FEFFS 2014 : Salle complète, lunes de miel et film à sketchs
Avant dernier jour à Strasbourg. Le réveil d’aujourd’hui étant -comme la veille- le sujet à une réflexion sur le visionnage ou non du second volet de Massacre à la Tronçonneuse. La soirée s’annonçant chargée, finalement on passera outre cette séance sympathique pour privilégier les films en compétition de ce soir et surtout la première européenne d’un film à sketchs terriblement attendus. De l’étang qui réveille des tensions psychologiques, de l’amour qui rend fou et une lune de miel qui vire à l’horreur. Voilà comment s’annonce ce début de soirée. Mais c’était sans compter une attente assez inattendue pour le film De Poel/The Pool de Chris W. Mitchell. Plus de tickets, ni même de places disponibles pour les accrédités presse. C’est aussi pour ça que j’aime le FEFFS, car on y trouve une vraie égalité entre les spectateurs et les pros/la presse. Pas de privilèges et c’est tant mieux pour les spectateurs, même si cela me dépite quelque peu de louper cette projection. Qu’à cela ne tienne, on ne m’y reprendra pas à deux fois. Toutes les séances du soir, j’y serais avec trente minutes d’avance.
Chers lecteurs, voici la sixième chronique du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) en exclusivité pour Cineseries-mag.fr
Alléluia
Réalisé par Fabrice du Welz (2014). Sortie le 26 novembre 2014.
Manipulée par un mari jaloux, Gloria s’est sauvée avec sa fille et a refait sa vie loin des hommes et du monde. Poussée par une amie, Gloria accepte de rencontrer Michel via un site de rencontre. Michel, petit escroc bas de gamme, est troublé par Gloria, et Gloria tombe éperdument amoureuse. Par peur, Michel se sauve, mais Gloria va le retrouver et lui faire promettre de ne plus jamais la quitter. Prête à tout pour sauvegarder cet amour, elle se fera passer pour la sœur de Michel afin que celui-ci puisse continuer à séduire des femmes pour de l’argent. Mais la jalousie gangrène peu à peu Gloria.
A défaut de louper la séance précédente, j’entre dans cette même salle du cinéma Saint-Exupéry depuis une semaine avec une certaine frilosité, celle d’avoir affaire au réalisateur qui nous a offert Calvaire, Vinyan (vainqueur en 2008 de l’Octopus d’Or au FEFFS) et Colt 45. La salle est bondée, le jury nous fait l’honneur de sa présence et le réalisateur nous salue avant le visionnage de ce film. Alléluia est donc une nouvelle version de l’Histoire des Tueurs de la Lune de Miel. Un couple d’américains bourré d’amour fou qui ont assassiné et dépouillé de vieilles veuves entre 1947 et 1949, avant d’être arrêté et condamné à la chaise électrique. Jusqu’au procès, ils évoqueront cet amour passionnel qui les a conduits à la folie. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes cette année, le film a suscité énormément de réactions, des plus enthousiastes aux plus mitigés. La première séquence du film se déroule dans une morgue et nous présente Gloria, le personnage principal féminin, nettoyant un corps sans vie. Grain sale, caméra au plus près des corps, les premières minutes nous montrent un film qui s’annonce aussi sauvage que sale et poisseux. La rencontre avec Michel nous amène au point commun de presque tous les films de Fabrice du Welz, l’amour fou. A partir de cet instant, le film déroule cette histoire de tueurs malgré eux qui partent dans des excès de violence par simple jalousie, Gloria étant la première à toujours donner le premier coup. Qu’est-ce-qui les passionne autant dans leur relation ? Gloria voit en Michel une preuve que l’amour, le vrai, existe encore après un mariage gâché et Michel voit en Gloria une sorte de figure maternelle qu’il n’a jamais vraiment eu pendant son enfance. Montré avec subtilité et élégance, on apprend que Michel pratique la magie noire pour séduire ces jeunes veuves. La caméra est charnelle, toujours au plus près des corps et rares sont les plans larges. C’est très cloisonné, très étouffant comme film mais ça ne renforce que l’aspect mal-à-l’aise du film. Virant étonnamment dans l’humour noir, tant certaines répliques ont amusé les festivaliers, Alléluia semble se mettre à distance de son récit en proposant une réflexion sur cet amour fou tout en évinçant le ton trop sérieux et malsain d’une production d’épouvante qui veut être le plus plausible possible. Terrifiant et amusant, Alléluia nous offre des personnages à l’écriture psychologique fine, ne tombant jamais dans une succession de personnages grotesques dont on attend seulement que le premier coup soit planté. Chaque mort est assez dur à supporter tant ces personnages ne sont que les victimes hasardeuses d’un couple de tarés, dont l’amour fou les a conduit au pire. Tarés certes mais sans qu’aucun parti-pris de mise en scène ne viennent juger ces gens et c’est là toute la justesse d’un film qui surprend dans la radicalité de son récit et qui s’avère être une véritable réussite. Un critique en ligne dira que Alléluia ressemble « à un épisode de Faites Entrer l’Accusé réalisé par Tobe Hooper ». Une phrase magistrale qui correspond parfaitement à l’ambiance du film.
