Free Love, un film de Peter Sollett : critique

Confrontée à une jeune fille apeurée de dénoncer un dealer en puissance, Laurel (Julianne Moore) décrit sa peur à elle, son secret gardé au plus profond pour pouvoir rester digne dans la police, avoir son statut, son rang. Dévouée à son métier, cette femme cache, au début des années 2000, son homosexualité. Femme dans un monde d’hommes, attachée corps et âme à son métier, elle ne veut pas prendre le risque de s’affaiblir un peu plus dans le regard de ceux avec qui elle travaille au quotidien.

Synopsis : Années 2000. Laurel, est une brillante inspecteur du New Jersey. Sa vie bascule le jour où elle rencontre la jeune Stacie. Leur nouvelle vie s’effondre quand Laurel découvre qu’elle est atteinte d’un cancer en phase terminale. Laurel a un dernier souhait : elle veut que sa pension revienne à la femme qu’elle aime mais la hiérarchie policière refuse catégoriquement. Laurel et Stacie vont se battre jusqu’au bout pour faire triompher leurs droits

En héritage

C’est pourquoi elle parcourt près d’une centaine de kilomètres pour aller simplement faire du volley alors qu’elle n’aime pas ça. Son objectif : rencontrer quelqu’un mais loin des regards de ceux qui la connaissent. La première partie du film s’attache à nous présenter Laurel comme une femme forte et déterminée. Elle rencontre Stacie (Ellen Page), beaucoup plus jeune, qui assume pleinement son orientation sexuelle sans pour autant en faire une revendication. Plus identifiée dans son look, son attitude ou encore son métier, là aussi, « d’homme » (elle est mécano), la jeune femme ne se démonte pas, elle non plus, quand il s’agit de relever les manches. Ces deux femmes-là ont un rêve simple : être aimées, avoir une maison et un chien. C’est ce tout petit rêve-là qu’elles réalisent un an après leur rencontre. L’histoire d’amour se résume ici à des moments de rire partagés, des balades sur la plage. Le quotidien est donc souvent abordé sans parole, sous forme de photographies instantanées d’un bonheur tout simple, mais vrai.

Quand Laurel apprend qu’elle est malade, le film aborde son vrai sujet : le combat pour l’égalité. Voilà qu’une toute petite histoire en rencontre une plus grande. De nombreux personnages vont alors graviter autour de Laurel et Stacie, leur histoire est mise de côté pour devenir un symbole. Stacie n’a pas vraiment envie de penser à l’héritage qu’elle gardera de Laurel, puisqu’elle est obnubilée par l’idée de la maintenir en vie, de la sauver. Laurel de son côté pense à l’égalité. Autour d’elles, des hommes se battent. D’un côté, le partenaire de Laurel, toujours, fidèle et admiratif, qui devra se dépatouiller avec les mœurs de la police (réunies en un seul homme qui assène toutes les visions négatives de l’homosexualité). De l’autre, un chef de file d’une association pour la défense des droits homosexuels (Steve Carell, point d’humour un poil caricatural, comme contrepoint du film) dont l’objectif non caché est de légaliser le mariage gay. Ces deux personnages-là se battent pour aider Laurel, mais pas pour les mêmes raisons. Ils auront chacun droit à leur morceau de bravoure respectif en temps voulu. Laurel est surtout en bisbille avec les freeholders, qui refusent de faire bouger la loi qui consiste à verser la pension d’un flic à son époux ou épouse. Or, Stacie et Laurel sont engagées dans une union libre, qui semble-t-il n’est pas « acceptable » au nom de la religion très présente dans les mots et les réflexions des freeholders. Le film alternera donc les moments de lutte de l’association, tous assez « spectaculaires » dans le sens où c’est plus que l’intimité de Laurel qu’ils veulent changer, les interventions du collègue de Laurel, et la dégradation de l’état de Laurel elle-même face au désarroi et à la force de Stacie, qui tente de tout gérer de front (dans sa vie personnelle, pas sur plan politique « notre histoire n’est pas politique », dira-t-elle). La politique semble donc quelque peu échapper à ces deux-là. Leur maison est symbole de leur amour, elle ne peut donc concrètement disparaître avec Laurel, voilà tout. Stacie reste dans cette optique-là (même quand elle accepte de s’exprimer dans le cadre de la « lutte »), elle n’est jamais dans la revendication égalitaire.

