Mad Max : Genèse d’une saga culte

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Bienvenue dans l’enfer Mad Max !

Dire que Mad Max : Fury Road est attendu semble relever, aux yeux des récents événements que sont sa sélection au Festival de Cannes ou son adoubement par Tom Hardy, d’un euphémisme confondant. Il faut dire que les nombreuses bandes annonces du dernier né du cerveau de George Miller ont eu de quoi affoler les cinéphiles du monde entier et la rédaction, tant cet élan dévastateur de folie et de sable parvenait en l’espace de 120 secondes à peine, à pardonner trois décennies d’attentes envers son faiseur.

Un faiseur, George Miller qui, conscient de sa chance de pouvoir continuer à subsister au sein de ce microcosme délirant qu’est Hollywood a tenu, quitte à jouer son ultime atout, à voir les choses en grand : 100 millions de dollars de budget (somme astronomique s’il en est quand on la compare aux maigres 350 000 du premier film) tournage en Namibie et casting de très haute volée avec le badass Tom Hardy, la vénéneuse Charlize Theron et l’étoile montant Nicholas Hoult, le tout animé par une seule volonté et non des moindres que celle de littéralement ébranler le genre du film d’action.

Pourtant, alors que ce festival pyro-apocalyptique est sur le point de débarquer dans les salles obscures du monde entier, non sans avoir au préalable eu le privilège de fouler le tapis rouge de Cannes, ou la standing ovation sera très certainement de rigueur, et alors que des masses déchaînées de spectateur vont se ruer sur cet OVNI sableux sorti de nulle part, il importait à la rédaction de Cinéséries-Mag, face à la horde de fans en bas-âge gravitant autour du projet simplement pour ses images et non pour l’héritage et le message qu’il renferme, de combler les lacunes de certains sur l’univers malsain et steam-punk de la franchise dont ce quatrième volet portera bien haut l’étendard.

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Car malgré le vent de fraîcheur que suscite le projet, à la lisière entre volonté revancharde et démonstration de talent, Mad Max : Fury Road a une histoire. Un héritage laissé en jachère depuis 30 ans et la sortie du dernier volet auquel ce quatrième opus, bien que ne voyant pas Mel Gibson ré-endosser la mythique veste en cuir, se doit d’adhérer quitte à devoir se mettre à dos tous les fans de la première heure.

Et quelle histoire ! Non content d’avoir ouvert la voie au genre post-apocalyptique, démocratisé avec ce dernier, Mad Max s’affirme également comme le sursaut d’orgueil, si ce n’est le réveil en fanfare d’un cinéma devenu aujourd’hui rugueux, dur et tranchant : le cinéma australien. Ardemment porté de nos jours par John Hillcoat (La Route, Des Hommes Sans Loi) et David Michod (Animal Kingdom, The Rover), le cinéma australien ne serait rien sans George Miller et George Miller ne serait rien sans Mad Max. Une étonnante concordance qu’il importait à la rédaction de rappeler, autant pour améliorer votre culture cinématographique que pour vous informer du riche passif dans lequel baigne Mad Max Fury Road qu’il nous tarde déjà de voir.

Une étrangeté nommée Mad Max.

Jusqu’au milieu des années 1970, le cinéma australien n’est connu que d’une poignée de cinéphiles. Solitaire et brassant un certain intimisme car articulé autour de traditions folkloriques, son audience peine alors à s’exporter. Pourtant, cette même décennie verra ce cinéma jusque alors destiné à ne jamais éclore à la surface du monde, opérer un revirement spectaculaire, le tout sous l’impulsion de certains cinéastes. Et au sein de cette mouvance, va d’ailleurs se détacher un film très énigmatique : Mad Max.

Délaissant les genres habituellement traités, le film, en plus de compter une équipe technique et un casting inconnus, témoigne d’un dynamisme et d’une violence jusque alors jamais vus, quitte à tétaniser les foules s’étant risqués à aller voir ce que l’Histoire retiendra comme le « road-movie des temps modernes » Au volant de ce film, un inconnu du nom de George Miller, étudiant en médecine, qui découvrira sa réelle vocation le jour où il franchira les portes du quartier hospitalier des accidents de la route. À la vue de ces corps mutilés par le bitume et les éclats de tôle, ce natif du Queensland va comprendre qu’une histoire peut être racontée. Au programme de celle-ci, des voitures, des accidents, un trauma, et beaucoup de folie.

Surfant sur l’évident passé de son pays (les premières populations australiennes sont des prisonniers exilés par l’Empire Britannique) pour concevoir la sève résolument folle dangereuse de son long-métrage à venir, Miller attendra pourtant quelques années, le temps de prendre du galon et de s’entourer de collaborateurs loyaux et suffisamment fous pour le rejoindre sur ce projet aux ramifications sommes toutes sibyllines. Allouant un budget de 350 000 dollars à son film (un budget très limité pour l’époque), Miller se lance dans le tournage. Éprouvant, riche en mauvais souvenirs, ce dernier ébranlera profondément le cinéaste, irrité par son film qu’il juge « techniquement insuffisant ». Pourtant, rien n’aurait pu le préparer au succès d’estime que le film rencontrera aux quatre coins du monde, se payant d’ailleurs le luxe de devenir l’un des plus rentables de tous les temps puisque engrangeant pas loin de 100 000 millions de dollars.