Le générique défile dans un silence quasi-religieux. L’écran s’éteint. Fabrice du Welz débarque sur scène dans un tonnerre d’applaudissements. Il évoque cette histoire des Tueurs de la Lune de Miel et du fait qu’il n’en fait pas un remake, mais une version contemporaine propre à lui-même. Son Alléluia est une contraction originale de ce fait divers et avoue ne prendre que le matériau de base pour s’éloigner radicalement de ce mythe et livrer sa propre histoire. Il nous dit le pourquoi du parti-pris d’avoir osé un grain si granuleux, d’avoir tourné en 16mm et déclarant fièrement « Je suis un cinéaste et j’aime faire des films. Point. ». Applaudissements en masse, le discours de Du Welz est bien rodé. Il nous parle de ses personnages en souffrance, qu’il souhaitait toucher les corps et en faire une bête meurtrière à deux. Alléluia est un film sensitif, viscéral et physique, bien plus qu’intellectuel. Il réfléchit et prépare avec minutie son histoire, mais c’est davantage les sens qui parlent et c’est ce qui fait que le film est une sorte de poésie macabre. La mise en scène n’était pas préparée à l’avance. C’est davantage son cadre qui s’adaptait à la performance des acteurs. Il était primordial que le film soit tourné en fonction des acteurs et non pas selon un désir esthétique de mise en scène. C’était essentiel pour lui de revenir à un cinéma fantastique et mystérieux, après le tournage chaotique de Colt 45. Il en profite pour casser du grain sur le cinéma français et cette exploitation à outrance de déchets que sont « Kad Merad ou Franck Dubosc » et regrette que son acteur Laurent Lucas soit un acteur honteusement sous-employé. Il s’attarde un peu sur ce que l’on dit être « le second opus de la Trilogie ardennaise », nous répondant avec l’affirmative. Il révèlera même que le troisième volet est écrit et qu’il sera tourné dans les prochaines années, certainement d’ici deux ans. Ce sera toujours avec Laurent Lucas. Quand on lui parle de la crédibilité de cette histoire d’amour morbide, il répondra « Les gens tombent amoureux parfois (rire du public), souvent jusqu’à la folie, ce que les psychiatres appellent folie à deux ». Une manière de nous rappeler que ces films parlent de l’amour fou. Il détaille les tons de son film qui jongle entre le film d’horreur, la comédie musicale, la comédie et le drame. La difficulté était de rendre le tout cohérent. Il évoquera un tournage très heureux, jusqu’à l’état de grâce. Le directeur du festival écourte ce déjà-très-long question-réponse et nous dirige poliment vers la sortie de la salle. Malgré le ton un peu hautain de son réalisateur par moment, il faut que reconnaître que Alléluia est un sacré film et assurément l’un des favoris pour recevoir une récompense.
Note de la rédaction : ★★★★☆
Honeymoon
Réalisé par Leigh Janiak (2014). Date de sortie prochainement annoncée.
Paul et Béa, jeune couple amoureux, passent leur lune de miel sur les bords d’un lac reculé au coeur des bois. Béa est retrouvée errant dans la forêt, elle présente alors des troubles du comportement, sa mémoire et son expression elles-mêmes en sont affectées. L’inquiétude de Paul grandit : il pense que la femme débordante de vie qu’il a épousée se métamorphose en quelqu’un d’autre, pourtant c’est toujours Béa.
Honeymoon fait salle comble. Leigh Janiak se présente au public. C’est une petite blonde assez gênée qui nous présente son premier long-métrage. Petite production indépendante qui a su faire parler d’elle grâce à son casting d’acteurs que tout le monde a déjà croisé dans des séries actuelles. Rose Leslie dans Game of Thrones et Harry Treadaway qui interprète actuellement le Docteur Frankenstein dans la série Penny Dreadful.
