Présenté au Festival de la Cannes, dans la sélection Un Certain Regard, le deuxième long-métrage du cinéaste costaricain Ariel Escalante Meza – Domingo y la niebla – prend la forme d’une tragédie d’atmosphère sur l’impossible deuil. Tristement beau et poétique.
Ariel, Marcel, Sam et les autres
« Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » demandait Arletty, avec sa gouaille légendaire, dans Hôtel du Nord (1939). Il peut sembler bizarre de citer l’une des plus célèbres phrases du cinéma hexagonal pour évoquer le deuxième long d’un réalisateur costaricain a priori à mille lieues des préoccupations du réalisme poétique. Eh bien détrompez-vous.
Domingo y la niebla a, en effet, plus en commun avec la poésie désespérée d’un Marcel Carné qu’avec le règlement de compte musclé à la Sam Peckinpah. L’intrigue est située quelque part au Costa Rica. Dans ce paysage montagneux et reculé, fait de brumes et d’immenses prairies, vit le vieux Domingo. Ce dernier est menacé. Sa maison – et celles des autres habitants – est construite sur un terrain convoité par des promoteurs (sans scrupules) qui voudraient en faire une autoroute. Domingo, accompagné de quelques autres, refuse de céder au chantage et autres intimidations. L’argent n’y change rien. Domingo ne veut pas partir.
Du thriller musclé au film d’atmosphère
Le refus obstiné du personnage dépasse – de loin – l’attachement sentimental. Il prend ses racines dans le mystique et l’inexplicable. C’est là que la brume (du titre) intervient (et prend toute son importance). Domingo ne vit pas sur n’importe quelle terre. Cette dernière possède, en effet, l’atout de faire (re)vivre les morts – en les ramenant auprès des vivants (on vous laisse deviner sous quelle forme). La brume constitue un personnage à part entière du film. Cette dernière possède une dimension légèrement angoissante qui accentue son mystère. Les apparitions de la brume signent (systématiquement) l’introduction d’une suggestion d’une stupéfiante beauté.
Ariel Escalante Meza compose des plans qui sont comme autant de tableaux de maître. On y voit Domingo déambuler seul et se parler à lui-même et s’adresser à celle qui n’est plus (tout en étant terriblement présente). Le cinéaste utilise sciemment un sujet banal, celui de l’homme bourru et taciturne refusant de quitter sa terre quitte, pour cela, à mourir – certes pas un synopsis inédit dans l’histoire du septième art. Domingo y la niebla possède bel et bien une « gueule d’atmosphère ». L’irruption de la brume fait basculer l’intrigue du côté du film d’atmosphère. Le thriller initial prend, ainsi, le chemin de la réflexion sur la mort – et sur le lien que les vivants veulent (et croient) entretenir avec elle.
La mort sans visage
Ariel Escalante Meza compose une œuvre à l’atmosphère magnétique. Si la rétine est scotchée à l’écran, l’esprit n’est aussi pas en reste. Domingo y la niebla interroge notre rapport à la mort en mettant en scène un vieil homme, persuadé (ou pas) que sa défunte femme vient lui rendre visite chaque soir. Domingo a-t-il des hallucinations ? Entend-il (vraiment), dans l’air, la voix de son épouse ? Si nous l’entendons (avec lui), c’est peut-être que cela est vrai ? Les morts ne seraient jamais tout-à-fait « morts » (du moins, dans le film). Toutes les options sont sur la table. Peut-être que Domingo a trouvé le moyen (mental) de retrouver celle qu’il aime (et n’est plus). Peut-être qu’il dit vrai. Sa fille refuse obstinément de le croire. Pour elle, ces histoires ne sont que foutaises, inventées par un homme qui tente de racheter ses fautes (passées) vis-à-vis de celle qu’il a auparavant blessée.
Pourtant, Domingo n’en démord pas. Ce qu’il dit est vrai. Il n’invente rien. Pas plus qu’il n’invente les attaques à moto de mystérieux rodeurs tirant que tout ce qui bouge –(en commençant par ceux qui refusent de céder la propriété). L’œuvre émeut en évoquant le délicat sujet du deuil (impossible). La grande question posée par le film n’est pas « que doit-on faire de nos morts ? » mais : Que font les vivants après la mort ? Où vont-ils ? Les morts peuvent-ils renaître sous la forme de l’impalpable ?
Le cinéaste dissèque l’au-delà. Dans le film, ce dernier prend la forme d’un univers parallèle, à la fois hermétique et totalement intégré à notre présent. Domingo évolue dans un monde fermé, marqué par l’angoisse de l’expropriation et la crainte du lendemain. Ce monde-là prend la forme d’un infernal purgatoire, coincé entre le paradis (des montagnes) et l’enfer (de la réalité sociale). Domingo attend d’être libéré. Allant chercher sciemment la mort, le héros rencontre (enfin) la brume, et avec elle l’espoir de retrouver celle qu’il aime. Jamais thriller n’aura été aussi beau et désespéré. Une réussite belle à pleurer.
Le film Domingo et la brume/Domingo y la Niebla est présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022
Domingo y la Niebla : bande annonce
Domingo y la Niebla : fiche technique
Scénario et réalisation : Ariel Escalante Meza
Interprètes : Carlos Ureña, Sylvia Sossa, Aris Vindas, Esteban Brenes Serrano
Photographie : Nicolas Wong Diaz
Montage : Lorenzo Mora Salazar
Musique : Alberto Torres
Production : Nicolas Wong Diaz, Ariel Escalante Meza, Julio Hernandez Cordon, Gabriela Fonseca Villalobos, Felipe Zuñiga
Genre : drame
Durée : 93 minutes
Espagne – 2022