Pour son premier long-métrage de fiction, Stéphane Marchetti a choisi d’emprunter la voie du thriller afin de raconter l’enfer des routes migratoires, sujet qui lui tient à cœur depuis le documentaire Calais, les enfants de la jungle. Porté par une solide Florence Loiret-Caille dans le rôle d’une femme fissurée et criblée de dettes qui, malgré elle, va profiter de la détresse des réfugiés clandestins, La Tête froide rappelle qu’aider l’autre à traverser la frontière est une manière de se sauver soi-même.
Première fiction du documentariste Stéphane Marchetti, La Tête froide met en scène la rencontre improbable de deux solitudes à la dérive dans un paysage alpin à la fois sombre et hostile. Contrebandière amateure au caractère rugueux campée par Florence Loiret-Caille (L’Effet aquatique, Le Syndrome des amours passées), Marie vit d’un trafic de cigarettes à la frontière italienne. Elle occupe avec Alex (Jonathan Couzinié), son compagnon gendarme, un mobile-home vétuste dans un camping perdu au milieu de la montagne. Engluée dans des problèmes financiers lancinants qu’elle ne parvient pas à solutionner, Marie n’a plus d’autre choix que d’exploiter la misère de celui qui, par une nuit glaciale, croise sa route. Il s’agit de Souleymane (Saabo Balde, remarquable), jeune réfugié gambien au regard d’enfant dans un corps d’adulte, prêt à risquer sa vie pour rejoindre l’Angleterre. Mue par un instinct animal, Marie va peu à peu se retrouver prise au jeu malsain du passage de migrants. Elle ne doit sa survie qu’à son exceptionnel sang-froid.
Très ancré dans les problématiques de notre société, La Tête froide creuse la complexité dramaturgique de cette précarité en explorant la zone frontière qui sépare la pulsion opportuniste de l’altruisme véritable. Ne cherchant jamais à victimiser ses personnages, ni à imposer au spectateur un quelconque jugement moral, Stéphane Marchetti pose un regard empathique sur ce lent glissement d’un monde à l’autre, en capturant, avec un sens aigu de la noirceur et du cadre, l’âpreté du manteau de neige qui recouvre ce thriller nerveux. En effet, si le réalisateur cherche à ancrer le récit dans le réel, il fait le choix de s’éloigner d’une esthétique naturaliste.
Dès le départ, le film, baigné d’une lumière froide et traversé par une tension permanente, nous saisit par la force de sa mise en scène accidentée, élancée et percutante. Ici, l’architecture vertigineuse de la montagne s’apparente à un gigantesque labyrinthe dont l’essence fantomatique reflète le précipice intérieur des protagonistes, perdus au cœur d’une nature oppressante et indomptable. Rendant l’atmosphère de plus en plus irrespirable, courant après la matérialité brute des éléments contraires, la caméra navigue entre habitacles étroits et paysages immenses tandis que, comme pour prendre son souffle juste avant de plonger encore un peu plus profondément dans les abysses de l’insoutenable, la bande originale composée par Adrien Casalis électrise la scénographie hypnotique de la tempête.
Stéphane Marchetti réussit un premier long-métrage ambigu, tout en tension, et un portrait désespéré non dénué d’une certaine maîtrise formelle.
La Tête froide – Extrait
Synopsis : Dans les Alpes enneigées, en plein hiver. Pour boucler ses fins de mois, Marie, 45 ans, trafique des cartouches de cigarettes entre la France et l’Italie avec l’aide de son amant Alex, policier aux frontières. Lorsqu’elle rencontre Souleymane, jeune réfugié, prêt à tout pour rejoindre sa petite sœur, elle s’embarque dans un engrenage bien plus dangereux qu’elle ne l’avait imaginé.
La Tête froide – Fiche technique
Réalisation : Stéphane Marchetti
Scénario : Stéphane Marchetti, avec la collaboration de Laurette Polmanss
Avec : Florence Loiret-Caille, Saabo Balde, Jonathan Couzinié, Aurélia Petit, Marie Narbonne, Philippe Frécon, Souleymane Toure…
Production : Bertrand Gore, Bertrand Faivre
Photographie : Sébastien Goepfert
Montage : Damien Maestraggi
Costumes : Marta Rossi
Musique : Adrien Casalis
Distributeur : UFO Distribution
Durée : 1h32
Genre : Drame, Thriller
Sortie : 17 janvier 2024