Deuxième week-end du festival du Ciné-Mourguet consacré au cinéma africain. Plus que trois jours pour voir les films en compétition, et voter pour le Prix du Public.
Le point sur les films manqués
Toute cette semaine, de nombreuses projections on eu lieu, L’Oeil du Cyclone de Sékou Traoré, dont les festivaliers disent le plus grand bien. Il y avait également le documentaire Les Himbas font leur cinéma de Solenn Bardet. Ce peuple de Namibie, souvent étudié et filmé par les reporters, exprime son agacement en prenant lui-même la caméra et en se mettant en scène !
Puisque Caravane des Cinémas d’Afrique, ce n’est pas que du cinéma, il y avait également ce mercredi le défilé de mode, intitulé sobrement « Mod’elles d’Afrique ». A l’occasion des 25 ans du festival, le danseur-chorégraphe Lebeau Turel Boumpoutou a mis en scène les mannequins portant la nouvelle collection de la styliste Nini Nicoué, figure incontournable de la mode togolaise.
Vendredi 8 Avril – 8ème jour
Le début de ce long week-end festivalier se fait par la porte du documentaire. Bla Cinima de Lamine Ammar-Khodia est un film dont le principe même en fait une démarche sociologique intéressante. Le réalisateur et son opératrice se posent sur la place devant un cinéma d’Alger, le Sierra Maestra, pour y interroger les passants. Le point de départ de la discussion, c’est le cinéma, ce sont les films. Mais plus la conversation dure, plus les langues se délient, et finalement, les Algérois parlent de leur pays, de leurs impressions, avec un regard parfois enthousiaste, parfois teinté d’amertume. Ce qui reste du cinéma dans l’imaginaire collectif, c’est Eastwood, Delon, Titanic, Ben-Hur... pourquoi aucun film algérien ? Le seul grand film cité est La Bataille d’Alger de Pontecorvo (réalisé en 1966.) Maintenant, tout cela est terminé. Les salles obscures sont boudées par les spectateurs, puisque le cinéma est maintenant ailleurs, à la télévision ou en streaming illégal. « Je ne veux pas que les jeunes y voient ce que moi j’y ai vu » nous confie un passant, qui y allait enfant pour voir ce que les couples faisaient, dans l’intimité et le confort de la salle. La salle de cinéma n’est pleine que pour accueillir le spectacle de fin d’année de l’école, où les bambins exécutent des numéros patriotiques. Cela en dit long sur le pays, de son besoin de reconnaissance au manque de confiance de son peuple. On comprend bien vite le questionnement du réalisateur : « puisque moi j’aime le cinéma, pourquoi les autres n’y vont pas ? » Ainsi, c’est le désir d’aller vers l’autre pour le comprendre qui a donné naissance à ce documentaire. Le cinéphile qui se pose ces mêmes questions comprendra.
Après avoir discuté avec Flavien Poncet, le coordinateur du festival, et François Rocher, directeur du cinéma, la salle 1 vient de se libérer. Le film de ce soir, c’est Run, de l’ivoirien Philippe Lacôte, qui narre le récit rétrospectif d’un jeune homme aux trois vies, alors qu’il vient de tuer le Premier Ministre. Le film, que l’on a pu voir à la séléction Un Certain Regard de Cannes, fait écho aux événements historiques passés en Côte d’Ivoire, tout en s’attachant à l’histoire de Run (c’est son nom), construit comme un conte. On est surpris devant ce dialogue entre le pragmatique et l’animique, qui sont, à priori, toujours présent, mêlés, en Côte d’Ivoire. Tour à tour, le personnage sera sous la protection du Maître des Pluies, puis sous celle de Gladys la Mangeuse, puis de l’Amiral, chef des Jeunes Patriotes, et enfin d’Assa, joué par Isaach de Bankolé, acteur récurrent chez Jim Jarmusch et Claire Denis. Ainsi, on plonge dans la culture ivoirienne, avec d’une part les rites, et d’autre part la réalité politique, en somme tout ce qui fait la personne de Philippe Lacôte. Il y a bien parfois quelques longueurs. Certaines images manquent de puissance, mais peut-être est-ce une question d’habitude. Par exemple, de nombreux symboles jalonnent le film, mais si le spectateur ne comprend pas le symbole, le plan devient moins emblématique. Au cours de la discussion qui s’ensuit avec le réalisateur et Michel Amarger, la philosophie de l’auteur semble plus compréhensible. En réalité, il devient très clair que le récit devient presque tout entièrement métaphorique (mais de quoi?) dans la mesure où Run est l’objet de multiples transformations, et acquiert même un statut particulier, celui de fou. Cela explique le premier plan : tout semble, autour du personnage arrêté, figé. Et c’est lorsque le rêve rejoint la tragique réalité que tout s’accélère, et qu’il faut courir, se cacher, que les événements déclenchés ont des conséquences inéluctables. C’est peut-être ça aussi ce dont veut parler le réalisateur, que l’on évoque au cours de la discussion : l’illusion du rêve et le retour brutal à la réalité, cette fois politique, qui a eu lieu tardivement pour les ivoiriens.