À l’occasion de la sortie (19 février 2025) du film When the Light Breaks de l’Islandais Rúnar Rúnarsson, notre collaborateur, Laurent, a eu l’occasion de rencontrer son réalisateur qui était accompagné par son actrice principale, Elín Sif Halldórsdóttir, interprète du rôle d’Una dans le film. Ils ont accepté de répondre à quelques questions pour Le Mag du Ciné.
Bonjour Rúnar, bonjour Elín et bienvenue à Paris ! Rúnar, merci pour votre film When the Light Breaks. Une première question, si vous voulez bien. Est-ce que le titre international a la même signification que le titre original islandais ?
Rúnar : Oui et non. En fait, il est inévitable de faire des modifications lorsqu’on effectue une traduction. Le titre original en islandais « Ljósbrot » est en un seul mot qui signifie réfraction et évoque la dispersion de la lumière, comme par exemple à travers un prisme pour séparer les couleurs à la façon d’un arc-en-ciel. La réfraction apporte une dimension poétique à la vision des choses. Le mot islandais consiste en l’association de deux notions dont l’une signifie la lumière et l’autre casser. Il était donc impossible de traduire cela en un seul mot intégrant les deux significations. L’intention est de faire sentir qu’un fait est en réalité un assemblage de différentes composantes. On peut en dire autant pour chaque personnalité.
Oui, j’avais remarqué que le titre original est en un seul mot, c’est pourquoi je voulais vous poser la question. Je comprends When the light breaks comme un titre à double sens, celui du coucher de soleil et celui de la mort de Diddi.
Rúnar : Oui, tout à fait. Nous sommes d’accord.
Quand je vois un film islandais, je me rappelle mon intérêt pour les romans policiers d’Arnaldur Indridasson et leur aspect social par exemple. J’aimerais savoir ce que vous avez eu envie, Rúnar, de montrer de l’Islande et des Islandais dans ce film.
Rúnar : En fait, je m’intéresse avant tout à l’âme humaine de manière générale. L’histoire de When the Light Breaks se passe en Islande et avec des islandais. Mais elle pourrait se passer ailleurs dans le monde.
D’accord. Mais j’avais une idée, car le film se passe entre deux couchers de soleil successifs, ce qui donne une temporalité particulière au film.
Rúnar : Oui, on peut dire cela, je suis d’accord.
Pensez-vous qu’on puisse parler d’un cinéma islandais, ou bien êtes-vous en quelque sorte une exception ?
Rúnar : Vous savez, l’Islande est un petit pays. En fait, le cinéma islandais existe en gros depuis 15-16 ans. Nous sommes à une époque où les films voyagent, ce qui est quelque chose d’assez banal et pas spécifique aux films islandais. Mais le cinéma islandais voyage assez bien, ce qui est très bénéfique. Cependant, je serais bien en peine de définir ce que serait le cinéma islandais.
À ce propos, savez-vous combien de cinémas il y a approximativement en Islande ?
Rúnar : Des cinémas ou des salles ?
Les deux, si vous avez une idée des chiffres.
Rúnar : L’Islande est un pays de cinéma. Les Islandais aiment aller au cinéma et dans nos salles on peut y voir des films de qualité. D’ailleurs, la France, comme l’Islande, est un pays de cinéphiles. Attendez, je fais le compte dans ma tête. Je vois 6 cinémas à Reykjavík et dans la banlieue. Sinon, dans le pays, il y en a une vingtaine qu’on peut appeler des cinémas.
Avec plusieurs salles de projection ?
Rúnar : Certains oui. Et je peux ajouter qu’on vend environ 2 millions de tickets de cinémas par an en Islande. Cela signifie qu’en moyenne, chaque Islandais va au cinéma cinq fois par an.
Est-ce que le film est déjà sorti dans d’autres pays ?
Rúnar : Oui, il est déjà sorti en Islande fin août 2024. Et puis, il est sorti notamment en Norvège et au Danemark. Ensuite, les sorties vont se succéder, après la sortie française.
Une question à propos de la musique du film. Dans le film, on entend plusieurs fois une magnifique voix féminine chanter, accompagnée par des cordes. Pouvez-vous nous dire de qui il s’agit ? Comment l’avez-vous découverte puis choisie ? Comment l’entendre à nouveau ?
Rúnar : Dans le film, c’est trois fois qu’on entend cette voix. Mais ce n’est pas une voix naturelle. Elle est produite par un ordinateur. Et il s’agit d’une composition intitulée « Odi et Amo » par Jóhann Jóhannsson. Cette composition date de 2000 et elle était initialement prévue pour être interprétée en public. Elle marque le début de la carrière de Jóhannsson, compositeur islandais qui a fait de nombreuses musiques de film et a été nominé aux Oscars pour le film Sicario.
