La journaliste Marie-Morgane Le Moël publie La Petite Histoire des grands médicaments aux éditions Autrement. Pénicilline, Viagra, aspirine, pilules contraceptives… Comment ont-ils vu le jour ? Qu’ont-ils impliqué ?
Après le déclenchement de la Première guerre mondiale, un problème d’approvisionnement en aspirine apparaît rapidement. Plusieurs entreprises allemandes, dont Bayer, se trouvaient jusque-là en situation de quasi-monopole sur la production de ces anti-douleurs. Plus récemment, en pleine crise de la Covid-19, quantité de produits régulièrement utilisés dans les services de réanimation ont soudainement manqué. Il faut dire que la souveraineté sanitaire de l’Europe n’a jamais semblé aussi illusoire : le vieux continent dépend en grande partie de l’Inde et de la Chine en ce qui concerne les principes actifs de ses médicaments. En ce sens, l’ouvrage de Marie-Morgane Le Moël offre une analogie douloureuse, mais édifiante, entre des situations plus proches qu’il n’y paraît.
Mais l’intérêt de La Petite Histoire des grands médicaments se situe bien évidemment ailleurs. Il s’agit pour l’auteure de porter à la connaissance de ses lecteurs les événements et cheminements scientifiques ayant présidé à la mise sur le marché de médicaments parmi les plus vendus au monde. L’aspirine voit ainsi le jour sous forme de poudre vendue dans de petits sacs en papier au début de l’année 1899. Elle n’apparaît en comprimé que plus tard, commercialisée par la société Bayer. Dépositaire d’un brevet, cette dernière occasionne – déjà – des différends relatifs à la propriété intellectuelle, puisque si elle a contribué à mettre au point une technique de production améliorée, la formule chimique sous-jacente de l’aspirine avait quant à elle été élaborée des dizaines d’années plus tôt par le chimiste français Charles Gerhardt. Des soucis de paternité qui rappellent ceux qui entourent la découverte de l’insuline, puisque les nobélisés canadiens Frederick G. Banting et John J.R. Macleod cachent, comme le note Marie-Morgane Le Moël, des laissés-pour-compte tels que Charles H. Best et John B. Collip.
Ce petit ouvrage fourmille d’anecdotes auquel tout bon lecteur saura se montrer sensible. Certaines sont passées à la postérité. On pense spontanément à la découverte accidentelle de la pénicilline par le brillant médecin écossais Alexander Fleming. D’autres demeurent plus confidentielles. C’est le cas par exemple de cette greffe de testicules de bouc pour lutter contre les troubles érectiles, de ces solutions contraceptives à base d’excréments de crocodile ou de ces comas insuliniques provoqués afin de soigner la schizophrénie, dans le cadre des cures de Sakel. Au détour des différents chapitres, Marie-Morgane Le Moël revient également sur certains enjeux contemporains : l’antibiorésistance faisant suite à la sur-prescription d’antibiotiques à large spectre ; le mouvement antivax se nourrissant de scandales tels que ceux supportés par les campagnes contre la poliomyélite (des doses contenaient le virus actif) ou le virus H1N1 (narcolepsie, cataplexie) ; la cinquième édition du DSM tendant à médicaliser tous les problèmes de la vie quotidienne ; la surconsommation de Ritaline (la pilule de l’obéissance) ; le phénotypage numérique et les applications de santé telles que Woebot, IA conseillère en santé mentale.
Dans un ouvrage documenté et accessible, Marie-Morgane Le Moël fait montre d’un vrai talent de conteuse au moment d’évoquer l’histoire de certains blockbusters médicamenteux. Nuancée dans ses analyses – elle n’omet pas les échecs du marché actuel du médicament, auxquels Gaëlle Krikorian vient de consacrer un essai –, elle vise avant tout à explorer la manière dont sont nées certaines des solutions chimiques qui ont révolutionné le domaine de la santé. Ces histoires, largement masculines, supportent leur lot de faits grotesques, inattendus ou avant-gardistes. Le mérite en revient à l’auteure d’avoir pu les condenser de belle façon.
La Petite Histoire des grands médicaments, Marie-Morgane Le Moël
Autrement, octobre 2022, 160 pages