A la rentrée, Arte Creative a mis en ligne une nouvelle websérie : Tous Zombies. Un documentaire découpé en 13 épisodes qui s’interroge sur la place du zombie dans notre société à travers son histoire dans la pop culture. A cette occasion, le réalisateur Dimitri Kourtchine a accepté de répondre à nos questions.
Quelle est votre profession exactement, êtes-vous journaliste au départ ?
Non, je suis documentariste. Je me considère comme un réalisateur de documentaires, après les notions sont assez floues et se recoupent par endroit. Cependant j’ai un regard plus particulier et personnel sur les faits qu’un journaliste.
Avant Tous Zombies, aviez vous réalisé d’autres documentaires ?
Tout à fait, je me suis occupé pendant assez longtemps d’un programme court pour France 5, puis j’ai fait Rocky IV – Le coup de poing américain il y a trois, quatre ans et ensuite Révolution VHS produit par Arte et qui a été diffusé ce 1er septembre. Et maintenant Tous Zombies, qui est une websérie mais qui est conçue comme un tout et qui fait à peu près la longueur d’un film.
Pourquoi avoir choisi le format de la websérie plutôt qu’un long-métrage ?
C’était une donnée de départ. En fait, c’est une réflexion qu’on a eu avec Arte Creative, et notamment avec Daniel Khamdamov (chargé de programme). Eux font principalement, voire exclusivement, des webséries. Après c’est quelque chose qui colle bien avec le zombie. C’est un monstre qui est très multi-facettes et il se prête plutôt bien au format épisode. Donc à la fois c’est quelque chose que je n’ai pas vraiment choisi et au final quelque chose dont je me suis bien accommodé.
Pourquoi les zombies ? Était-ce votre idée de départ, un sujet qui vous attirait personnellement ?
Pas du tout, c’est un sujet qui a été lancé par les gens d’Arte, et donc Daniel Khamdamov, qui lui est passionné de zombies. Moi je n’avais vu quasiment aucun film de zombies auparavant. Je ne suis pas un grand adepte de films d’horreur et surtout pas de films de zombies puisque ça m’effraie vraiment. Je m’en suis tenu éloigné pendant 35 ans et voilà j’ai été obligé de m’y plonger pour la série. Mais du coup ça a été une façon pour moi de réfléchir à une question que je ne m’étais jamais posée : pourquoi ça m’effraie autant ? Qu’est-ce qui me touche au point que je sois effrayé par une simple image ? La réflexion que j’ai menée dans Tous Zombies c’est un peu ça, c’est la réponse à la question : pourquoi une telle angoisse par rapport à cette figure là en particulier ?
Vous avez réussi à interviewer George Romero. Comment arrive-t-on à convaincre un tel cinéaste de participer à une websérie française ?
En le contactant, en essayant de le convaincre, en essayant de défendre le sujet et l’angle que nous avions. On avait déjà un trailer qu’on a pu lui envoyer pour lui donner la couleur de ce qu’on allait faire. Il a bien vu que la vision qu’on défendait rejoignait en partie, voire en beaucoup de points, la sienne. Et puis on est allé le voir à Toronto quand la version remasterisée de La nuit des morts vivants ressortait au cinéma. Voilà, il y a un certain nombre de choses qui ont permis cette rencontre. Et puis c’était quelqu’un d’extrêmement ouvert, sympathique et généreux. C’est aussi dû à son caractère très agréable qu’on a pu le rencontrer.
Dans le documentaire, vous retracez toute l’histoire du zombie, de Haïti à The Walking Dead, mais qu’en est-il de son avenir ? Maintenant qu’elle est entrée dans notre culture, qu’elle est passée de marginale à mainstream, est-ce que d’après vous, la figure du zombie a encore de beaux jours devant elle ? Mais surtout, plus important, est-ce qu’elle va réussir à se renouveler ? Ou est-ce qu’elle n’a pas déjà dit tout ce qu’elle avait à dire sur notre société ?
