouvement naissant en France. « 30 ans de culture hip-hop », semble nous promettre le sous-titre de Mixtape 2.0. Ces trente années, bien qu’écourtées dans l’ouvrage (qui se termine à Marrakech dans l’immédiat post-11 septembre), doivent énormément à ce DJ aujourd’hui quelque peu oublié, dont le succès fut concomitant, par exemple, à celui de Fabe et de Doudou Masta. Au-delà des événements et anecdotes contés, il restera de ce témoignage inédit une fascination contagieuse pour une musique d’abord marginale, puis intégrée dans les standards commerciaux.

Mixtape 2.0, 30 ans de culture hip-hop, Cut Killer et Julien Civange
Robert Laffont, octobre 2022, 224 pages

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