History of Violence

Narrant à travers une vision résolument pessimiste la déliquescence d’un monde devenu gangrené par la sauvagerie et le chaos, Mad Max ne se voulait pourtant pas un film destiné à rassembler les foules. Manichéen, dangereux, violent, anticonformiste, Mad Max cultivait avec un rare sens de justesse la différence revendiquée par son auteur, issu non pas d’école spécialisées mais des couloirs d’hôpitaux. Une différence, devenue depuis la sève de cet univers, qu’on aperçoit dès les premières minutes du film, ce dernier s’ouvrant sur une course poursuite d’une dizaine de minutes tout simplement hallucinante, renvoyant Bullit et French Connection au tapis, car témoignant déjà du talent de son auteur, et ce notamment pour la technique.

Cadrages au format Scope, montage, mouvements de caméra (tout dans cette entame est millimétrée) tandis que le héros ne se dévoile que progressivement au gré de ses bottes, puis de son dos, pour finalement arriver sur les lunettes noires et le visage fringuant d’un Mel Gibson, jusque alors inconnu, et endossant ici la veste en cuir d’un officier de police nommé Max Rockatansky. Évoluant dans un univers en plein chaos et en proie à la plus vile sauvagerie, ce dernier n’attendra hélas que très peu de temps avant de subir les effets de ce monde au futur peu engageant, quand il fera face à l’assassinat de sa femme et de son enfant, perpétré par des ennemis, qui le feront basculer jusqu’au point de non-retour, justifiant enfin le titre du film, s’acheminant vers un dénouement nihiliste. 90 minutes plus tard, le verdict est sans appel : autant bizarre que dévastateur, ce premier film, ayant laissé mi-figue, mi-raisin bon nombre de critiques, séduit pourtant les foules de par son crédo novateur osant mélanger le western, le désespoir, la folie, un style punk bien senti étonnement cohérent et une ambiance post-apocalyptique bestiale et chaotique.

Faisant fi d’un projet pauvre en moyens mais riche en idées, Miller obtiendra une reconnaissance méritée au Festival d’Avoriaz, plus important festival de cinéma de genre, vantant le montage, préalablement décrit comme se rapprochant des effets d’un accident de voiture – ce dernier souhaitant en effet « créer un spectacle qui ait la force d’impact d’un accident et qui agit en tant que catalyseur d’une violence quotidienne ».

À la fois digne d’un technicien hors pair et d’un homme avisé ayant constaté la fragilité d’esprit et la bestialité propre à chacun héritée du choc pétrolier de 1973 : « Les chocs pétroliers ont montré que les australiens pouvaient se révéler féroces dès lors qu’il s’agissait de défendre leur droit à remplir leur réservoir ! », Mad Max sonnera comme le renouveau du cinéma australien. Un renouveau, opéré par Miller, qui souhaite cependant ne pas réitérer l’expérience, malgré l’insistance pressante des studios. Et c’est seulement à la vue du succès ayant embrassé une large diversité de publics, que Miller, conscient d’avoir créé un héros auquel un simple spectateur lambda peut s’attacher, décide de revenir.

Une suite très référentielle.

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Motivé par son désir de «développer l’aspect mythique du personnage», Miller reviendra à la charge moins de deux ans après avec Mad Max 2, considéré par bon nombre de fans, comme le meilleur réalisé et le plus représentatif de sa vision. Développant le personnage de Max, qu’on avait quitté à bord de son bolide sillonnant le bitume Miller, dans son souhait de le rendre mythique, décide d’opter pour une ouverture digne d’un conte/légende.

Voix-off laconique, montage saccadé et noir et blanc, tout indique que le « Road Warrior » du monologue qui se fait entendre désigne Max. Après une guerre nucléaire qui a vu l’effondrement de la civilisation moderne, le monde est totalement dévasté et notre protagoniste erre sur les routes, à la recherche de la nourriture la plus courue du pays : l’essence. Et au gré de son voyage, le voilà à découvrir une raffinerie de pétrole gérée par des fuyards, et dont une bande de motards souhaitent prendre le contrôle. Décidant d’aider les habitants de la raffinerie, voilà que Max fait face à une horde de motards grimés en drag-queens prêts à l’égorger pour mettre la main sur les barils contenus au sein du camp.