Je ne peux pas vraiment vous dire, si moi j’avais quelque chose à dire dans une autre forme que documentaire j’essaierais de le proposer. Il y a encore des films, encore beaucoup de choses qui sont créées autour de ce monstre-là. Et des choses réussies, comme Dernier train pour Busan qui est un film coréen sorti l’année dernière. Il correspondait totalement aux codes du film de zombies : politique, angoissant, terrifiant. Il était dans la pure lignée de ce qui a déjà été fait et pourtant apportait une redéfinition, pas tellement du monstre, mais des problèmes qu’il pose. Tant qu’il y aura des problèmes humains il y aura clairement du zombie, parce que le zombie ne fait que ça : révéler les relations humaines. Comme dit Eric Dufour dans la websérie, le zombie on s’en fiche, c’est l’être humain qui est intéressant. Ce sera toujours un monstre utile. Maintenant je pense qu’effectivement, on a vécu une espèce d’apogée, et peut-être même que le zombie est en train de passer un peu de mode. Comme les zombies walks qui étaient très populaires il y a quelques années et qui aujourd’hui commencent un peu à s’essouffler. Des gens que j’ai rencontrés à Lyon m’ont dit qu’ils avaient créé ça dans l’enthousiasme il y a dix ans et que maintenant ils avaient un peu fait le tour de la question. Donc voilà, il a l’air quand même de s’essouffler, surtout le blockbuster qui l’a un peu aseptisé, il ne fait plus aussi peur qu’avant. Il faut qu’il se régénère, qu’il fasse de nouveau peur, qu’il fasse appel à nos angoisses les plus primales. Ce n’est pas du tout exclu, ce ne sera peut être pas tout de suite, mais ça va arriver.
Dans le dernier épisode, vous faites le rapprochement avec Trump mais aussi la manière dont les migrants sont montrés aux informations. Peut-être que le renouveau du zombie passera par là, qu’il deviendra à nouveau politique, qu’il représentera à nouveau la peur de l’étranger, la peur de l’autre ?
C’est ça, c’est là dessus qu’on a fini la websérie et c’est un épisode un peu polémique. Aujourd’hui il est tellement partout qu’il a fini par envahir notre inconscient. La plupart des films de zombies (et plus généralement le film d’horreur) notamment ceux de Romero étaient là pour dénoncer le racisme, démonter la façon dont on voyait l’autre. Alors que là, au contraire, on utilise ces codes pour asseoir un ordre établi et pour enfermer certaines catégories de personnes dans des clichés.
En regardant votre websérie, ça nous donne envie d’approfondir un peu plus sur le sujet, et bien qu’elle nous donne déjà pas mal de références, est-ce qu’il y a aurait un film ou une série que vous conseilleriez particulièrement ?
Oui, alors encore une fois, je ne peux pas dire que j’ai tout vu. J’en ai vu un certain nombre mais il y a une telle production qu’il est impossible d’avoir tout vu en terme de zombie. Un film qui m’a plu, même si on en parle pas dans le documentaire, c’est 28 semaines plus tard (la suite de 28 jours plus tard). J’ai trouvé que c’était un film très efficace, très bien mené et je me suis mis à la place du héros. A partir du moment où il a réussi à me questionner sur ma propre vie, c’est qu’il a réussi son coup.
Est-ce que faire ce documentaire vous a réconcilié avec le zombie du coup ?
(Rires) Oui tout à fait, ça a clairement été une façon d’exorciser ça. J’y vois beaucoup plus d’intérêt qu’avant. Je ne vais pas vous dire que je vais prendre plaisir à regarder des films de zombie mais en tout cas, j’y vois tout l’intérêt, toute la lecture qu’on peut en avoir, en quoi cette production aussi s’inscrit dans une histoire déjà longue du genre et effectivement ça devient du coup plus intéressant.
Est-ce que vous avez rencontré certaines difficultés en faisant cette websérie ?
