tout-de-suite-maintenant-agathe-bonitzer-isabelle-huppert-critique-film

Tout de suite, maintenant, un film de Pascal Bonitzer : Critique

Le choix ne se portait pas sur sa fille au départ par crainte des conflits d’intérêt ? Le rideau se lève déjà sur une belle mascarade. Agathe Bonitzer en requin féminin, maline et contestataire, mutine et bien trop curieuse.

Synopsis: Nora Sator, jeune trentenaire dynamique, commence sa carrière dans la haute finance. Quand elle apprend que son patron et sa femme ont fréquenté son père dans leur jeunesse, elle découvre qu’une mystérieuse rivalité les oppose encore. Ambitieuse, Nora gagne vite la confiance de ses supérieurs mais entretient des rapports compliqués avec son collègue Xavier, contrairement à sa sœur Maya qui succombe rapidement à ses charmes… Entre histoires de famille, de cœur et intrigues professionnelles, les destins s’entremêlent et les masques tombent.

Un monde de la finance théâtralisé

Les adjectifs sont trop nombreux pour une erreur de casting évidente. On est loin de Dallas et son univers impitoyable, voulu par l’auteur. Des secrets familiaux au sein d’un capitalisme d’entreprise, le sujet sonne déjà bourgeois (pour le bohème, c’est à revoir). Le traitement l’est pourtant. Tout de suite, maintenant est peut-être bien accordé sur papier et le scénario aiguise l’appétit certes, mais sa réalisation, d’une convenance sans borne, laisse pantois. En théorie, quelques bonnes surprises. En pratique, une réflexion réductrice sur les erreurs de jeunesse. CSM tente de décrypter cet essai dont on n’attachera avec du recul que peu d’importance. Sur les planches, il aurait sûrement fait fureur…

Le casting, réunissant des têtes d’affiche, participe à la froideur théâtrale reprochée. Vincent Lacoste à contre-emploi, Bacri en dépressif (pour changer), Wilson en salaud haut placé (pour changer), Huppert en alcoolique romantique, Greggory en triste souvenir blessé (pour changer), Julia Faure vient quant à elle se greffer pour camper une sœur excentrique, sortie d’une comédie de boulevard bon marché. L’état d’âme mussetien côtoie dangereusement le feuilleton hebdomadaire et à trop vouloir tenter Rohmer, on brouille les pistes. Déjà qu’elles étaient froides ! Elle a beau être bleue, si c’est de la poudreuse, la glisse sera pas agréable. Admettons le parti pris peu singulier de filmer (caméra à l’épaule flottante ou plan fixe académique : Julien Hirsch est pourtant un chef op réputé, césar de la meilleure photographie en 2007 pour Lady Chatterley !) la coïncidence et le quiproquo, au cœur de bureaux aseptisés et de deux « familles » que tout oppose. Un couple richissime et une femme de ménage vecteur de surnaturel d’un côté, de l’autre, un père aigris et ses deux filles, poncifs éculés (une pragmatique maîtrisant les chiffres contre une plus extravagante qui chante dans un bar). La moins spirituelle des deux traverse le miroir et franchit la barrière pour venir côtoyer un monde luxueux dont elle n’a absolument aucune difficulté à s’accommoder des codes. A mi-chemin entre un conte de Perrault et une farce de Molière, TDSM, pour reprendre le jargon de la finance, articule péniblement son récit et peine à clairement exposer là où le film veut aller.

