Présentée dans le cadre de la compétition Formats Courts, First Love nous a remué. On ne sait pas trop si on a aimé cette série qui aborde frontalement un sujet très sensible, mais en tout cas elle ne nous a pas laissé indifférents. Cela méritait bien une discussion avec deux jeunes réalisateurs à suivre.
First Love (Jonathan Cohen-Berry, Anthony Jorge – France/USA)
Synopsis : Ashfield, Californie. Une histoire d’amour interdite entre Mercedes, 12 ans, et Zach, 17 ans. Les indices présentés lors du procès du jeune homme nous conduiront aux moments clés de leur rencontre, et nous permettront de juger par nous-mêmes : amour ou délit ? Crime ou passion ?
Avec : Jance Enslin, Cleo Fraser, Deaken Bluman, Maria McCann, Ellery Sprayberry
Diffuseur : Blackpills
Difficile d’aborder First Love par un autre angle que son sujet particulièrement osé. Cette mini-série raconte l’histoire d’amour entre un adolescent de dix-sept ans et une jeune fille de douze ans qui découvre sa sexualité. Il tente de refréner ses pulsions, elle demande de l’attention (son frère l’ignore, son père est souvent absent).
Le premier épisode s’ouvre sur la fuite en voiture des deux amoureux. Puis arrive un accident, et un procès où il est fortement sous entendu que Zach serait passé à l’acte, et risquerait donc la prison. Mercedes, la jeune fille, ne semble plus aussi amoureuse. Zach a-t-il vraiment abusé d’elle ? Est-elle perdue dans ce tribunal où les avocats s’arrachent les aveux des témoins ? Étaient-ils vraiment amoureux ou est-ce que l’un a profité de l’autre ? C’est à rebours que nous découvrirons toute l’histoire, quitte à remettre en cause nos propres convictions.
Autant le dire tout de suite, First Love n’est pas le genre de série que l’on peu juger sur la base d’une simple appréciation qualitative. Dire « j’aime » ou « j’aime pas » ne peut faire avancer le débat, et nous préférons encore nous abstenir d’en faire une critique qui aborderait l’œuvre sur des critères purement esthétiques ou formels. Nous ne pouvons que vous conseiller d’y jeter un œil pour vous faire votre propre opinion.
Et c’est bien le problème des sujets difficiles : on ne sait jamais trop comment en parler. Mais nous pouvons déjà admettre que mettre en scène un tel sujet n’a pas dû être facile, et nous en avons discuté avec Jonathan Cohen-Berry et Anthony Jorge, duo de français (réalisateurs de clip sous le pseudo Truman & Cooper) chargés de mettre en scène cette ballade sauvage hors-norme, accompagnés de Morgane Le Moine, productrice.
First Love aborde frontalement le thème de la pédophilie abstinente. Pourquoi le choix d’un tel sujet ?
Jonathan : Adi Tishrai, la scénariste, pourrait t’en parler mieux que nous. Mais, comme elle l’a dit lors de la présentation de la série, tout est parti d’une rencontre pendant ses recherches. Elle est tombée sur des forums qui parlaient de ce problème de la pédophilie abstinente (NdA : ces gens qui souffrent de pédophilie mais ne passent jamais à l’acte) et a rencontré ce jeune homme de 19 ans qui en souffrait. C’est un problème dont on ne peut pas parler, mais c’est un vrai sujet à développer. Nous, on en avait jamais entendu parler avant que l’on nous propose le scénario, et ça nous a intéressé.
Vous avez sûrement eu des difficultés à monter le projet ?
Jonathan : Tu peux en parler un peu mieux, tu en as eu des refus…
Morgane : Oui… à toutes les étapes, ça faisait très peur à tout le monde. Mais c’est un vrai choix pour une plateforme (NdA : Blackpills sur laquelle sera diffusée la série) de se positionner là-dessus. Même si nous avons des obstacles, nous voulions le faire bien et nuancer le propos. On ne sait jamais quelle sera la réception, et ça peut vraiment mettre en péril la plateforme, au-delà de la série seulement. Tout a été difficile, comme le casting des enfants…
Je voulais justement aborder la question. Au sujet de cette jeune actrice (Cleo Fraser), qui est très bien dans le rôle : Comment on dirige une jeune actrice dans un rôle pareil ? Comment a réagi la famille ?
Jonathan : Comme le disait Morgane, on a eu beaucoup de mal à trouver une actrice. Quand les gens entendaient parler du sujet, surtout aux États-Unis, il ne voulaient pas que leur enfant soit impliqué dans un truc pareil. Donc le choix a été assez réduit. Mais on a quand même déniché Cleo Fraser, qui avait le parfait mélange entre un côté très enfantin et en même temps une certaine maturité. Et surtout une manière assez unique d’improviser, en accord avec sa personnalité. Et la mère était très ouverte et compréhensive sur le sujet. C’était capital, car on avait peur que sur le tournage elle soit toujours dernière nous à nous dire « Attention ! Qu’est-ce que vous faites ?! »… Il y avait même des parties du script, on ne savait pas si on pouvait les montrer à la jeune fille. Mais sa mère était très ouverte en disant qu’elle devenait une adolescente et qu’il valait mieux qu’elle soit consciente de ce genre de choses. Que ce problème de la pédophilie existe et qu’il y a des gens comme ça.
Elle y voyait une fonction éducative ?
Jonathan : Exactement.