Amour et préjugés

Tout est fait pour rendre le long métrage émouvant car chacun se répète à tout moment à quel point l’autre est formidable. Le temps manque, pourtant le film prend beaucoup (trop?) de temps dans son introduction à raconter l’histoire naissante de Stacie et Laurel pour les « abandonner » ensuite. Les jeux de regards entre les deux femmes sont assez beaux et puissants, on comprend assez vite la force de leur amour, l’importance qu’il prend dans leurs vies. Les abandonner est peut-être un terme un peu fort, Stoller mettant peu à peu en avant le combat qui prend le pas sur l’intimité, jusqu’alors décrite, des deux femmes. La petite histoire d’amour, aussi forte soit-elle, n’a d’intérêt pour lui que parce qu’elle permet de « faire bouger les choses » à une plus grande échelle. C’est pourquoi il multiplie les regards sur leur histoire, quitte à les dénaturer quelque peu. Pourtant, après en avoir fait des symboles, il n’hésite pas à revenir vers elles, seulement elles.

La mise en scène est assez classique. Confrontation des hommes en costume d’un côté, et des combattants de l’autre. L’histoire d’amour entre Stacie et Laurel est elle-même chorégraphiée de manière très conventionnelle : rencontre, amour, installation. Quand la maladie survient, les obstacles à franchir sont nombreux, on assiste alors à un revirement de situation : alors que Laurel surprotégeait Stacie, c’est Sactie qui devient garde malade. A aucun moment cependant elle ne sort du cadre de son rôle stricte, le réalisateur ne cherchant pas à en faire une énième amoureuse-courage. Cependant, l’on n’échappe pas à la scène de la tonte des cheveux, mais assez vite coupée, ainsi qu’au désir de l’autre de soigner même quand c’est impossible. Il semblerait alors que le réalisateur ménage l’émotion tout le long du film, s’attachant à la loi, au débat d’opinions contraires, pour faire de la fin du film le moment d’explosion de cette émotion : résultat final de l’audience, remémoration des moments passés ensemble. La plage, presque plus que la maison au final, est le point d’orgue d’une histoire d’amour ordinaire rendue extraordinaire par sa nature et le combat qu’elle a permis de mener.

Pourtant, ce que défendent Stacie et Laurel c’est un amour égal aux autres, intense pour elles parce que c’est celui d’une vie qui se résumera à des souvenirs contenus entre quatre murs ou dans l’infini d’une mer immense. Le film oscille sans cesse entre ces deux états : la loi et l’amour, sans jamais vraiment décider s’il est du côté du morceau de bravoure émotionnellement au sommet ou de l’intimité bouleversée par l’Histoire. Résultat, Free Love reste très balisé quant à l’émotion qu’il veut véhiculer, bloquant parfois l’attachement aux personnages (dont les visages sont pourtant sans cesse mis en lumière), ou déplaçant le combat dans une guimauve d’interventions qui ne perçoivent pas toujours ce qui se joue de l’intime à l’universel, soit de Stacie et Laurel au mariage universellement offert à tous les amoureux, quelle que soit leur orientation sexuelle.

Free Love : Bande annonce 

Free Love : Fiche technique

Titre original : Freeheld
Réalisation : Peter Sollett
Scénario : Ron Nyswaner
Interprétation : Ellen Page, Julianne Moore, Steve Carell, Michael Shannon …
Musique : Hans Zimmer, Johnny Marr
Photographie : Maryse Alberti
Décors : Joanne Ling
Montage : Andrew Mondshein
Sociétés de production : Endgame Entertainment, Double Feature Films, Head Gear Films, Metrol Technology, High Frequency Entertainment
Sociétés de distribution : Bac Films
Genre : Drame
Durée : 100 minutes
Date de sortie : 10 février 2016

Etats-Unis – 2015

Reporter LeMagduCiné