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Les pères les plus marquants du cinéma : Mufasa, Dark Vador, Vito Corleone…

Quelques jours après la fête des pères, la rédaction du Mag du ciné vous propose de revenir sur quelques personnages de pères marquants dans le cinéma. Depuis l’armure noire de Dark Vador jusqu’à la crinière de Mufasa, depuis les profondeurs océaniques parcourues par Marin à la recherche de son fils Némo jusqu’au Japon décrit par les personnages d’Ozu, ce top se développe autour de la figure paternelle.

Mufasa, Le Roi Lion de Roger Allers et Rob Minkoff

« Scar, mon frère, aide-moi ». Voilà les derniers mots prononcés par Mufasa avant de rendre l’âme. Pourquoi un personnage aussi peu présent à l’écran est-il aussi mythique ? C’est certainement parce que sa transmission fait de lui un être encore vivant dans les pas de Simba, le véritable héros de l’histoire. Sans les conseils de ce père pour qui la paix et l’harmonie sont des mots rois, rien ne serait possible. Ce père-là est celui qui donne à son fils les clefs pour s’émanciper de sa présence, grandir et faire les bons choix, ceux que lui auraient faits, peut-être différemment, mais des choix du cœur, plutôt que ceux de la haine. Une jungle unie, peinée et qui se prosterne au son du « lion est mort ce soir », voilà bien l’image qu’incarne Mufasa. Un père disparu, mais un père solide dans la mémoire de son enfant, futur roi de la jungle !

Chloé Margueritte

Guido, La vie est belle  de Roberto Benigni

Peut-on rire de tout ? C’est ce que pense Guido, clone excentrique et attachant de Benigni, qui à travers La vita è bella, nous donne une réponse parsemée de beauté et de courage. Guido aime la vie et s’amuse à la rendre toujours plus belle, entre rire et fantaisie pour sa Princesse et leur petit Josué. Même lorsque l’horreur de l’holocauste amène notre famille dans les camps de concentration, Guido reste fidèle à lui-même afin de protéger son fils de l’immonde réalité qu’il transformera en gigantesque jeu métaphorique. Défis imaginaires, char à la clé et points distribués feront partie du plan de notre père méritant qui à travers son mensonge sauvera la candeur de son fils. Une relation basée sur une confiance aveugle, entre clin d’œil et coup de théâtre. Bien que le petit Josué ne tarde pas à faiblir sous le style de vie qu’offre les camps et refuse de continuer la mascarade, Guido remuera ciel et terre pour pousser cette folie à l’extrême, armé de ruses absurdes et d’un espoir sans fin. Car même s’il lui en coûte la vie, son fils ne subira jamais l’effroi de la guerre. Un geste d’amour sublime, sous lequel un père nous prouve qu’on peut aimer à en mourir de rire.

Charlotte Quenardel

Daniel, Madame Doubtfire de Chris Columbus

Madame Doubftire, reste, pour beaucoup d’entre nous, un film de notre enfance inoubliable. En effet, comment ne pas être marqué par Robin Williams interprétant ce père qui se déguise en vieille dame pour voir ses enfants, suite à un divorce ? Car sous le costume, le masque et la perruque d’Iphigénie Doubtfire se cache Daniel Hillard, comédien en manque de rôles et voyant ses visites à ses trois enfants réduites par une ex-femme lassée de devoir supporter toutes les responsabilités. Ce qui nous marque dans l’interprétation de Robin Williams, c’est qu’en un clin d’œil, on oublie que c’est Daniel qui garde ses enfants. Comme eux, on croit à l’existence de cette femme âgée mais énergique et responsable, qui apparaît aux antipodes de la personnalité de Daniel. Car ce qu’il y a de plus beau dans cette histoire, c’est que poussé dans ses retranchements, incapable de vivre sans ses enfants, Daniel est prêt à tout et n’hésite pas à braver la loi, le bon sens et même un peu sa dignité, et surtout à se responsabiliser. Tout cela alors même que ses enfants ignorent que c’est lui qui fait vivre Mme Doubtfire. Peu lui importe, tant qu’il sait qu’ils vont bien et qu’il peut passer des moments avec eux.
Et c’est ainsi, en devenant Mme Doubtfire, que Daniel apprendra la ponctualité, le sérieux, en même temps qu’à quel point la vie peut se révéler cruelle. Et pourtant, c’est l’amour pour ses enfants qui le fera surmonter tous les obstacles… avec l’aide de Mme Doubtfire.
Sarah Anthony

