Sourires d’une nuit d’été est sûrement le film le plus accessible d’Ingmar Bergman. Entre marivaudage et inspiration shakespearienne, le réalisateur fait preuve de légèreté et d’humour, alors qu’il sort d’une profonde dépression.
Synopsis : En 1900, Frederik Egerman, un quadragénaire séduisant, épouse en secondes noces Anne, qui a 16 ans, comme son fils Henrik, étudiant en théologie. La jeune épouse, insatisfaite, se laisse aller à des confessions auprès de Petra, la femme de chambre. De son côté Frederik retrouve son ancienne maîtresse, Désirée. Commence alors un véritable chassé-croisé amoureux et une folle nuit entre plusieurs couples…
Des thèmes bergmaniens sous une apparente légèreté
Sourires d’une nuit d’été, ou Sommarnattens leende en suédois, signifie en réalité « les sourires » et fait allusion à la nuit de la Saint Jean pendant laquelle le soleil ne se couche pas. Avec poésie, Bergman fait dire à ses personnages que la nuit d’été sourit trois fois : aux jeunes amoureux découvrant l’amour, aux fous et aux malheureux. Le nom du film est également une référence à la pièce de Shakespeare, Songe d’une nuit d’été, seule oeuvre fantastique de l’auteur à l’exception de La Tempête. Bergman garde aussi l’idée du filtre d’amour, comme dans Songe d’une nuit d’été où le lutin Puck doit rapporter un filtre d’amour à Titania, la reine des fées.
Dans la plupart des films de Bergman où apparaissent des couples, même lorsqu’ils s’aiment, ils éprouvent des difficultés à vivre ensemble. S’il traite fréquemment le sujet sous son aspect le plus dramatique, il l’aborde ici avec la même habileté que le ferait Marivaux dans ses pièces lorsqu’il s’intéresse aux jeux de l’amour et du hasard. Dans Sourires d’une nuit d’été on découvre des couples insatisfaits, ne trouvant pas d’harmonie et ne parvenant pas à comprendre les désirs de l’autre. Malgré ces problèmes de communication les hommes et les femmes finissent par reformer des couples. La nuit magique de la Saint Jean leur permet de se retrouver et de se séparer dans une soirée animée, dans un unité de temps que l’on retrouve fréquemment au théâtre.
Sous des aspects comiques en surface, pointent en réalité des sujets plus profonds comme les rapports complexes père-fils, les sentiments entre les hommes et les femmes et leurs relations, la vie elle-même (est-elle un songe ?). Le rire permet de dire bien de choses, et de créer une distance avec les situations plus difficiles, que nous affrontons tous un jour ou l’autre.
Les rapports entre les hommes et les femmes sont bousculés, tout comme le sont les classes sociales. Bergman inverse les rôles et laisse la servante prendre le dessus sur son patron ; les rapports entre maîtres et valets pourraient être ceux des pièces de Molière ou des films de Renoir. Les rapports sont aussi renversés par le fils étudiant en théologie – ce qui rappelle la jeunesse de Bergman puisque son père était un pasteur rigoriste – qui change l’ordre des choses en partant avec Anna, la 2e épouse de son père. La scène montrant Henrik rattrapant le voile blanc qui vole au vent symbolise d’ailleurs bien la virginité qu’Anna refuse d’offrir à son mari… mais dont elle se défait avec Henrik. Le fils va jusqu’à dire au père : « une personne mûre comme toi connaît tout de l’amour? » avec une pointe d’ironie.
Un film atypique qui permet à Bergman d’accéder à une renommée internationale
Le sujet de l’adultère est un thème cher à Bergman : marié 5 fois, époux peu fidèle il montre ici des couples passionnés qui analysent pourtant la portée morale de leurs actes sans pour autant renoncer à tromper l’être aimé.
Les personnages ont une vraie dimension érotique, inhabituelle à l’époque. Ils allient la parole aux actes : le baiser que semblent se donner la maitresse et la servante, la poitrine dévoilée ou les couples ayant épouse et maîtresse à la fois sont autant d’exemples.
La plupart des personnages du film connaissent l’humiliation, ce qui illustre leur souffrance intérieure. Fredrik car il est devenu veuf et épouse une jeune femme de 16 ans qui ne va pas vers lui, Désirée car en dépit de son succès en tant que comédienne elle est quittée par les hommes et semble être un deuxième choix. Autre source de complication, l’actrice a un amant régulier, le Comte Carl-Magnus Malcolm, possessif. Pourtant, Bergman semble s’interroger sur la supériorité de la femme sur l’homme, se montrant avant-gardiste sur ce thème si actuel. Les personnages apparaissent vulnérables, ils semblent ne pas pouvoir s’en sortir, comme prisonniers d’un cercle vicieux. Certains vont même jusqu’à jouer à la roulette russe pour les beaux yeux d’une femme, pour se prouver qu’ils sont des hommes et qu’ils méritent l’attention de la femme. Une scène qui fait écho aux envies de suicide du réalisateur.
Comme toujours avec Bergman le théâtre est très présent : Désirée, l’ex-maîtresse de Fredrik est une comédienne renommée ; le jeu parfois théâtral illustre bien le fait que certains des acteurs du casting et Bergman lui-même viennent du monde du théâtre ; les dialogues eux-mêmes – et certaines situations cocasses – font penser au théâtre populaire. S’ajoute aussi le fait que dans le cadre champêtre où se situe l’action, les personnages ne sont pas dérangés par des éléments extérieurs et sont tout à leur passion, leurs jeux amoureux, comme au théâtre.
Tourné en 55 jours, Sourires d’une nuit d’été a marqué les esprits et inspiré Broadway qui en a fait une comédie musicale en 1973, A little night music, puis un film musical en 1977. La boucle semble donc bouclée puisque c’est sur la scène du Théâtre de Malmö que le réalisateur a découvert de nouveaux acteurs quand il était directeur artistique et metteur en scène. Avant d’être Désirée (Eva Dahlbeck), Anne (Ulla Jacobsson) et Henrik (Björn Bjelfvenstam) les acteurs ont tous été remarqués sur les planches par Bergman, qui les a intégrés au casting de son film.
Sourires d’une nuit d’été permet à Bergman d’accéder au succès international, grâce aux « Prix de l’humour poétique » obtenu à Cannes en 1956. Le film est pourtant bien différent du style habituel de Bergman, même si on y retrouve son goût prononcé pour le théâtre et son grand art dans la manière de diriger les acteurs, quels qu’ils soient.
Sourires d’une nuit d’été : bande-annonce
Fiche Technique – Sourires d’une nuit d’été
Titre original : Smiles of a Summer Night
Réalisation : Ingmar Bergman
Scénario : Ingmar Bergman
Interprétation : Interprétation : Ulla Jacobsson (Anne Egerman), Eva Dahlbeck (Desiree Armfeldt), Harriet Andersson (Petra), Margit Carlqvist (comtesse Charlotte Malcolm), Gunnar Björnstrand (Fredrik Egerman), Jarl Kulle (comte Carl Magnus Malcolm), Åke Fridell (Frid)..
Musique : Erik Nordgren
Photographie : Gunnar Fischer
Montage : Oscar Rosander
Maisons de production : Svensk Filmindustri (S.F.)
Distribution (France) : Carlotta Films
Durée : 108 mn
Genre : Comédie
Date de sortie : 20 juin 1956
Suède – 1955