Dans Le regard féminin, une révolution à l’écran, Iris Brey nous livre un essai passionnant sur le female gaze et l’importance de multiplier les regards féminins au cinéma.
Le terme male gaze a été théorisé en 1975 par Laura Mulvey, une critique et réalisatrice britannique, dans son article Plaisir visuel et cinéma narratif. C’est l’idée que toutes cultures visuelles dominantes (cinéma, jeu vidéo, publicité, magazine, etc.) imposeraient au public d’adopter la perspective (ou regard) d’un homme hétérosexuel. Grâce au concept freudien de scopophilie (le désir de posséder l’autre par le regard), elle en explique les conséquences : la femme observée par ce regard masculin est déshumanisée et sexualisée.
C’est la théorie que reprend Iris Brey pour réfléchir à son tour à la notion opposée : celui de female gaze, en y ajoutant une notion phénoménologique du philosophe Merleau-Ponty.
« L’importance du corps au cinéma a ainsi souvent été ignorée, jusqu’à ce que, dans les années 1990 et 2000, dans la lignée de la philosophie phénoménologique de Merleau-Ponty, des penseuses élaborent un nouveau cadre théorique où l’expérience vécue entre les spectateur.trice.s et le film est au cœur d’un échange.
Ma découverte de l’approche phénoménologique du cinéma m’a libérée d’un poids en me permettant de ne plus réfléchir aux films en fonction de l’identification spectatorielle classique, mais en considérant que regarder est avant tout une expérience incarnée où le corps joue un rôle fondamental. »
L’autrice développe donc dans son essai les différents aspects du female gaze, comment il se caractérise, comment certains réalisateurs s’en servent pour exprimer le désir de leur personnage féminin, en analysant par exemple la mise en scène de Jane Campion dans La leçon de piano ou encore l’invention du gros plan par Alice Guy, pionnière du cinéma. Mais aussi comment ce nouveau regard permet de montrer un nouveau point de vue sur l’expérience féminine au cinéma, en s’éloignant de la sexualisation à outrance du corps féminin ; en montrant comment une scène de viol, filmée de façon perverse et érotisante sous un regard masculin, peut se transformer en expérience nouvelle et plus proche de la vérité en adoptant un regard féminin.
Ce livre permet de mettre en lumière le gouffre présent entre un regard « phallocentré » et destiné à un public masculin ou tout du moins destiné à coller à ses désirs et le cruel manque d’expériences féminines, de cinéma féminin (fait par un homme ou une femme) dans cette industrie où les hommes occupent une place majoritaire. En France, en 2019, seulement 21% de femmes ont occupé des postes haut placés dans l’industrie du cinéma. Et seulement 1 % de femmes non blanches.
Cet accablant constat devrait nous faire réfléchir à la place des femmes dans la société, au regard majoritairement dominant de l’homme cis(genre) blanc et aux effets néfastes que cela produit.
Merci donc à Iris Brey de nous offrir un nouveau regard et des pistes de réflexions qui pourraient permettre au 7ème art de se renouveler et d’élargir ses horizons.
Le Regard féminin – Une révolution à l’écran, Iris Brey
Editions de l’Olivier, février 2020, 252 pages