Le manque de budget se fait ressentir et le cadre du film ne prend essentiellement place que dans ce chalet autour d’un étang pour ce qui s’annonce être la lune de miel d’un couple fougueusement amoureux, mais tout aussi fauché que le film. Il faut savoir que cette petite blonde gênée en a dans le ventre pour ce qui est d’esthétiser des endroits qui ne le sont pas forcément. Dans une mise en scène assez crépusculaire, la réalisatrice nous offre de très bonnes tranches de vie de ce jeune couple, aidées par les performances de ces deux acteurs principaux. Poignant et terrifiant tant l’incompréhension de tout le film nous amène vers un final complètement inattendu, Honeymoon est un film qui rallonge à l’excès le bonheur de ce nouveau couple marié et l’on attend durablement que quelque chose se passe. L’ennui pointe souvent le bout de son nez malgré la réussite esthétique et d’interprétations des acteurs qui sauve littéralement le film. Si le film n’est pas une énorme réussite, on lui pardonnera un manque de rythme et de moyens pour cette toute-jeune réalisatrice qui devrait à coup sûr être l’un des noms à suivre ces prochaines années. Au dénouement diablement efficace, Honeymoon est une production indépendante intéressante qui s’approprie avec brio les codes du fantastique et du mystère, bien qu’on lui reprochera d’avoir trop tenu à expliciter son final, laissant un effroi s’échapper d’un film qui aurait pu nous laisser dans l’incompréhension la plus totale. C’est peut-être cela qui aurait été le plus terrifiant.
Note de la rédaction : ★★★☆☆
ABC’s of Death 2
Réalisé par Rodney Ascher, Julian Barratt, Robert Boocheck, Alejandro Brugués, Kristina Buozyte, Alexandre Bustillo, Larry Fessenden, Julian Gilbey, Spencer Hawken, Jim Hosking, Lancelot Oduwa Imasuen, E.L. Katz, Aharon Keshales, Steven Kostanski, Marvin Kren, Juan Martínez Moreno, Erik Matti, Julien Maury, Robert Morgan, Chris Nash, Vincenzo Natali, Hajime Ohata, Navot Papushado, Bill Plympton, Dennison Ramalho, Todd Rohal, Jerome Sable, Bruno Samper, Shion Sono, Jen Soska et Sylvia Soska (2014). Sortie le 02 octobre 2014 en VOD.
Paul et Béa, jeune couple amoureux, passent leur lune de miel sur les bords d’un lac reculé au coeur des bois. Béa est retrouvée errant dans la forêt, elle présente alors des troubles du comportement, sa mémoire et son expression elles-mêmes en sont affectées. L’inquiétude de Paul grandit : il pense que la femme débordante de vie qu’il a épousée se métamorphose en quelqu’un d’autre, pourtant c’est toujours Béa.
Dernière séance Midnight Movies du festival avec l’évènement de cette édition du FEFFS, la première européenne de ABC’s of Death 2 et d’après Juan Martínez Moreno (membre du Jury Long Métrage du FEFFS), la seconde mondiale après la projection à Austin (Texas), la veille. Ce dernier en profite pour nous parler du concept de la saga (un troisième volet en préparation ?) ABC’s Of Death, d’une lettre et de 5000 $ attribuée à un réalisateur pour créer un segment. Juan Martínez Moreno a bénéficié de la lettre « S comme Séparé », et sans langue de bois, il s’agit de l’un des plus ingénieux segments grâce à un split-screen maîtrisé avec brio. Ces dernières années ont vu apparaître de nombreux films fantastiques qui reprenaient ce concept de films à sketchs et que les festivals s’arrachent. The Theatre Bizarre et sa suite prochainement attendu ou V/H/S et V/H/S 2, en attendant V/H/S Viral qui doit également sortir prochainement. Des films efficaces et terriblement décomplexés qui montrent une fureur et une frénésie chez des réalisateurs dotés d’une totale liberté artistique. Comme tout film à sketchs, l’inégalité entre segment est une tare car il laisse parfois des impressions négatives alors que certains courts valaient franchement le détour. La production ABC’s Of Death 2 voit de nombreux réalisateurs du cinéma fantastique à la notoriété bien ancrée défilaient lors du générique. Le concept du film permet de voir une multitude de formats de médias être employés, du court classique à de l’animation en passant par le stop-motion, sans oublier le found-footage ou des formats esthétiques plus audacieux. La variété des segments est vraiment la meilleure qualité de ces films. Libéré artistiquement, cette suite de ABC’s of Death ne fait pas dans la demi-mesure et propose des segments parfois déroutants, parfois pas, souvent gores et assurément de mauvais goûts. L’alchimie idéale pour une séance de minuit festive où les rires s’entremêlent avec les réactions de dégoût. Ceux qui ont adoré le premier opus aimeront assurément cette suite dans une vraie continuité de ce qui avait fait le succès du précédent.
Note de la rédaction : ★★★☆☆
Le retard dans la projection des films et les questions-réponses font sortir les derniers festivaliers du cinéma à 03h du matin. La nuit sera donc courte avant d’entamer cette dernière journée au festival qui sera le théâtre d’une succession de courts métrages internationaux et d’une cérémonie de clôture au cours de laquelle on saura enfin qui remportera le fameux Octopus d’Or ainsi que le Méliès d’Argent, les deux récompenses principales du Festival. La soirée s’achèvera avec la première européenne de Predestination, le nouveau film des Frères Spierig avec Ethan Hawke. A demain, les assassins !