Vito Corleone, Le Parrain de Francis Ford Coppola

Un parrain du crime organisé occupe une double fonction patriarcale : celle du père de famille (en particulier dans la mafia italienne ou italo-américaine), mais aussi de primus inter pares au sein du « milieu ». Dans l’imaginaire cinématographique, qui symbolise mieux cette double fonction que Vito Corleone, dans la saga du Parrain de Francis Ford Coppola ? La séquence inaugurale – iconique – du premier film l’illustre à merveille : avant de pouvoir se mêler aux invités du mariage de sa fille et jouer son rôle de père, il « reçoit » dans son salon des doléances diverses et variées. Au criminel brutal, sans foi ni loi, Brando oppose la force tranquille qui impose son autorité naturelle comme un gentleman, sans hausser le ton ni presser (lui-même) la détente. Le comédien fait de la figure du parrain mafieux un héros de cinéma, à tel point que son personnage devient à lui seul un nouvel étalon qui nourrira une myriade de personnages de cinéma dans les décennies suivantes. Autre double : alors que Vito Corleone est le patriarche veillant sur sa grande famille, et notamment ses quatre enfants (et son fils adoptif Tom Hagen), Brando joua exactement le même rôle sur le plateau de tournage vis-à-vis de ses jeunes collègues (Duvall, Pacino, Caan) qui l’idolâtraient. Il défendit ainsi notamment la place du jeune et inexpérimenté Al Pacino dans le rôle de son fils à l’écran. Et dire que Brando n’aurait jamais dû hériter du rôle ! Dans les limbes du système hollywoodien depuis une dizaine d’années, persona non grata à cause de son tempérament ingérable, il fallut toute la ténacité et l’ingéniosité de Coppola pour qu’il décroche le rôle. Le résultat tient en un mot : inoubliable. Marlon Brando n’est-il pas, en somme, un peu le papa de tous les amoureux de cinéma ?

Thierry Dossogne

Chishû Ryû, dans le cinéma de Yasujirô Ozu

Quand on pense au cinéma de Yasujirô Ozu, deux acteurs viennent immédiatement à l’esprit : Chishû Ryû et Setsuko Hara, liés par une relation père-fille dans bien des longs métrages du cinéaste japonais. Chez Ozu, la famille est au cœur de la dramaturgie : il s’agit presque toujours d’une histoire d’incompréhension entre deux générations, avec d’un côté la figure paternelle portant en elle le poids des traditions sociales et du passé familial, et de l’autre, la jeune fille rêvant d’émancipation de ces structures patriarcales – et dont la problématique du mariage cristallise toute la dimension aliénante. Pour autant, aucun des deux « camps » n’est caricaturé ou jugé : aussi les personnages de pères qu’incarne Chishû Ryû, dans toute leur complexité, ne sont-ils jamais détestables, mais au contraire profondément sympathiques malgré leur décalage avec la marche « moderne » du monde. D’autres acteurs ont joué de grands rôles de pères chez Ozu, mais aucun n’a su donner à ses personnages autant de nuances : Takeshi Sakamoto, dans la première partie de carrière d’Ozu, était le bon père n’hésitant pas à se sacrifier pour ses enfants ; Shin Saburi, dans la dernière période, dégageait quelque chose de plus sévère et antipathique de par ses positions inébranlables et son traits graves. Seul Chishû Ryû semble avoir toujours réussi cet équilibre : être l’obstacle à l’émancipation de sa fille, mais finissant par revenir sur ses positions (par amour démesuré pour ses enfants et grand discernement vis-à-vis de ses propres certitudes). Dans Les Sœurs Munakata, il est pris en étau entre une fille ayant embrassé le mode de vie familiale traditionnel qu’il souhaitait, et une autre affirmant son indépendance et sa volonté de profiter de sa jeunesse. Dans les quatre variations que sont Été précoce, Printemps tardif, Fin d’automne et Le Goût du saké, il est ce père, veuf à deux reprises, dont la solitude et l’égoïsme le poussent à vouloir garder sa fille auprès de lui au détriment de son épanouissement ; ou bien celui qui voudra lui choisir un mari sans lui laisser son mot à dire. À chaque fois, c’est par de grandes discussions, les yeux dans les yeux, que son changement de paradigme s’opérera, jusqu’à accepter de libérer sa fille de l’emprise paternelle. Enfin, mentionnons évidemment le chef-d’œuvre, Voyage à Tokyo, dans lequel Chishû Ryû apparaît plus âgé, grand-père venant rendre visite à ses enfants ayant eux-mêmes famille, travail et enfants ; personnage magnifique au-dessus duquel planera toujours ce décalage générationnel, mais aussi l’imminence de la mort qui viendra nuancer la gravité de ces conflits éternels, pour faire regarder tous les personnages dans la même direction. Chishû Ryû restera pour toujours ce père autoritaire mais profondément aimant, inoubliable pour cette voix calme, ce phrasé lent, ce sourire bienveillant et ces yeux débordants de sagesse.

