Clermont-Ferrand 2015, le festival en off

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Clermont-Ferrand 2015 : Hitchcock, onirisme et Djihad

Durant huit jours, quelque 160.000 spectateurs se sont déplacés dans la capitale auvergnate pour voir près de 170 films en compétition, bravant la pluie, la neige, et le verglas. Malgré le nombre important de prix attribués (trente-deux récompenses et sept mentions), un grand nombre de courts de grande qualité n’ont pu être récompensés. Sélection oblige.

La Rédaction LeMagduCiné a eu le privilège de voir de très belles choses à Clermont, et a profité pleinement de cet esprit d’échange dynamique et festif.

Une ombre au tableau toutefois : une des auxiliaires de rédaction du quotidien régional La Montagne a été violemment agressée durant la nuit du jeudi 5 février 2015, alors qu’elle devait couvrir les concerts de l’Electric Palace. Nous avons eu la chance de passer d’excellentes soirées dans cet espace convivial, où les festivaliers, les acteurs, les réalisateurs, les producteurs, se réunissent, peuvent se restaurer, assister à des concerts, échanger… Même si les soirées de l’Electric Palace n’incombent pas aux organisateurs du festival, Jean-Claude Saurel, le président de Sauve qui peut le court-métrage s’est insurgé à raison, lors de la cérémonie de clôture du samedi 7 février 2015, contre cet acte de violence (tout comme le maire Olivier Bianchi dans un autre cadre, et Stéphane Calipel, le président de l’événement sur la page Facebook de l’Electric Palace). Une pensée solidaire de la Rédaction à cette jeune journaliste, brutalisée dans l’exercice de ses fonctions.

electric-palace-festival-clermont-ferrand-2015Mais c’est avant tout l’esprit festif et ce grand moment de culture que nous retiendrons. Un grand festival est fait de rencontres, de dialogues, qui perturbent l’agenda, même le plus millimétré. Et c’est tout à fait normal. C’est une tranche de vie, mêlée de passions non antagonistes qui se rencontrent, se toisent parfois, s’émulent assurément à travers leurs échanges.

CineSeriesMag désire clore le chapitre de ce grand festival en partageant avec vous ce type de rencontres privilégiées en off du festival, auprès de 3 réalisateurs, 3 parcours, 3 styles différents:

Clermont-Ferrand 2015 : Entretien avec Gwenaël Baudic, Adrien Lhommedieu et Patrick Hadjadj

– Pour l’ambiance fantastique : Egaré (Missing) de Gwenaël Baudic, France, 2014, Fiction, 18’55

Synopsis: Veuf et solitaire, Victor subit d’étranges manifestations la nuit venue. Se réfugiant quotidiennement dans son bureau, il va devoir aller au-delà de ses peurs afin de comprendre ce qui se cache derrière tout ça.

Gwenaël Baudic se présente comme « totalement autodidacte ». Il n’a « jamais eu la possibilité de faire une école privée ». Les bancs de la fac ne le passionnent pas. mais avec une bande de potes, il commence « à réaliser de petites choses ensemble ». « Je mettais la barre un peu plus haut à chaque projet afin d’apprendre au mieux et de ne pas se casser les dents! »avoue t-il pudiquement.

Ses influences cinématographiques? « Etant né au début des années 80, mes influences sont principalement américaines. J’aime le cinéma de divertissement. Sans être très original, je voue un culte à Spielberg et je dirai que mon influence principale pour le fantastique est Carpenter« .

Égaré n’est pas son premier court-métrage mais c’est celui qui a bénéficié du plus de moyen. « Il a été entièrement auto-financé. J’y ai mis l’intégralité du cachet d’une pub que j’avais tourné auparavant. L’équipe était entièrement bénévole, et la post-production a été faite à titre gracieux via la société Apyfilm dont le gérant Pierre-Yves Bariquault est un ami de longue date (rencontré justement sur les bancs de la fac). L’argent a servi principalement pour le matériel de tournage et le défraiement de l’équipe. Je n’ai jamais eu la patience de monter un dossier de financement long comme le bras, attendre 6 mois pour qu’on le lise et qu’on me réponde au final que le thème de mon projet ne rentre pas dans les bonnes « thématiques ». »