Anthony : Elle nous disait : « surtout de cachez rien, à partir du moment où vous lui expliquez tout, vous faites ce que vous voulez, mais je veux qu’elle sache ce qu’elle joue ». Du coup, c’était génial d’avoir quelqu’un comme ça, cette mère qui était dans cette approche là du problème et Cleo qui était hyper réceptive. Dès que l’on expliquait, elle écoutait, posait des questions. C’était vraiment un accompagnement, pas juste « tient on va te mettre dans un lit… ». Non, il fallait qu’elle comprenne ce qu’elle était en train de jouer… Sinon, en terme de jeu, ça ne marchait pas. Pour nous c’était super important, c’était la seule manière pour jouer juste et être honnête avec ce que l’on faisait.
Jonathan : Ensuite pour la direction, nous la laissions énormément improviser parce que c’était toujours plus drôle et naturel que tout ce que l’on avait pu écrire. C’est toujours dur de se mettre dans la peau d’adolescent de 12 ans quand on en a 30. Du coup, il y avait beaucoup plus de fraîcheur quand on lui disait d’oublier le script. Elle faisait sortir sa vraie personnalité qui était vraiment plus extravagante.
Anthony : Il fallait être très à l’écoute. Parfois on voyait des trucs en répétitions, on trouvait ça génial et on pouvait même pas lui demander de le refaire.
Jonathan : Sinon c’était plus pareil.
Anthony : Donc on se demandait comment la mettre dans ces conditions, on demandait aux comédiens de la provoquer sur quelque chose… Par exemple, la scène de danse dans la rue, c’est parce qu’on l’a vue faire et on a trouvé ça génial. En fait, on se demandait comment la mettre dans une situation où elle pourra créer les événements elle-même. Ça prenait un peu plus de temps, déjà qu’on en avait pas beaucoup, mais nous sommes surtout là pour les laisser vivre et capter ces moments.
Mais n’avez-vous pas eu peur à un moment de retours problématiques ? Par exemple, Natalie Portman a révélé qu’après la sortie de Léon elle avait reçu pas mal de lettres « d’admirateurs » dont elle se serait bien passée. Au vu du sujet, n’avez-vous pas eu peur de ce genre de réaction ?
Jonathan : On a essayé de ne jamais la sexualiser, de garder le personnage d’une petite fille naïve. J’ai quand même l’impression qu’on est allé moins loin que dans Léon où Natalie Portman joue beaucoup plus la lolita. Mais c’était un très gros challenge dans le casting, et à l’écriture il suffisait d’ajouter une ligne en trop ou d’en enlever une pour tomber dans ce type de personnage. C’était effectivement un risque et c’est devenu une obsession à toutes les étapes.
Anthony : Il fallait que ça reste une enfant et pas un personnage fantasmé.
Jonathan : Donc on est vraiment resté sur l’idée d’une petite fille naïve qui n’a pas encore conscience, peut-être de vagues idées, de la sexualité ou de choses comme ça. Mais, même dans la manière de filmer ou dans le montage, ça se jouait parfois à un plan trop subjectif qu’il fallait couper. C’était un ajustement constant.
Nous parlions de Léon et de Lolita, mais d’autres cinéastes ont abordé le sujet parfois de manières plus crues, comme Larry Clark. Aviez-vous des références précises en tête, ou avez-vous abordé le sujet selon votre propre sensibilité ?
Jonathan : On a regardé beaucoup de films sur l’adolescence aux États-Unis, mais surtout parce qu’on est français. Même si on a tous une culture très américaine, on voulait quand même viser juste.
Anthony : Thirteen (Catherine Harwicke – 2003) par exemple qu’on a revu. Et après Harmony Korine et Larry Clark sont dans nos références, mais pas trop pour cette série. Larry Clark est quand même très provocant pour être provocant, et on voulait justement faire l’inverse.
Jonathan : On faisait quand même des emprunts sur la manière de filmer, comme Bully de Larry Clark. Mais on ne voulait pas tomber dans le mimétisme. Il y avait aussi ce film récent, It felt like love de Eliza Hittman, qui filme ces adolescent de 14 ans qui se cherchent. Nous voulions surtout regarder comment ce genre de sujet était traité là-bas.
Anthony : C’était surtout une question d’authenticité. C’est ce qui nous interroge depuis nos débuts : Comment rendre ce territoire de la jeunesse et de l’adolescence authentique. Ce qui n’est pas toujours évident à mettre en scène. En tout cas c’est le point commun entre tous ces films.
Un dernière question. Vous êtes français et vous filmez aux États-Unis. Essayez-vous de vous fondre dans le moule américain, ou avez-vous essayé d’amener une spécificité française ?
Jonathan : Je pense que, malgré nous, on amène cette spécificité mais, après, on ne saurait dire exactement quoi.
Anthony : Après on peut prendre le problème dans l’autre sens. C’était très difficile d’arriver sur un territoire que l’on pense connaître. Donc on a vraiment essayé de se protéger avec une auteure américaine, le chef opérateur aussi était américain… Toute l’équipe était américaine. On ne voulait pas faire n’importe quoi. On avait mille soupapes de sécurité pour que personne ne puisse nous dire « c’est quoi ce film de français… »
Jonathan : Ce film de français qui fantasment les États-Unis.
Anthony : Après, on imagine qu’en termes de sensibilité ou d’approche du problème il y a une différence. Par exemple, cette espèce de pudeur qu’ont les américains, peut-être que nous abordons les choses différemment mais c’est difficile de s’auto-analyser là-dessus.
Merci à Jonathan, Anthony et Morgane pour avoir bien voulu répondre à nos questions.