Jules Chambry

Cooper, Interstellar de Christopher Nolan

Quand on ouvre le film avec ce père-là, qui chasse un planeur en voiture, entre les champs, on le croirait presque banal. Un fils, une fille, un père seul, veuf. Quelques poussières d’étoiles aidant, la triade se disperse et met de côté un fils aussi taiseux que terrien. La relation père-fille se tisse au-delà du temps, de toute raison et d’une cohérence scénaristique qu’on oublie en route. Passé les trous de vers, le père ne rentre pas à l’heure, sa fille atteint l’âge qu’il avait en partant, celui-là que les enfants atteignent quand ils n’ont pas tout le temps la chance d’en parler avec leurs parents. Le père, lui, échange avec ses enfants, sa fille, par écrans interposés, au fond d’un vaisseau spatial qui ne le ramènera pas chez lui. Loin de la chambre de sa fille, il se laisse oublier, c’est probablement son souhait, tenu devant le visage d’un souvenir de petite fille. Le temps est surtout une histoire de mémoire. Ceux qu’on oublie disparaissent peut-être à jamais, dit-on de temps en temps. Un vrai trou noir. Dans ces espaces plus contigus qu’ils n’en ont l’air, un père dissous s’est construit en pleine abstraction, laissant une chambre comme une bulle renfermant tout ce qu’il y avait lâchement laissé. Peu importe la Terre et son destin, quand résonnent les orgues, c’est un père et sa fille qu’on entend. Leur relation étreint toutes les lumières. C’est à la fois vertigineux, injuste et destructeur. Mais c’est une histoire toute simple, pleine d’amour et de gravité. C’est Interstellar.

Romaric Jouan

Marin, Le Monde de Némo d’Andrew Stanton et Lee Unkrich

Marin et Némo ne sont pas seulement les personnages qui ont popularisé les poissons-clowns. Le Monde de Némo est une œuvre d’aventures parsemée de tout une palette d’émotions. Et au centre du film se trouve une inoubliable figure paternelle. Veuf élevant seul son enfant, Marin a tout du papa poule bichonnant tellement son enfant que celui-ci se sent étouffé. Mais quand Némo est capturé par des plongeurs, Marin se lance dans l’aventure de sa vie, uniquement guidé par sa volonté de sauver son fils. Marin le casanier sort de son petit territoire bien rassurant. Marin, pour qui les autres représentent des dangers potentiels, va devoir aller à leur rencontre, comprenant qu’il ne peut pas sauver seul son fils. Si cette aventure a fait grandir le fils, elle a aussi été une leçon pour le père.

