Festival des 3 continents de Nantes

Mère porteuse, montre en or et cour d’école.

Le festival des 3 continents anime la ville de Nantes depuis maintenant 37 ans ! Et avec cette nouvelle édition c’est de nouveau l’occasion d’éclairer tout un pan d’un cinéma qui se développe, dans l’ombre du mastodonte américain, et dans une moindre mesure dans celle d’une production plus localisée. Une mise à jour qui apparait comme nécessaire afin de globaliser notre regard sur le 7ème art, voire à intégrer à notre consommation filmique ce cinéma du tiers monde. La formule est simple voire maladroite, puisque le terme est presque désuet, suite à la vague de développement économique. Mais cela traduit peut être notre sentiment envers ces œuvres si exotiques, et ces 3 continents du bout du monde. Rares sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir vu autant de films vietnamiens qu’italiens, autant d’œuvres uruguayennes que britanniques. Alors, chaque année, le festival des 3 continents nous propose, le temps d’une semaine rafraichissante, de plonger dans ce cinéma invisible. Ici la production asiatique fait peut être figure d’exception, puisque à l’instar du Japon, il reste une contrée prisée des cinéphiles ; mais il est malvenu de penser que l’histoire du continent se résume aux maîtres Ozu ou Mizoguchi. Comme atteste par ailleurs la figure de proue de cette édition : Im Kwon-Taek ; un invité majeur dont l’immense carrière ferait passer Woody Allen pour un fainéant, mais dont la présence ne fera sans doute frémir qu’une centaine d’initiés ! Puisque cette 37ème édition propose une immense rétrospective à son effigie, il n’est peut être pas trop tard pour découvrir quelques pépites parmi la centaine de films qu’il a réalisés.

C’est donc logiquement que nous lui consacrons notre premier visionnage, avec : La mère porteuse, un film qui nous vient directement des 80’s Coréenne ce qui suffit à attiser notre curiosité. Et plus qu’un simple réalisateur, c’est un metteur en scène que l’on découvre, à travers cette quête quasi mystique d’une naissance salutaire. Nous sommes en Corée, durant une période visiblement révolue, un couple issu d’une noble lignée ne parvient pas à donner naissance à un héritier. Devant la stérilité (présumée) de la femme, les anciens de la famille décident de faire appel à une mère porteuse. C’est au fin fond des montagnes, au cœur d’une colline aux formes suggestives que se situe un village où l’on trouve ces demoiselles. Les hommes opèrent un casting oscillant entre le (savant) déterminisme biologique et la tradition occulte, mais qui va faire émerger la parfaite candidate. Une jeune fille de 17 ans, farouche mais sublime. Un contrat s’installe, un enfant en échanges d’arpents de terres (et encore plus de terre si c’est un garçon évidemment). Im Kwon-Taek tourne en dérision cette procédure absurde, tout comme ce long protocole autour de l’accouplement assujetti à de nombreuses invocations, mixtures, et autres procédés… Car tout cela relève plus du vaudou que de la médecine. Dans ce terreau d’inepties, le réalisateur se concentre surtout sur ses deux protagonistes ; ce mari et son devoir d’assurer la pérennité de la famille, cette jeune femme qui vient tout juste d’éclore. Et au fur et à mesure qu’ils s’attèlent à leur « tâche », le désir s’enracine dans leurs corps suants et nus. Le Coréen film cela avec une chaleur et un érotisme assez surprenants, n’hésitant pas à faire de leurs ébats des scènes assez crues, mettant en exergue cette désobéissance envers les anciens, les ancêtres, et leurs attentes. L’union est physique mais également psychique. Im Kwon Taek enrobe cette jeune fille dans des étoffes aux couleurs limpides et précieuses, accentuant encore plus sa présence et sa féminité, alors que l’on sait qu’elle devra s’effacer et abandonner son enfant et son amant. Une rigueur et un malheur annoncés auxquels le réalisateur tente de nous faire échapper, en filmant les passions et les pulsions, lesquels reviennent inlassablement s’incruster dans le champ avec des jeux d’ombre, des intérieurs quadrillés, des cadrages qui isolent tantôt le père, tantôt la mère. Si l’on ajoute à cette dramaturgie poignante, une photographie somptueuse et une bande sonore envoûtante, ce premier « pourcent » de la filmographie de Im Kwon Taek nous offre de belles promesses d’un cinéma riche de sens.

Nous faisons ensuite part belle à la compétition du festival, avec dans un premier temps, le (premier) film de l’Iranien Sina Ataeian Dena : (ironiquement) intitulé Paradise , le film nous emmène dans une école de filles au cœur de l’Iran. Un projet compliqué et ambitieux, puisque son métrage s’inscrit dans une trilogie sur la violence, filmée sans l’autorisation des autorités iraniennes, comme l’était Taxi Téhéran (à ce sujet, le cinéaste nous dit que le mouvement prend de l’ampleur en Iran, ce qui facilite la tâche aux réalisateurs et la complique pour l’État.) Avec une immersion quasi documentaire le film suit le parcours d’une jeune professeure pour se faire muter ; un quotidien dépeint de manière plutôt effrayante, où l’insécurité et le dogme religieux règnent. On lui reprochera certes quelques trous d’air car le temps pèse parfois lourd ; mais avec un vrai parti pris de mise en scène Sina Ataeian Dena signe un premier film dérangeant et donc réussi. Un portrait d’une société plombée par ses inégalités, envisagé avec le prisme de l’école que l’on retrouvait dans le film Wadjda de la saoudienne Haifaa al Mansour.

Enfin direction les Philippines, pour le long métrage Scarecrow (comprenez : l’épouvantail) réalisé par Zig Dulay. L’histoire d’un petit garçon accusé d’avoir volé une montre en or, un délit qu’il nie en bloc et qui pourtant l’entraine lui et toute sa famille dans une tourmente vengeresse. La véridicité de la parole infantile  au cœur de l’accusation, c’est quelque chose que l’on a déjà vu au cinéma ; on pense récemment à La Chasse de Thomas Vinterberg, ou moins récemment à la Rumeur de William Wyler (1961). Ici le refus d’avouer de la part de l’enfant combiné à l’accusation d’une autre adolescente vont conduire à l’enveniment d’une situation qui était déjà très précaire. La mère ne va plus pouvoir travailler et l’enfant ne va plus vouloir aller à l’école. Malgré l’aspect carte postale du cadre, la méfiance humaine et la misère sociale prédominent tout autant à l’autre bout du monde. Zig Dulay en fait son sujet, tout en y injectant de la drôlerie, de la légèreté, et de la festivité avec notamment ce très joli rôle pour le jeune Micko Laurente.

Bande-annonce Festival des 3 Continents

Rédacteur LeMagduCiné