Après une ouverture pas très reluisante en compagnie de La Nonne, il est temps de rentrer dans le vif du sujet et donc dans les différentes compétitions. Au programme pour cette 2ème journée, un film de rétrospective, le début de la compétition et un crossover. 3 films ayant par ailleurs un point commun qui s’inscrit à la perfection dans la thématique de cette année, à savoir la place des femmes dans le cinéma de genre. 3 œuvres mettant en scène des jeunes femmes face au mal qui ronge la société et qui prend très souvent la forme d’un homme.
[Rétrospective Chromosome XX] Mais ne nous délivrez pas du mal
Réalisé par Joël Séria (France). Date de sortie : 26 janvier 1972
Avec Jeanne Goupil, Catherine Wagener, Bernard Dhéran..
« Il se jeta résolument dans la carrière du mal » Cette citation extraite de Les Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont et lue par Anne dans le film résume parfaitement la destinée des deux jeunes héroïnes de l’œuvre de Joël Séria. Mais ne nous délivrez pas du mal fait partie de ces films français rares ayant marqué les esprits de part sa radicalité extrême qui eut l’effet d’un choc inégalé à l’époque. Contant l’histoire de deux jeunes adolescentes Anne et Laure dans un pensionnat catholique, le film montre comment les deux amies vont dévouer leur vie aux péchés et à Satan. Un film profondément dérangeant, transformant de doux visages angéliques en véritables succubes à la cruauté infâme. Mais ne nous délivrez pas du mal témoigne également d’une société emprisonnant deux jeunes femmes dans un carcan, devant répondre à des normes qui ne leurs conviennent pas et qui décident d’envoyer tout valdinguer. Anne et Laure se nourrissent par ailleurs des vices vivant en chaque être humain, et notamment les hommes. Dans le film de Séria, tous les hommes apparaissent comme des êtres libidineux aux tendances pédophiles, n’hésitant pas à se jeter sur Laure comme s’il s’agissait d’un vulgaire bout de viande. Au travers de cette croisade pour faire le mal, Anne et Laure s’émancipent de façon drastique, repoussant à chaque moment les limites jusqu’à commettre le péché ultime.
Mais ne nous délivrez du mal apparaît donc comme une œuvre d’une puissance thématique incroyable. Un film jusqu’au-boutiste mais qui souffre malheureusement un peu des ravages du temps. Bien que son discours soit toujours aussi impactant, et encore plus dans certains contextes très actuels, le film reste ancré dans une approche baroque du cinéma des 70s qui peut apparaître aujourd’hui datée. Jeanne Goupil inonde le film de son charisme, mais l’interprétation globale des différents personnages peut dérouter. Un film qui ne plaira évidemment pas à tout le monde, pouvant aller même jusqu’à cristalliser un rejet total de la part de certains. Mais ne nous délivrez pas du mal reste cependant un choc qui marque, imprégnant dans l’imaginaire du spectateur ses images iconoclastes et sa douce musique terrifiante.
[Compétition internationale] Human, Space, Time and Human
Réalisé par Kim Ki-duk (Corée du Sud) Date de sortie : inconnue
Avec Mina Fujii, Jang Keun-seuk, Ryoo Seung-bum…
Est-ce encore utile de présenter Kim Ki-duk, figure de proue du cinéma d’auteur coréen qui se voit ici l’honneur d’ouvrir la compétition internationale ? Déjà vainqueur de prix à Berlin ou à Venise, le cinéaste débarque ici avec Human, Space, Time and Human, une œuvre qui semble très éloignée des drames intimistes et contemplatifs dont il a l’habitude. On en est même à l’opposé total. Découpé en chapitres, le film met en scène une groupe de personnes sur un bateau de guerre. Un groupe de personnes symbolisant la société décadente d’aujourd’hui avec ses gangsters, escrocs, prostituées et politiciens véreux n’hésitant pas à profiter des honnêtes gens. Kim Ki-Duk décide donc au travers de son histoire fantastique où ce bateau se retrouve par magie propulsé dans le ciel de montrer comment cette société va péricliter dans le chaos le plus complet. Le discours du coréen se fait incisif, dépeignant un tableau très sombre d’une humanité individualiste, raciste et misogyne. Malgré son aspect féroce, Human, Space, Time and Human est avant tout grossier.