Hervé Aubert

Travis, Paris, Texas de Wim Wenders

Père absent ayant abandonné sa famille, Travis n’a rien d’un père modèle. Disparu pendant 4 ans il réapparaît mystérieusement dans le désert Mojave et retrouve son fils qui a bien grandi. Il essaie de se racheter auprès de celui-ci, bien qu’étant quasiment un parfait inconnu pour lui.
Hanté par son comportement passé, Travis se décide de renouer les liens de sa famille disloquée par sa faute en reprenant contact avec sa femme, et ainsi de permettre à son fils Hunter de connaître sa vraie mère. Et de repartir aussi subitement qu’il est venu. C’est une figure de père flou, lointain, conscient de ses tares et d’avoir détruit ce qu’il avait construit. Il se rend compte qu’il ne peut pas assurer son rôle comme il se doit, aussi décide-t-il de rester une présence fantomatique ; après quelques jours passés comme un rêve ; pour son garçon qui a finalement été élevé par son frère et sa femme. Peut-être en effet ne vaut-il mieux pas ébranler cette structure familiale plus solide que la sienne…
Flora Sarrey

Dark Vador, dans la trilogie Star Wars

« Je suis ton père ». Cette révélation brutale et inattendue de Dark Vador dans Star Wars Épisode V : L’Empire contre-attaque est rapidement devenue une réplique mythique du cinéma. Effroyable, dramatique, elle constitue le tournant essentiel de la saga originale et un choc émotionnel violent pour Luke. Au début de ses aventures, le jeune Luke, orphelin élevé par son oncle, possède de son père une image idéalisée, partiellement alimentée par les mensonges d’Obi-Wan Kenobi. Il croit en un père combattant, excellent pilote, qui a combattu courageusement avec la résistance. Comme son père, Luke n’aspire qu’à s’envoler vers les étoiles. En apprenant la triste réalité, Luke comprend que son destin sera d’affronter Dark Vador. Ce dernier, bien qu’il apparaisse indifférent, a toujours nourri un certain désir de retrouver son fils, surtout lorsqu’il réalise que Luke a donné l’assaut décisif dans la destruction de l’Étoile de la Mort. Il rêve que son fils bascule du côté obscur afin de pouvoir régner avec lui sur toute la Galaxie. C’est précisément ce que Dark Vador propose à Luke après lui avoir avoué sa paternité. Au lieu de vouloir le tuer, il cherche à rendre son fils à sa propre image en lui coupant le bras droit. A cet égard, il est un père extrêmement narcissique mais pas dénué de tout sentiment. Au cours de l’Épisode VI, Luke commence à déceler une faille derrière le masque de Dark Vador, le côté lumineux resurgir en lui. Lorsque L’Empereur, qui commet l’erreur de ne pas douter de son apprenti, s’apprête à tuer Luke, le côté clair enfoui en Dark Vador déchire le voile du côté obscur. Le père sauve la vie de son fils, et par cet acte, se sauve lui-même. La colère, l’égocentrisme s’envolent. Ainsi, la dernière volonté d’Anakin Skywalker est de nouer un véritable lien avec son fils, en le regardant sans masque, de ses propres yeux. C’est pourtant avec son masque que Luke enterrera dignement son père, comme pour rappeler une dernière fois la gloire passée du héros qu’est devenu Dark Vador.

Ariane L. Emmanuelle

Tom, History of Violence de David Cronenberg

Tom de History of Violence est un père terriblement iconique. Un homme, sorte de mâle alpha héros d’une tragédie grecque dont la puissance virile se fissure de minute en minute. Il est la représentation d’une nation, celui d’une Amérique qui vit et a bâti ses fondations sur le sang et la violence. Malgré tous ses efforts pour vivre normalement, pour dissimuler sa rage et faire comme si de rien n’était, le naturel revient vite au galop, dans des explosions de violence que le film magnifie par une mise en scène tirée au cordeau. Ce qui est sublime dans ce personnage, incarné par un Viggo Mortensen d’une brutalité et d’une mélancolie foudroyantes, c’est que l’image de père idéal aux valeurs familiales qu’il semble dégager, explose en plein vol et voit le film parler avec finesse de la rédemption et de la repentance. Sans moraliser le passé, qui nous suit quoi qu’il en coute, David Cronenberg dépeint une société violente, telle une jungle où seul le lion rugit à la fin, et où Tom devient les stigmates et la victime d’une nation pleine de simulacre. 

 

Sébastien Guilhermet