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« Les Lois de la contagion » : des krachs boursiers au Covid-19

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dans Les Lois de la contagion, l’épidémiologiste britannique Adam Kucharski analyse les mouvements financiers, la propagation des fake news, la diffusion des virus informatiques ou encore l’avènement des nouvelles tendances en usant de modèles communs.

Contrairement à ce que pourrait laisser penser la situation sanitaire actuelle, Les Lois de la contagion ne doit rien, ou si peu, au Covid-19. Si la maladie est effectivement évoquée dans l’ouvrage, c’est uniquement à la marge, et de manière succincte. Cela n’entame en rien l’actualité brûlante de cet essai. Rédacteur pour le Financial Times ou l’Observer, professeur associé à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, Adam Kucharski parvient à lier, grâce à des modèles épidémiologiques, des phénomènes qui, de prime abord, présentent peu de points communs : les maladies, les virus informatiques, les tendances, les cours de la bourse, les fake news, la violence, les suicides, le tabagisme, l’obésité, la neknomination, les influenceurs… En glissant régulièrement de l’un à l’autre, il démontre en quoi des lois de contagion universelles régissent chacun de ces « objets ».

Durée, opportunités, transmissibilité, susceptibilité sont les maîtres-mots de la contagion. « R0 dépend donc de quatre facteurs : la durée pendant laquelle une personne est contagieuse ; le nombre moyen d’opportunités qu’elle a de propager l’infection chaque jour où elle est contagieuse ; la probabilité qu’une occasion aboutisse à une transmission ; et la susceptibilité ou sensibilité moyenne de la population. » Mais ces « DOTS » qui s’appliquent si bien au domaine épidémiologique valent aussi pour d’autres phénomènes sociaux. Prenez les défis de neknomination sur Facebook tels que l’Ice Bucket Challenge : un challenger va en identifier plusieurs autres qui, à leur tour, vont renouveler le défi, jusqu’à ce qu’une population suffisamment immunisée, c’est-à-dire ayant déjà participé au jeu, ne provoque son déclin. Et de la même manière qu’un virus peut se répliquer et muter, un mème peut apparaître. Des jeux de boissons ont ainsi succédé à l’Ice Bucket Challenge en en reproduisant les principes généraux : challenge, nomination, jusqu’à épuisement de la population susceptible d’être « contaminée ». Aussi, si une publication ou une chaîne Facebook est dite virale, n’est-ce pas précisément parce qu’elle emprunte beaucoup… au virus ?

Adam Kucharski va multiplier les exemples tout au long de son essai. Les bulles financières connaissent une évolution semblable à celle des épidémies : démarrage, croissance, pic, déclin. Le suicide de Robin Williams a provoqué une vague d’imitations. Pis, selon l’Université Columbia, une augmentation de 10% des suicides a été constatée dans les mois qui s’ensuivirent. Il existe des super-contaminateurs pour le VIH ou le Covid-19 comme il en existe pour les nouvelles tendances ou les publications sur les réseaux sociaux. En 2009, Warren Buffett comparait les rapports entre les banques et les MST : non seulement, il faut faire attention aux personnes avec qui l’on couche, mais également aux éventuels amant.e.s de ces mêmes personnes. Les établissements financiers ont ainsi été contaminés les uns après les autres durant la crise des subprimes. Leur modèle dissortatif mettait en liaison des grandes banques à haut risque avec des institutions plus modestes et saines. Le risque glissait d’une entité à l’autre en même temps que leurs échanges croissaient. Dans un autre registre, on a pu calculer un taux de reproduction de 0,63 pour les violences à Chicago. Ou expliquer comment des clusters de criminalité naissaient. Après une période d’incubation plus ou moins longue, les individus ayant été en contact avec la violence (par exemple domestique) ou le crime ont tendance à reproduire, en proportion significative, les actes qu’ils ont vus ou subis.

Les Lois de la contagion comporte un corpus théorique relativement étoffé. Le lecteur est appelé à se familiariser avec Ronald Ross, Robert May, Everett Rogers, Klaus Dietz, Robert Koch, Thomas Bayes, mais aussi avec le modèle SIR de Kermack et McKendrick, les articulations entre homophilie, environnement partagé et contagion sociale, les bulles cognitives, l’effondrement de contexte, l’effet boomerang ou encore les diffusions par source commune et par propagation. Il nous est impossible de synthétiser plus de 300 pages d’un contenu foisonnant en quelques lignes. Ce qu’on retiendra avant tout de cet ouvrage, c’est sa capacité à transcender les disciplines pour en dégager des lois communes. Celles de la contagion. En les vulgarisant, Adam Kucharski contribue à diffuser une meilleure connaissance de phénomènes sociaux et sanitaires aussi divers qu’importants.

Les Lois de la contagion, Adam Kucharski
Dunod, février 2021, 336 pages

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