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« Les Éclats » : le retour remarqué de Bret Easton Ellis

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Robert Laffont publient Les Éclats, de Bret Easton Ellis. L’auteur, connu pour son incontournable American Psycho, adapté au cinéma par Mary Harron, avec Christian Bale dans le rôle-phare du golden boy-tueur sociopathe Patrick Bateman, enrichit sa bibliographie d’un nouveau roman-fleuve sur l’Amérique décadente et frivole, prenant la Cité des Anges pour toile de fond.

Tout Bret Easton Ellis semble se fondre dans Les Éclats. Nostalgique des années 1980 qui l’ont vu grandir, le célèbre romancier américain continue ses explorations des sociétés consuméristes et des psychés humaines, dans un univers qui se tapisse volontiers de violence et de décadence morale. Que l’on se penche sur le matérialisme, l’aliénation, la culture populaire ou les aspérités métafictionnelles, on pourrait aisément rapprocher The Shards (le titre original du roman) des œuvres sépulcrales et/ou dérangeantes qu’étaient déjà Moins que zéro, American Psycho ou encore Glamorama. Ce livre, qui nous immerge dans les eighties à Los Angeles, témoigne à nouveau d’une maîtrise narrative hors pair, qui se déploie tant dans la méticulosité des descriptions que dans l’épaisseur psychologique des différents personnages. Et même s’il brouille les frontières entre la réalité et la fiction, Bret Easton Ellis se livre doublement dans Les Éclats : en se mettant lui-même partiellement en scène, dans une sorte d’autofiction amphibie, mais surtout en exploitant quelques-unes de ses obsessions les plus tenaces, dont la musique, la superficialité ou les tueurs en série, qui formaient déjà le cœur battant d’American Psycho.

Fascinant pour son atmosphère et ce qu’il raconte de l’homme moderne, Les Éclats se repaît des tourments intérieurs de ses protagonistes, complexes et plus nuancés qu’il n’y paraît. La superposition des thèmes et des caractères donne à voir une fresque générationnelle vertigineuse, confondante d’individualisme et d’artificialité. Le personnage typique de Bret Easton Ellis est mû par son « ça », lancé dans une quête effrénée et souvent erratique (car dénuée de sens ou de raison), caractérisé par ses fêlures et son rapport à l’immédiateté. Mais ce roman, longtemps attendu (plus d’une décennie), se distingue aussi par une vraie virtuosité rédactionnelle et une représentation mi-flamboyante mi-glaçante du Los Angeles des années 1980. Une ville peuplée d’êtres dépourvus de morale et d’empathie, pointe avancée du matérialisme et du consumérisme américains, constituée de palmiers et de néons scintillants en rupture avec les maux qui frappent les différents protagonistes. Tout est là : la paranoïa, le meurtre, la jeunesse dorée, la même que Moins que zéro, et ces « éclats » qui pourraient s’apparenter à des fragments identitaires ou existentiels. Bret Easton Ellis expédie le lecteur en dernière année d’un lycée chic de Los Angeles, en compagnie de jeunes adultes pour qui le sexe, l’alcool, la drogue, les films constituent un horizon unique et indépassable. Jusqu’à ce que les béances se fassent jour et qu’un nouvel élève inquiétant ne surgisse. Suffisant pour glisser une vision artistique et humaine qui colle à la peau de l’auteur depuis ses débuts… au milieu des années 1980.

Les Éclats, Bret Easton Ellis
Robert Laffont, mars 2023, 601 pages

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