Dans le film, on observe un groupe de jeunes réagissant à la disparition de l’un d’entre eux, ce qui représente probablement leur première confrontation avec la mort. Pouvez-vous nous parler des acteurs de ce groupe, qui sont-ils et d’où viennent-ils ?
Rúnar : Ces acteurs viennent d’horizons différents. Ils sont tous passés par le casting et ils ont tous un peu d’expérience théâtrale en Islande. Pour évoquer le cas d’Elín, elle faisait des études théâtrales et avait tout juste 16 ans. Elle se consacre également à la musique et a participé à la sélection pour représenter l’Islande au concours de l’Eurovision. L’un des acteurs, Mikael qui joue le rôle de Gunni est un musicien. Elín le connaît car ils ont été à l’école ensemble. Elín considère désormais Mikael comme son meilleur ami. C’est le seul qui n’était jamais passé par une école théâtrale. Donc, s’ils viennent tous d’horizons différents, tous avaient un minimum d’expérience théâtrale.

Et vous, Elín, pouvez-vous nous parler d’Una ? Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle difficile, puisque vous deviez faire ressentir des impressions que vous ne pouviez pas exprimer par des mots ?
Elín : Oui, le rôle exigeait des efforts particuliers, car Elín est assez secrète. Pour moi, l’interpréter était une sorte de défi, de challenge. La seule solution pour exprimer ce qu’elle ressentait passait par les gestes, les attitudes et les expressions. L’intérêt, c’est que j’aime travailler tout cela.
Et à propos de Diddi, est-ce que vous avez évoqué avec Rúnar ce qui se serait passé si, ce jour-là, Diddi avait pu prendre son avion ?
Elín : Je pense que c’est une question assez classique du genre « Et si ?… »
Rúnar : Oui, nous avions envisagé les différentes possibilités, dans certains termes. Mais nous avons considéré que cela ne servait pas à grand-chose, parce qu’il était impossible de savoir ce que Diddi aurait fait effectivement. C’est pourquoi Elín ne s’en souvient pas trop. En réalité, cette piste n’avait pas vraiment d’intérêt.
Dans le film, on observe deux séquences où, dans un premier temps, on se demande ce que la caméra cherche à nous montrer. Puis, par un lent mouvement de caméra, cela modifie l’angle sous lequel on voit ce qu’elle film et on comprend progressivement. Est-ce que votre idée était de faire sentir qu’un même fait peut être regardé sous différents angles et prendre ainsi de nouvelles dimensions ?
Rúnar : Oui, on peut dire cela. Je voudrais dire que la beauté est la notion la plus importante, donc l’aspect esthétique de ces deux séquences m’importe plus que le reste. Il ne faut pas s’arrêter aux premières impressions, car les choses peuvent être vues sous différents aspects et apporter de nouvelles perceptions. Quelque chose d’horrible au premier abord peut révéler un tout autre aspect si vous le regardez sous un autre angle.
Dans le même veine, une séquence marquante dans le film, présente Diddi dans l’une de ses performances, en train d’expliquer à son public qu’il va leur apprendre à voler. C’est d’autant plus convainquant que vous illustrez son propos par ce que vous montrez à l’image. Pouvez-vous nous commenter cette séquence ?
Rúnar : En fait, lors de cette séquence je mets en scène une performance qui a été effectivement proposée par un artiste islandais et je suis satisfait de constater que cela fonctionne bien, car en réalité, c’est une illusion d’optique. Elle m’intéresse parce qu’elle illustre le fait que le cinéma se repose sur deux dimensions.
Ce n’était donc pas seulement un défi technique ?
Rúnar : En fait, c’est quelque chose que je suis moi-même en mesure d’expérimenter. Ce qui m’intéressait, c’était de pouvoir la mettre en place techniquement. L’important à mon sens, c’est l’émotion qu’elle procure en montrant que nos repères peuvent être modifiés. Dans l’histoire, c’est pareil : les émotions créées par le film modifient notre façon de percevoir les choses.
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Rúnar : Mes projets à venir ? Je ne peux rien dire pour l’instant.
Je comprends. Et vous Elín ?
Elín : Je tourne pour une série TV à propos de la première femme à devenir présidente. Et je voyage beaucoup pour parler de When the Light Breaks, ce qui est très excitant.
Vous envisagez une carrière internationale ?
Elín : Pour l’instant, je prends les choses comme elles viennent. Mais, comme l’a dit Rúnar, l’Islande est un petit pays. Si des opportunités se présentent, on verra ce qui sera possible.
Merci Rúnar, merci Elín. Bonne chance pour la sortie française de When the Light Breaks !
Propos recueillis par Laurent Gallard, le 10 février 2025 à Paris (Hôtel Bastille Speria).





