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« Le Quai de Wigan » : immersion journalistique dans l’Angleterre populaire

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Climats » des éditions Flammarion offre une nouvelle vie à l’ouvrage de George Orwell Le Quai de Wigan. Préfacé par Jean-Laurent Cassely, divisé en deux parties – l’une sur les conditions de vie de la classe ouvrière, l’autre sur le socialisme –, le livre paru en 1937 mêle le reportage journalistique et l’essai politique.

Difficile de faire plus glaçant que George Orwell quand il s’agit de portraiturer la classe ouvrière du nord de l’Angleterre. Qu’il décrive l’exiguïté et la saleté d’une pension collective, le travail harassant et périlleux dans les mines ou la précarité dans laquelle sont plongées les populations les plus modestes, il énonce sans ambages les conditions de vie pénibles d’individus sur lesquels il pose un regard compassionnel – bien que parfois émaillé de préjugés. Le Quai de Wigan comprend ainsi des descriptions rugueuses des villes industrielles et ouvrières de Yorkshire et Lancashire, ainsi que des activités souterraines inhérentes à la mine. George Orwell se penche longuement sur ces hommes au corps sculpté par l’effort, souvent de petite taille, parcourant des kilomètres sous la surface du sol, courbés, avant même de commencer à s’atteler à une tâche ingrate, exténuante et génératrice de résidus s’accrochant à la peau comme aux poumons. Des hommes qui, une fois leur travail terminé, rebrousseront chemin, pour rejoindre des maisons peu avenantes, alignées comme des sardines et souvent dépourvues de sanitaires. L’auteur recourt à l’observation participante, se mêle aux personnes dont il étudie et verbalise les conditions d’existence et déploie des trésors d’imagination pour rendre compte, au mieux, au plus juste, du caractère dangereux et pénible du métier de mineur, mais aussi des faibles ressources tirées de cette activité.

Dans sa seconde partie, plus théorique et approximative, George Orwell s’intéresse au socialisme, à ses valeurs sous-jacentes (liberté, justice), tout en s’employant à démontrer que ces dernières n’apparaissent plus qu’en filigrane, comme un diamant caché sous un tas de fumier, pour reprendre ses termes. Selon l’auteur, qui poursuivra sa critique du socialisme avec les monuments littéraires que sont 1984 et La Ferme des animaux, plusieurs obstacles se dressent sur la route des socialistes : des discours pompeux peu en phase avec l’électorat populaire, une forme d’excentricité, une croyance immodérée dans le progrès – et notamment technique, les jugements de classe ou encore le mépris de valeurs telles que le patriotisme ou la religion. Entretemps, Orwell aura aussi évoqué les propriétaires (modestes ou riches), l’opposition Nord/Sud ou encore le sentiment d’appartenance de classe de ceux qui, liés à l’élite intellectuelle, sont déclassés économiquement. Et, comme Dans la dèche à Paris et à Londres, il se sera porté à la hauteur des personnes dont il cherche à traduire les expériences de vie. Un exercice qui rappelle forcément Jack London et son excellent Le Peuple de l’abîme.

Le Quai de Wigan, George Orwell
Flammarion, avril 2022, 336 pages

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