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Les plus belles Palmes d’or : Le Poison de Billy Wilder

Le Poison, adaptation du livre du même nom de Charles R. Jackson, constitue le plus grand succès de Billy Wilder, son oeuvre la plus récompensée avec quatre Oscars, dont celui du meilleur film, et une Palme d’Or en 1946. C’est également le premier film à ouvertement traiter de l’alcoolisme comme d’une maladie.

Le Poison est un film éblouissant pour plusieurs aspects. Déjà de par son écriture, passée entre les mains de Charles Brackett et également de Billy Wilder lui-même. Les deux scénaristes font un très beau travail de narration, car ils réussissent à jouer sur la corde sensible de l’alcoolisme en allant pleinement dans le tragique, mais sans juger le personnage principal auquel le spectateur arrive à s’attacher. Car ils n’utilisent pas le thème de l’alcoolisme pour le juger, ni pour s’en moquer mais pour le prendre en pitié. Pour l’époque, représenter l’alcoolisme comme une maladie est une première. On assiste à une véritable descente aux enfers où se côtoient whisky et rêves perdus. Mais là où le film aurait pu sombrer dans un trop lourd pathos, la plume suffisamment délicate des deux auteurs réussit à concilier tragique et espoir. Bien sûr, l’histoire du long-métrage est triste, et il est traité comme tel, mais sans remuer le couteau dans la plaie de manière tire-larmes.

Le personnage de Don Birnam est agaçant, mais il est suffisamment bien écrit (et interprété) pour que ses tiraillements intérieurs se ressentent. C’est un personnage au visage humain, qui souhaiterait au plus profond de lui-même réussir à concilier sa vie amoureuse avec sa chère et tendre Helen et son succès littéraire. Sa terrible addiction à l’alcool, dont il souffre depuis de longues années, l’en empêche. Devant un tel drame, ses proches réagissent chacun à leur façon, eux aussi avec beaucoup d’humanité. Helen St. James s’accroche à son amour, refuse de le voir comme perdu à jamais, essaie tant bien que mal de soigner ses démons avec toute son affection, jusqu’à dormir sur son palier. Son frère Wick le considère comme un être impossible à sauver, lui qui lui a donné plusieurs chances et s’occupe de lui depuis tant d’années. Les dialogues laissent entendre que Don vit à ses crochets, alors il finit par abandonner, non sans désespoir. Finalement, qui réagirait autrement ? Ces personnages sont touchants car ils paraissent normaux.

Un autre aspect éblouissant est bien sûr la photographie du long-métrage, comme toujours chez Billy Wilder, qui a encore une fois collaboré avec John F. Seitz, ce qui lui vaudra une nomination aux Oscars. Il joue avec le noir et le blanc, symboliquement représentant le bien et le mal, ce qui donne lieu parfois à des jeux de lumières sublimes, d’autant plus mis en avant par la réalisation toujours très intelligente du réalisateur.  Il utilise des gros plans et inserts pour souligner l’alcoolisme de son personnage. Par exemple quand celui-ci se ressert, la caméra insiste sur les marques rondes que laissent les verres sur le bar. Cependant Wilder sait parfois rendre cette réalisation discrète, notamment dans la scène de la « révélation », dans laquelle Don Birnam avoue à sa compagne le problème qui le ronge. Le but ici est d’arriver à illustrer le scénario d’une manière simple et pas tape-à-l’œil. Ce qui prédomine dans cette scène est surtout le jeu des acteurs, qui frôle la perfection, Ray Milland en alcoolique désespéré, Jane Wyman en femme aimante, surprise par de telles révélations, sans oublier Phillip Terry, très juste.

Le réalisateur réussit à créer des scènes marquantes, comme celle de la « révélation », mais on retient le plus celle de l’hôpital, ou du delirium tremens, avec les hallucinations de Don qui voit une souris se faire tuer par une chauve-souris. Elles soulignent l’importance de sa maladie et le fait que c’est un sujet très sérieux, dont on peut ne pas se relever.

En somme, Le Poison est un pionner en matière de traitement des addictions (dans une Amérique où c’est une des premières causes de mortalité), mais également un maître en ce qui concerne l’écriture du scénario et des personnages, et une des meilleures réalisations de Billy Wilder, même si ce n’est pas sa plus connue (on pense plus souvent à Boulevard du Crépuscule). Une Palme plus que méritée.

Le Poison : Bande-annonce

Le Poison : Fiche Technique

Titre original : The Lost Weekend
Réalisation : Billy Wilder
Scénario : Charles Brackett, Billy Wilder d’après l’oeuvre de Charles R. Jackson
Interprétation : Ray Milland, Jane Wyman, Phillip Terry
Image : John F. Seitz
Montage : Doane Harrison
Musique : Miklos Rozsa
Société de distribution : Paramount Pictures
Budget : 1, 25 million $
Récompenses : Oscars du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur. Palme d’or 1946 du Festival de Cannes.
Durée : 101 minutes
Genre : Drame
Date de sortie : 14 février 1947 (France)