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« Les Dissidents » : l’attrait des théories alternatives

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le journaliste Anthony Mansuy a passé un an dans la bulle conspirationniste. Il en tire un ouvrage, Les Dissidents, publié aux éditions Robert Laffont, et au sein duquel il revient abondamment sur les mécanismes à l’œuvre parmi les complotistes.

Anthony Mansuy commence par exposer un contexte qui va s’avérer immensément favorable aux théories alternatives. La défiance envers les milieux autorisés – politiques, médiatiques, scientifiques – se mêle à des scandales bien réels – Mediator, Bygmalion – pour donner corps à une bulle conspirationniste échaudée par les Gilets jaunes et vivifiée par un confinement qui, en privant les Français de toute activité, leur a offert tout le loisir « de faire leurs propres recherches ». La nature ayant horreur du vide, les inconnues inhérentes à une situation sanitaire inédite ont été comblées par toutes sortes de croyances qui, souvent, se sont exprimées avec une assurance inversement proportionnelle à leur exactitude.

Alimentée par les effets de groupe et les biais cognitifs, la bulle conspirationniste a rapidement trouvé ses pointes avancées : les médecins rassuristes, dont Didier Raoult, Louis Fouché ou Christian Perronne, des célébrités sur le retour telles que Mickaël Vendetta ou Richard Boutry, des scientifiques désormais démonétisés ou bannis, à l’instar d’Alexandra Henrion-Caude, voire des politiciens peu scrupuleux (Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan, Martine Wonner) ou des professionnels de l’agit-prop tels que le réalisateur du documentaire Hold-Up Pierre Barnérias ou l’humoriste Jean-Marie Bigard. Anthony Mansuy revient abondamment sur ces figures, déconstruisant leur discours et retraçant leur engeance.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est à quel point la cabale covido-sceptique a été organisée. Le repenti Stalec, l’un des comptes les plus suivis dans la sphère complotiste sur Twitter, a largement effeuillé ce qui se tramait alors dans les coulisses : un réseau baptisé CIA, où figuraient des proches de Didier Raoult, charpentait les offensives et contre-offensives d’une guerre idéologique où la véracité était devenue au mieux facultative. Aux États-Unis, les QAnon ont fait mieux : partant du forum 4chan, ils ont imaginé un réseau clandestin et tentaculaire de pédophiles satanistes qui dirigeraient secrètement le monde, et auquel Donald Trump constituerait l’unique rempart. Anthony Mansuy ajoute à ces typologies complotistes tous ceux qui se revendiquent, de près ou de loin, des modèles de développement personnel.

Le portrait est vertigineux et il permet de prendre la pleine mesure d’une désunion sociale qui semble désormais prête à réémerger à la moindre polémique. Virales, les théories alternatives et la désinformation se répandent d’autant plus rapidement que ceux qui y sont sensibles ont tendance à faire sécession des médias traditionnels et à ne s’informer qu’à travers les bulles filtrantes des réseaux sociaux. Anthony Mansuy ne minimise pas les scandales avérés ni le scepticisme qui doit accompagner l’examen critique des affaires publiques ; il regrette en revanche ces discours outrés, en rupture complète avec les faits, qui abîment les fondements de la démocratie en en fourvoyant les grands principes.

Les Dissidents, Anthony Mansuy
Robert Laffont, mai 2022, 301 pages

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3.5
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