Évacuons le récit d’initiation, la fable familiale et la comédie de mœurs, que reste-t-il ? L’histoire d’amour contrariée, la tragédie existentielle, la chanson de geste… pour une ode à l’oubli, au mauvais chemin de vie emprunté ? Bonitzer ne semble pas vouloir atteindre le point d’acmé chez ses acteurs, qu’ils s’abandonnent révélant leur fragilité, comme pourrait le proposer un certain Chéreau, mais l’objectif étant de trouver un certain équilibre entre « drôlerie » et « humanité ». En reprenant le dossier de presse, le producteur Saïd Ben Saïd voulait que le cinéaste adapte Les employés de Balzac qui « raconte les intrigues pour empêcher un homme honnête et compétent d’accéder au poste de ministre que sa femme, ambitieuse à la place de son mari, convoite pour lui. »* Il aurait été une source d’inspiration pour le réalisateur/scénariste qui, avec Agnès de Sacy (partenaire également d’écriture de Zabou Breitman [voir à ce propos L’Homme de sa vie] et Valéria Bruni-Tedeschi), voulaient aborder un lieu de pouvoir sans tomber dans celui de la politique. L’introduction du film s’inspire du premier chapitre du « livre autobiographique d’Anne Lauvergeon, La Femme qui résiste, dans lequel elle raconte ses débuts comme conseillère de Mitterrand : elle avait rendez-vous avec François de Grossouvre, ne savait pas trop s’orienter dans les couloirs de l’Elysée, courait pour ne pas arriver en retard lorqu’elle tombe littéralement dans les bras de Nelson Mandela qui sortait du bureau du président ! Puis elle a eu une brève discussion avec Mitterrand qui lui a dit de ne pas trop prendre au sérieux Grossouvre« * et qu’il ferait semblant de parler au téléphone avec Mitterrand lorsqu’elle arriverait dans son bureau. La transposition est sans relief, peut-être en partie la faute au chef décorateur. Mais les contrastes, parties intégrantes de l’histoire, ne sont pas foncièrement d’une évidence remarquable. C’est ainsi que la scène à l’hôpital considérée comme élément humoristique ne fait rire personne. L’ensemble est par ailleurs allergique à la moindre zygomatique, non sans caresser un certain désir de tendresse. Bon, si en effet, Nora Sator, la petite cousine du corsaire de l’espace ou une abeille qui chante (Maya la sœur), ou voir Yannick Renier en grand méchant businessman, ça amuse, de là à valoir un réel détour…

Les personnages, véritables coquilles vides, à l’exception relative d’Isabelle Huppert en blonde, femme au centre d’un carré amoureux, semblent être des marionnettes qui luttent à la manière guignolesque pour leur propre reconnaissance, a priori, car il arrive que l’on cerne mal la ou les raison(s) des coups de bâton. Le marionnettiste privilégie le concept au profit d’une réelle synergie cinématographique. Est-ce dû à sa formation d’enseignant-critique-philosophe ? L’austérité du contexte, de l’environnement, de la diégèse déborde sur l’empathie que le spectateur pourrait éprouver pour l’intrigue. Et si effectivement « le monde des mathématiques […] est lui aussi inaccessible aux profanes« *, la peinture-réflexion faite par Bonitzer et de Sacy tend vers une laborieuse artificialité, qui à coup de double-sens et non-dits, sans oublier une dose gratuite et étrange de « surnaturel » (le personnage de la femme de ménage, Ezilie [créole d’Erzulie, déesse vaudou de l’amour] et l’apparition du chien noir), éloigne toute sympathie élémentaire à l’égard du récit qui nous est conté.

Aucune dimension de conte, si ce n’est rêvée et intellectualisée, à ce septième long métrage. Si Cherchez Hortense et Le Grand Alibi atteignait un relatif cœur de cible par une certaine connivence avec le public grâce notamment aux dialogues bien pensés, Tout de suite, maintenant s’enorgueillit de résoudre le puzzle existentiel, entre ambition professionnelle et sentiment amoureux, par trop d’abstractions et une mauvaise direction d’acteurs. Mais peut-être pour la simple et bonne raison que le film « est constitué de strates de sens dont certaines échappent aux personnages et parfois au spectateur »*… Restons donc chacun dans notre bulle !

*extraits du dossier de presse

Tout de suite, maintenant :Bande-annonce

 Tout de suite, maintenant : Fiche technique

Réalisation : Pascal Bonitzer
Scénario : Pascal Bonitzer, Agnès de Sacy
Interprétation : Agathe Bonitzer (Nora Sator), Isabelle Huppert (Solveig), Jean-Pierre Bacri (Serge), Lambert Wilson (Barsac), Vincent Lacoste (Xavier), Julia Faure (Maya), Pascal Greggory (Prévôt Parédés), Yannick Renier (Van Stratten)…
Photographie : Julien Hirsh
Décors : Manu de Chauvigny
Costume : Caroline Koener
Montage : Elise Fievet
Musique : Bertrand Burgalat
Producteurs : Saïd Ben Saïd, Michel Merkt
Budget : /
Récompenses : /
Genre : Comédie dramatique
Durée : 98min
Sortie en salles: 22 juin 2016

France – 2015