La difficulté ça a surtout été de circonscrire le projet. Parce que le zombie est présent dans des domaines tellement différents. On a un épisode un peu bonus qu’on va mettre en ligne prochainement, à propos de scientifiques qui utilisent la forme du zombie (sous forme humoristique) pour calculer la façon dont les épidémies se développent dans la population. Donc voilà, chacun y voit ce qu’il a envie d’y voir. La difficulté ça a été de resserrer le projet et au final essayer de ne pas se perdre dans tout cet univers. De même comment choisir mes interlocuteurs, pour ne pas être encore une fois débordé par la masse d’informations et d’analyses qu’il peut y avoir sur le zombie ? Après les gens qui s’intéressent beaucoup aux films d’horreur sont les gens les plus gentils, les plus ouverts que j’ai rencontrés. Pour avoir une interview, pour discuter, ça n’a jamais été un problème.
Parmi tous les interlocuteurs avec qui vous avez pu discuter, y a-t-il une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
Alors il y a eu George Romero évidemment. Mais s’il ne fallait en citer que quelques uns, il y a forcément la survivaliste américaine. J’avais discuté avec elle au téléphone auparavant, elle m’avait dit qu’elle avait des armes mais de là à les voir en vrai, de la voir ouvrir son coffre fort et voir son arsenal, ça a été intense. Il y avait des rappeurs, les Flatbush Zombies, qui étaient assez impressionnants parce que c’est un peu des stars du milieu. Juste avant le concert, c’est un moment où on avait un peu de temps pour les interviewer, ça a été assez intense. Toutes les rencontres ont été super mais Eric Dufour, le philosophe, c’est celui que j’ai mis le plus de temps à convaincre, plus que George Romero. C’est un professeur d’université qui donne assez rarement d’interview et j’avais trouvé son livre (Le cinéma d’horreur et ses figures) très brillant, il apportait des choses très intéressantes. C’était très difficile de le convaincre parce qu’il n’aime pas les interviews, ça ne l’intéresse pas, il n’aime pas se faire filmer. Finalement quelque part c’est ça qui donne un contraste à l’entretien parce que justement c’est quelqu’un qui a un discours qui n’est pas habituel, à sa façon de se tenir, de s’exprimer, il a quelque chose d’original qui est un peu désarçonnant, étonnant, mais qui marche plutôt bien. C’est un discours qu’on écoute parce qu’il sort de l’ordinaire.
Avez vous d’autres projets en cours ?
J’ai des projets en cours mais rien qui ne soit très sûr pour l’instant. Si j’avais été un peu plus avancé j’aurais été heureux de vous en parler. Ce sont des projets qui sont souvent liés au cinéma et au pouvoir de l’image. Comment l’image est produite, comment elle reflète des situations historiques et en même temps comment elle les influe ? Dans Rocky, VHS et Tous Zombies c’est ça aussi : quel est le pouvoir de l’image ? Parfois c’est un peu plus détourné que ce qu’on croit, ça agit d’une façon un peu cachée. C’est une question qui m’intéresse pas mal. Mais je pense que je vais faire une petite pause sur le cinéma d’horreur, peut être regarder Amélie Poulain (rires). Je plaisante, mais à partir du moment où ça me faisait peur c’est là que ça m’intéressait. Le ton du documentaire est assez noir, on n’a peu parlé de la parodie parce que c’est quelque chose qui m’intéressait moins, quand on en rigole c’est qu’on est moins effrayé et moi ce qui m’intéressait vraiment c’est quand ça me faisait peur, c’est là que j’avais envie de creuser. Avec le film de Fulci j’étais obligé de me cacher les yeux, contrairement aux films d’aujourd’hui qui ne sont plus du tout effrayants. Ce sont des choses très basiques, et puis on revient vers la figure du héros blanc qui sauve, pas le monde mais presque. C’est l’antithèse de La nuit des morts vivants.