On est loin d’une certaine délicatesse d’autres œuvres de l’auteur, ici c’est le sexe et la violence qui dominent. Kim Ki-Duk s’enfonçant dans une parabole outrancière, accumulant des scènes chocs de façon redondante à base de viol et de dialogues composé à 75% d’insultes, dévoilant une vision misanthropique irritante. On peut saluer le fait que le réalisateur aille jusqu’au bout de son idée (n’hésitant pas à convoquer même l’inceste) mais le tout s’avère plus énervant qu’exaltant. Ce survival devient très vite d’une redondance folle, se contentant de répéter les mêmes actions ad nauseam. Au milieu de ce massacre, une jeune japonaise semble, aidée par un vieil homme muet allégorie de Dieu et de la vie, représenter la seule humanité de cette civilisation gangrenée jusqu’à la moelle par le mal. À la manière de Aronofsky dans son horripilant Mother!, Kim Ki-Duk place la figure maternelle et de la renaissance au sein d’un cercle vicieux à la subtilité inexistante. Human, Space, Time and Human s’avère tout aussi exaspérant et les deux heures apparaissent comme un véritable supplice.
[Compétition Crossovers] Profile
Réalisé par Timur Bekmanbetov (USA, Royaume-Uni, Chypre, Russie) Date de sortie : inconnue
Avec Valene Kane, Shazad Latif, Christine Adams…
En cette période où le débat sur la légitimité des productions Netflix (pour être considérées comme du cinéma) fait beaucoup parler, Timur Bekmanbetov semble avoir trouvé le bon filon pour faire de l’écran d’ordinateur ou de smartphone le support de visionnage le plus immersif. Après avoir produit Unfriended en 2015 qui avait connu son petit succès, le cinéaste russe propose une nouveau dérivé du Screenlife, procédé mettant en scène une histoire uniquement au travers d’un écran d’ordinateur. Il s’intéresse d’ailleurs ici à une histoire vraie terrifiante d’une journaliste qui entre en contact avec un recruteur de l’État Islamique. Loin de l’horreur de Unfriended, on se retrouve ici face à quelque chose de bien plus tangible et donc encore plus angoissant. Ayant recours seulement à des appels Skype ou des conversations par messagerie, Profile permet cette approche réaliste en nous propulsant dans un terrain familier et connu de tous. Alternant habilement entre les différentes fonctionnalités, Profile s’avère prenant, même si l’on pourrait regretter une difficulté à mettre en scène le danger de la position dans laquelle se trouve notre héroïne. Si elle apparaît à quelques moments, la menace semble bien trop éloignée tout au long du film. Bekmanbetov se rattrape cependant dans un final assez tétanisant montrant au contraire l’omniprésence de cette dernière.
Cela met également en exergue les limites de ce procédé. S’il permet de faire vivre cet aspect de proximité, le Screenlife témoigne de véritables lacunes au niveau de la mise en scène. Le concept s’essouffle, provoquant certains temps-morts assez préjudiciables, et se repose très vite sur un mécanisme réglé de façon redondante. On pourrait aussi évoquer des problèmes dans la façon dont l’histoire est romancée, notamment dans le développement de la relation entre la journaliste et son recruteur qui semble peu naturelle. Profile est évidemment bien plus qu’un beau placement de produit pour les produits Apple et toutes leurs fonctionnalités, et annonce une nouvelle dimension dans la manière de faire vivre l’horreur comme le faisait le found footage dans les années 90 avant l’indigestion. Reste que pour une fois, on aurait préféré voir le film sur son ordinateur plutôt que sur un grand écran.