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FFCP 2024 | Padak

FFCP 2024 : Padak, poisson cru

Ariane Laure Redacteur LeMagduCiné
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Amateurs de sushis, de maquereaux, de dorades ou de bars, vous ne regarderez plus jamais votre assiette de la même façon. Padak de Lee Hee-Dae, un animé à couteaux bien aiguisés, propose un conte sombre et engagé à réserver aux adultes. Volontairement choquant, parfois écœurant, le film invite à une prise de conscience sur la maltraitance des animaux marins destinés à notre alimentation. Une expérience singulière qui a l’art de ne pas noyer le poisson. 

Synopsis : Padak a été capturée dans un filet de pêche en pleine mer, et voici la maquerelle qui se retrouve dans l’aquarium d’un restaurant de poissons. Au milieu de ses congénères captifs comme elle, Padak est bien décidée à s’échapper et à retrouver la liberté de l’océan…

En comparaison de son voisin japonais, le cinéma coréen n’est pas particulièrement réputé pour ses films d’animation. La production reste limitée et très peu d’œuvres trouvent leur chemin jusqu’aux salles françaises. Pourtant, certaines d’entre elles, injustement ignorées, méritent une attention toute particulière. Padak nage précisément dans ces eaux troubles et méconnues.  Premier long-métrage de Lee Hee-Dae, il reste à ce jour le seul film d’animation du réalisateur, après deux courts-métrages, Paper Boy et We are the Punk, sortis au début des années 2000. En suivant le parcours d’une maquerelle pêchée en mer et cloîtrée dans l’aquarium d’un restaurant, l’animé alerte sur nos modes de consommation tout en questionnant jusqu’où nous serions prêts à aller pour survivre.

Le monde de Padak

Et si nous vivions à la place des poissons qui finissent dans notre estomac ? C’est le point de départ de Lee Hee-Dae, un réalisateur coréen manifestement très affecté par le sort de ces animaux à écailles cuisinés quotidiennement dans son pays. Avec Padak, il compose ainsi un manifeste brutal contre les sévices infligés aux crabes, aux maquereaux ou encore aux turbots.

Sauvagement arrachés à leur milieu naturel, ces poissons atterrissent dans des cuves, serrés comme des sardines, en attendant paniqués le jour de leur mort. Dans l’aquarium des restaurants, ils sont même exposés dans l’objectif d’attirer les clients, qui pourront choisir de visu leur prochain repas. Cloisonnement, faim et dépeçage sanguinolent à coups de couteaux, voilà ce qui attend les poissons entre leur vie libre dans l’océan et le cadavre gisant tristement sur notre assiette. Au profit de sa démarche radicale, où manger des produits de la mer devient un crime contre l’environnement, Lee Hee-Dae exacerbe la violence humaine en montrant sans pincette têtes coupées, organes éviscérés et carcasses encore animées.

C’est dans ce cadre effroyable que Padak, une jeune maquerelle, cherche à survivre entourée notamment d’un bar, d’une daurade, d’un congre et d’un turbot. Nouvelle arrivée au sein de cet aquarium à l’ordre bien établi, elle découvre rapidement les règles de sa prison aquatique. Padak apprend alors une pratique fondamentale : faire la morte si des humains s’approchent de l’aquarium. Un moyen rudimentaire pour gagner un sursis face à des clients potentiels. Bien décidée à s’échapper pour regagner la mer, dramatiquement située à quelques mètres à peine de cette vitre invisible et incassable, la maquerelle encourage ses congénères à s’évader.

Huis clos à la fois ténébreux et fascinant, le domaine de Padak se révèle à des milliers de lieues de l’univers coloré et foisonnant du Monde de Nemo et de Dory, où malgré les dangers, l’entraide et l’amitié dominent. Lee Hee-Dae adopte en effet un traitement radicalement opposé, bâti sur l’horreur et l’aggressivité, jusque dans une référence particulièrement dévorante à son ainé Pixar, sorti neuf ans plus tôt. La beauté des poissons et des crustacés, animés en 2D, contraste alors avec des décors gris, foncés, volontairement ternes et bruts, bien loin des bleus profonds de Nemo. Si la qualité de l’animation, qui date de douze ans, n’est pas parfaite et parfois grossière, surtout sur les fonds, elle renforce l’apprêté de l’existence de ces poissons enfermés dans un aquarium de la mort.

Dans cet univers clos, les humains n’apparaissent que brièvement sous la forme de visages atrocement curieux, ceux de clients affamés aux traits effrayants, ou d’ombres menaçantes comme celle du cuisinier armé d’une lame ou de son fils. Face à ces individus désincarnés, froids et impitoyables, ce sont les poissons qui s’humanisent par leur peur, leur désespoir et leur lutte pour la survie.

Poissons-humains

Au sein du microcosme de l’aquarium, les poissons se dotent d’émotions et de comportements parfaitement humains. Padak, tout juste pêchée, n’aspire qu’à s’enfuir pour retrouver son ancienne existence. Prête à risquer sa vie dans d’obscurs plans d’évasion, elle étonne ses camarades depuis longtemps résignés. Considérée comme supérieure car originaire de la mer et non de l’élevage, Padak gagne progressivement sa place auprès du turbot, le chef de la bande. Ce dernier, d’aspect assez terrifiant, se complait dans son rôle de dominant, de poseur d’énigmes et de guide dans cette cage à bulles.

Tous condamnés à mourir, les animaux marins sont menés par un féroce instinct de survie qui annihile presque toute moralité. Dans un milieu où les congénères deviennent des prédateurs et les amis de la nourriture, se suicider en sautant à l’air libre peut sembler la meilleure option. En humanisant ainsi ses poissons, Lee Hee-Dae nous invite à prendre leur parti et à souffrir avec eux.

Par sa vision tranchée au couteau comme un sashimi, Padak distrait autant qu’il dérange. Son récit et sa tonalité noirs, entrecoupés par quelques chansons faussement joyeuses, marquent indéniablement les esprits. S’il n’est pas du tout sûr que tous les spectateurs refuseront à l’avenir de manger du poisson, l’animé nous sensibilise avec la subtilité d’un chalutier à la maltraitance des animaux et à la surconsommation. Par son réalisme et sa cruauté, cette œuvre militante fait au passage une belle queue de poisson aux films Disney naïfs et aseptisés.

Ce film est présenté à la séance « spéciale animation » de la 19e édition du Festival du Film Coréen à Paris.

Padak : bande-annonce

Padak : fiche technique

Réalisation et Scénario : Dae-Hee Lee
Musique originale : Yoo Hee-cheon
Producteur exécutif :
Producteur : Dae-Hee Lee
Production : Daehee Lee Animation Studio Co., Ltd.
Pays de production : Corée du Sud
Distribution internationale : CJ Entertainment, eigoMANGA
Durée : 1h18
Genre : Animation

Redacteur LeMagduCiné