Au cœur d’un festival commencé depuis cinq jours, il y a des séances dont les films doivent voyager en nous avant de complètement nous habiter. Habiter un lieu, y faire sens et communauté, c’est tout l’objet des courts-métrages (du programme 3) présentés au Fifam 2023. Ce mercredi 15 novembre, les réalisateurs Thibaut Tavernier (Collisions), Paloma Lopez (Home) et Côme Webembe Tuitcheu (Ma famille est politique) étaient présents pour échanger après la projection.
Collisions
Une plongée vertigineuse au cœur des pensées tumultueuses d’un enfant de 10 ans, dans un monde qui déraille.
Réalisation : Théo Carrere, Thibaut Tavernier
Durée : 20 min
Dans ce court métrage, les deux réalisateurs ne filment pas à hauteur d’enfant, mais bien à la place de l’enfant. Les images reçues sont ainsi teintées d’une inquiétude liée à une plongée, à dix ans, dans le monde adulte. Tout semble prêt, à tout instant, à entrer justement en collision. D’où ce magnifique plan circulaire autour d’un rond-point occupé par des gilets jaunes. Tout est dans ce plan : l’incompréhension de l’enfant face à ce qui se passe, l’impression de tourner en rond, ce jaune qui devient une couleur plus qu’une colère et l’enfant perché sur son tricycle dont la dégaine n’est pas sans rappeler Shining. Au cœur même de l’œuvre : des décors déshumanisés, vides, froids : une banlieue pavillonnaire, un stade de foot vide, une zone industrielle. Dans ce quotidien d’adultes qu’il observe, l’enfant résiste et tente encore, devant une machine à laver (encore un motif circulaire) de poursuivre son émerveillement de petit garçon, de jouer. Les ruptures de plans sont brutales comme pour signifier que tout est encore en construction dans l’esprit qui regarde, qui pense… Un foisonnement teinté d’une gravité sourde, comme en creux.
Ma famille est politique
Le rapport à la politique à travers les générations à l’échelle d’une famille d’immigrés en Seine-Saint-Denis.
Réalisation : Côme Webembe Tuitcheu
Durée : 16 min
Côme Webembe Tuitcheu est issu de l’école Kourtrajmé, et son film d’une commande d’Arte (au moment des dernières élections présidentielles) autour de la jeunesse et de la politique dans le 93. Le réalisateur a utilisé ce prétexte pour filmer sa famille et ses proches sur une journée. De sa voisine qui se lève à 4h, à sa mère qui travaille dans une école maternelle à ses frères et sœurs, Côme Webembe Tuitcheu joue les petites souris. Il prend plaisir à suivre sa famille, à les raconter, en voix off. Puis, il filme une réunion de famille, le soir-même, autour des questions de vote : les plus jeunes ne votant que forcés et les mères désirantes, ne pouvant voter elles-mêmes, que leurs enfants aient la possibilité de saisir cette chance. C’est au milieu du brouhaha et du chaos que naissent des paroles sur l’identité (on devient étranger dans son pays d’origine alors qu’on est aussi étranger dans le pays où l’on a migré) se dessine. Il faut bien tendre l’oreille et l’impression peut paraître brouillon, mais elle est aussi simplement touchante et spontanée.
Egúngún
De retour à Lagos pour l’enterrement de sa mère, une femme aperçoit la silhouette d’une ancienne passion.
Réalisation : Olive Nwosu
Durée : 15 min
Dans la foule de Lagos, une femme au crâne rasé (pour mieux sentir la fraîcheur dit-elle) se met soudainement, en plein milieu de l’enterrement de sa mère, à suivre une silhouette qui devient peu à peu une femme qu’on comprend familière, mais appartenant au passé. Ce jeu du chat et de la souris devient magnifique lorsque les deux femmes se retrouvent, s’effleurent pudiquement et laissent imaginer ce qui aurait pu advenir entre elles… Le film est tout en suggestions, en images fortes et qui questionnent (l’œil qui saigne du mari comme aveugle aux désirs réels de sa femme, la cérémonie étrange qui ouvre le film et bloque une femme qui se veut en mouvement) .
Infantaria
Joana veut ses règles. Dudu veut son père. Verbena, que personne n’a invitée, cache ce qu’elle veut.
Réalisation : Laís Santos Araújo
Durée : 24 min
Dans une maison aux couleurs diverses et éclatantes, Joana va fêter son anniversaire. Chacun dans la maison a pourtant bien autre chose en tête. Seule la mère semble tenir à cette fête où sa fille est déguisée en princesse. Dans ce huis clos étonnant où sont abordés l’avortement, les premières règles et l’absence d’un père, tout se joue dans un équilibre entre comédie et drame. Les personnages ne vont jamais là où on les attend dans ce conte moderne et stylisé. Le rapport au corps y prend une place prépondérante : le sang est d’abord suggéré par des vernis, des vêtements, ou par son absence, avant de jaillir dans la nuit. Les échanges entre les personnages ne sont que des éléments parcellaires qui ne disent jamais franchement la réalité de ce que traverse chacun des personnages. Pourtant, le message devient clair et d’autant plus impactant par ce procédé qui rend le film un peu fantasque. On croit ainsi que Verbena et la mère sont parties pour une soirée, sapées comme jamais, alors qu’elles se rendent à un rendez-vous clandestin qui prendra sens quelques instants plus tard.
Home
Une mystérieuse infestation tropicale se produit dans un appartement parisien.
Réalisation : Paloma Lopez
Durée : 20 min
Le film le plus passionnant de cette sélection de courts-métrages : Home raconte l’histoire d’une famille de Caracas qui débarque à Paris. Les meubles sont emballés dans du plastique et sont beaucoup trop nombreux pour tenir dans cet appartement qui, par rapport à l’ancien, est réduit de 200 mètres carrés. Une petite fantaisie a inspiré à la réalisatrice par une exposition artistique de son père : tous les meubles de la famille exposés ainsi emballés (pour raconter autant le départ que l’arrivée) et qui à la fin se retrouvent, sans aucun but, dans l’appartement familial. De cette histoire déjà fantaisiste, Paloma Lopez tire un récit qui tire vers le fantastique. Peu à peu des grenouilles, emblématiques de Caracas, viennent envahir tout l’appartement. Chaque membre de la famille est ainsi confronté à son exil. Dès sa scène d’ouverture, Paloma Lopez vient interroger le rapport à la langue, à la culture et au manque de ceux qui sont restés. Un huis clos aux allures de conte fantastique où la réalité est transcendée par les traces du passé qui persistent. Pour faire écho au film de Côme Webembe Tuitcheu, il ne s’agit pas ici de simplement s’adapter, mais de faire sens dans une nouvelle avec ce qu’il reste en soi de sa culture d’origine.