Assumant une fois de plus un étonnant minimalisme dans son histoire, cette fois-ci revisitant le genre du western par le biais des archétypes du fort et de la diligence pris d’assaut par les indiens, Miller, parvient pourtant à contrebalancer les défauts de son film précédant en maximisant une fois de plus sa technique. Doté d’un budget 10 fois plus élevé, ce dernier peut s’adonner à la recherche de plans novateurs pour l’époque, (n’hésitant ainsi pas à équiper ses caméras sur les pare-chocs des voitures du film pour précipiter le spectateur au cœur de l’action), le tout sans sacrifier son montage, encore une fois réglé au millimètre.

Convoquant autant les westerns de Sergio Leone pour la construction et le mutisme de certains personnages; que la peur d’un monde en proie à une dépendance énergétique pour l’aspect désespéré de la situation, et la crainte du nucléaire, Mad Max 2 s’affirmera ainsi comme étant une œuvre plus poussée, plus profonde et aussi plus enivrante car donnant enfin aux spectateurs le spectacle voulu initialement par Miller. Plus physique, et doté de thématiques allant à contrecourant du premier film (le thème de la rencontre est un thème majeur du deuxième volet tandis que le premier ne laissait filtrer que la revanche), Mad Max 2 se démarquera de la mêlée cinématographique mondiale et rendra incontestable le talent de son auteur, qui se fera peu de temps après adouber par Steven Spielberg en personne.

Un troisième film à la tonalité différente.

Pourtant, malgré la reconnaissance et la gloire, Miller semble encore désireux de porter sur grand écran une nouvelle aventure de Max. Après quatre ans de gestation et une trame puisée au sein d’un documentaire sur les tribus d’enfants sauvages, Miller sort enfin en 1985 Mad Max : Au-Delà du Dôme du Tonnerre.

Accueillant au sein du casting la chanteuse-diva Tina Turner, ce nouveau volet, sans doute pour éviter un certain sentiment de redite, décide d’aller là où on ne l’attend pas. Plus question ici d’embraser à toute berzingue le bitume aride d’Australie, mais davantage de disséquer les fondements sociaux et étatiques d’un groupement de gens placés dans ce contexte post-apocalyptique. Délaissant de fait la route, pour se concentrer sur le fonctionnement d’un système et notamment les relations humaines y étant attachées, ce troisième volet propose une étonnante déviance aux deux premiers films, expliquant sans doute les nombreux avis dissidents des fans, n’ayant pas adhéré au film. Et pourtant, il apparaît à bien des égards que ce troisième volet affiche une richesse indéniable. Monde de survivants, le monde de Mad Max, Au-Delà du Dôme du Tonnerre est une société post-apocalyptique au milieu de nulle part, obéissant à des règles strictes et se parquant dans la ville du Troc, patchwork culturel ou se côtoient les costumes, coiffures, jeux hérités des cultures romaines, orientales et arabes. Témoignant d’un multiculturalisme étonnant compte tenu de la tonalité du film, ce troisième volet n’abandonnera pas pour autant son héritage et sa composante déjà bien racée. Perpétuant la gamme punk et la violence sauvage et quasi primale des deux premiers volets, Mad Max, Au-Delà du Dôme du Tonnerre osera pourtant cultiver sa différence sur le point de vue émotionnel et notamment sur le profil et la psychologie de Max.

Relégué au statut de vengeur dans le premier film, à celui d’un être dont l’humanité commence à se dévoiler dans le deuxième volet, le personnage de Mel Gibson prend enfin dans ce film le temps de se voir éludé et peut ainsi laisser court à un cheminement où se traceront autant un retour à l’humanité qu’une démystification du sens de la vie.

Un projet dormant.

À l’issue de ce troisième volet, accueilli fraîchement par une bonne frange de fans, George Miller en a alors fini de manière officielle avec Mad Max. Refusant de s’enfermer dans un genre, ce dernier multipliera alors les films, quitte à s’adonner tantôt au film fantastique (Les Sorcières d’Eastwick) tantôt au drame (Lorenzo), avant de se prendre au jeu du film d’animation avec les deux films Happy Feet.

Pourtant, au gré de sa carrière post-Mad Max, George Miller sera fréquemment confronté à la demande de fans de donner à Max un dernier baroud d’honneur. Devenu une véritable arlésienne dans sa filmographie, le projet ne cessera d’alimenter les rumeurs, tantôt annoncé, puis supprimé, puis relancé, quitte au début des années 2000, à afficher Heath Ledger, pas encore starisé par Christopher Nolan, au casting. Passé par toutes les couleurs de l’arc en ciel, le projet parvient finalement et de manière assez inespérée à voir le jour en 2011-2012, donnant naissance à l’un des films les plus attendus de l’année et également de la décennie. Une attente qui, à l’heure de l’écriture de ces lignes, ne se compte plus qu’en heures, ajoutant une excitation déjà à son paroxysme à ce projet revenu des limbes d’Hollywood et dont l’originalité, dans une culture mainstream qui ne jure plus que par capes et superpouvoirs, fait chaud au coeur.

Rédacteur LeMagduCiné