Portrait intime entre un père et son fils trisomique, Color Book déploie toute son intensité émotionnelle dans leur complicité hors du commun. Doté d’un sujet qui a tout pour bouleverser, David Fortune injecte toute sa foi dans son premier film, où il nous donne une bonne raison de suivre le parcours d’un duo en mal de repères et d’affection. Une petite note de douceur au milieu d’une sélection assez disparate.
Synopsis : Après le décès de son épouse, un père dévoué apprend à élever seul son fils atteint de trisomie 21. Tout en s’adaptant à leur nouvelle vie, ils entreprennent un voyage à travers la ville d’Atlanta pour assister à leur premier match de baseball.
À la manière de Rain Man, ce road-trip dramatique repose alors essentiellement sur la complicité d’un père et son fils trisomique, tous deux endeuillés de Tammy (Brandee Evans), une épouse et une mère attentionnée, à la suite d’un accident de voiture. Dans le but de pallier cette perte et de se rapprocher l’un de l’autre, Fortune nous concocte un voyage semé d’embûches à travers la banlieue industrielle d’Atlanta. Assister à un premier match de baseball à domicile constitue alors le fil rouge du récit, mais Lucky (William Catlett) entend également cette proposition de la part de son fils Mason (Jeremiah Alexander Daniels) comme la dernière volonté de sa femme et compte bien achever cette mission quoi qu’il advienne.
Colorier les sentiments
Il n’est donc pas question de traiter du handicap comme dans L’École de la vie, ou d’en rire sans jugement comme dans Un p’tit truc en plus, mais plutôt de raconter en quoi il est indispensable d’accompagner ces individus en manque d’amour. Pas non plus question de discuter de l’intégration de ces personnes au cœur de la société (Hors normes), car ce récit est ancré dans l’instant (Le Huitième Jour). Père et fils sont amenés à s’apprivoiser et à se chérir comme personne d’autre ne le ferait à leur place. David Fortune a déjà accompli cet exploit dans son précédent court-métrage, Us, qui conserve la même aura, malgré des longueurs qui rendent quelques séquences de crises répétitives. Panne de voiture et train manqué sont quelques exemples de la fuite en avant qui opère et qui mettra Lucky à rude épreuve. La patience, le tact, la compréhension, ces choses ne sont pas si naturelles qu’il n’y paraît. Mason perd facilement sa concentration sous les ultimatums d’un père déchaîné et convaincu de bien faire. La force du récit, qui n’a rien d’original en soi, réside pourtant dans leur capacité à marcher, voire courir, main dans la main, sans s’arrêter et sans se laisser rattraper par le passé.
Durant la traversée, le cinéaste en profite également pour filmer, avec nostalgie et mélancolie, la Géorgie qui l’a nourri et élevé. Pourtant, le parti-pris d’une image en noir et blanc semble dispensable par bien des égards, notamment lorsque la caméra s’attarde sur le paysage métallisé et rouillé d’une ville qui est née et qui continue d’évoluer grâce à la révolution technologique. Fortune a déjà prouvé qu’il était capable de donner un sens plus profond aux couleurs de ses décors délabrés en baladant sa caméra dans les faubourgs de Los Angeles. Et quand bien même ce choix artistique monochromatique nous laisse imaginer les couleurs que l’on pourrait mettre dans le livre de coloriage du jeune Mason, il n’est pas difficile de percevoir le monde incolore dans lequel vivent les protagonistes. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’existe plus aucune chaleur pour ces deux âmes errantes, qui cherchent infidèlement à se connecter à la mémoire de Tammy. Cela peut passer par un ballon, par des colliers de perles ou des fleurs (Shoebox), mais tout l’objectif de cette fine équipe est de jouer collectivement et à l’unisson, car ils recherchent désespérément la même chose, à savoir combler ce trou béant qui les empêche de rester à l’écoute l’un de l’autre pendant tout le trajet.
Parviendront-ils jusqu’au Truist Park à temps ? Pourront-ils enfin se réconcilier avec eux-mêmes, en mémoire de Tammy ? Toutes les réponses sont réunies dans une scène particulièrement prenante où Lucky et Mason s’engagent sur un passage piéton. Il s’agit notamment du point culminant de leur voyage, qui sur-symbolise un peu trop leur unité. Reste que cette séquence fonctionne mieux que les précédentes. Il manque donc encore quelques réglages pour que l’émotion jaillisse avec précision, car Color Book ne manque pas de générosité dans cette approche. Pour David Fortune, l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu. Ce vieil adage, qui peut sembler naïf selon la situation, trouve son lyrisme dans ce film de résilience, d’une grande sincérité.
Color Book est présenté en Compétition au Festival de Deauville 2024.
Fiche technique
De : David Fortune
Année : 2024
Durée : 1h38
Avec : Will Catlett, Jeremiah Daniels, Brandee Evans, Terri J. Vaughn, Njema Williams, Kia Shine Coleman, Joseph Curtis Callender
Nationalité : États-Unis