Concernant la genèse du film: « Pour faire simple, disons que l’idée est née en revoyant le film d’Hitchcock Fenêtre sur cour, quand à la fin, le personnage de James Stewart entend le tueur se diriger jusqu’à son appartement et s’arrêté derrière sa porte… James Stewart éteint la lumière… tout était là ! »

Pour l’ambiance onirique et poétiqueLila & Valentin d’Adrien Lhommedieu, France, Fiction, 18’31

Synopsis: Lila est une jeune femme qui, à la suite d’un accident, est plongée dans le coma. Les médecins n’arrivent à l’en sortir, c’est comme si elle résistait. La dernière solution qui s’offre à eux est de tenter une expérience non autorisée : envoyer Valentin, son petit ami, dans son esprit…

Adrien Lhommedieu a grandi à la mer, sur la côte d’Opale et a fait des études dans l’audiovisuel, un cursus complété avec une licence d’art plastique.

Il part vivre à Los Angeles « pour travailler au Film & TV Office du Consulat de France. Pendant plusieurs mois, comme une éponge, j’ai accumulé la vision américaine du travail. Los Angeles est une ville impressionnante, car à la fois on se sent minuscule, tout le monde est là pour faire du cinéma, et d’un autre côté c’est très stimulant car tu sais que t’es dans la même ville que Fincher, Tarantino, Lynch, Spielberg… Ça donne des frissons. »

Dès le lycée, il devient accro à l’image : « J’ai regardé l’intégrale des Freddy en une journée, je me faisait des cessions par réalisateur : tout Truffaut, tout Myasaki, tout Kitano, tout Kubrick. C’est assez significatif de ma manière de fonctionner, encore aujourd’hui. Quand j’attaque un sujet, j’aime le connaître, le maîtriser, voir ce qui a été fait avant pour parler en spécialiste. »

Les films qui lui ont laissé une profonde empreinte : « Take Shelter de Jeff Nichols, Eye Wide Shut de papa Kubrick, eXistenZ et a peu prés tout Cronenberg. Cette année, c’était Interstellar et Only Lover Left Alive. Énorme claque. »

Concernant la genèse du film: « Lila & Valentin est un film parti d’une impulsion assez vive et inattendue. J’avais en tête depuis plusieurs mois d’adapter le poème A Dream Within a Dream d’Edgar Allan Poe. Mes influences cinématographiques du moment étaient Eternal Sunshine of the Spotless Mind, The Tree of Life et Inception. Je voulais parler du voyage dans l’esprit, à travers une histoire d’amour, mais je n’arrivais pas à construire cela autour d’une histoire. Et puis j’ai eu le déclic après avoir vu deux films : The Ganzfeld Procedure de McCarthy et Apricot de Ben Briand. Deux thématiques très fortes s’imposèrent à moi : la notion de mémoire, l’importance du passé et des souvenirs sur notre vie présente, et l’expérience scientifique comme moyen d’accéder à l’âme d’une personne. »

Amoureux de la poésie et des mythes :  » Quand Orphée descend aux Enfers pour aller chercher sa belle, il met sa vie en péril pour la retrouver. L’amour dépasse les frontières de l’espace et du temps. Il peut être immortel et infini. Valentin incarne ce héros tragique qui doit affronter l’incohérence et la complexité du monde intérieur de Lila, son enfer à elle qui pourrait bien se transformer en paradis. »

Et l’avenir? : « Parallèlement je prépare un autre court-métrage, et j’ai un long-métrage dans les tuyaux également. Ça sera un film sur la mémoire et la marque des événements sur notre personnalité. »

Pour la beauté du noir et blanc, de la photographie, pour l’engagement politique et l’actualité de l’œuvre, et parce qu’une rencontre impromptue sous la neige est toujours un moment appréciable :

You are my lucky star, Patrick Hadjadj, Fiction, 2012, 13’31

Synopsis: Rentrer chez soi très tardivement et être accueilli par sa femme bien éveillée peut se révéler embarrassant. Surtout quand elle a disparu depuis trente ans et qu’elle réapparaît au même âge ! Ils s’étaient rencontrés dans un cinéma de quartier, leur histoire avait un fort goût d’inachevé. L’homme s’est aigri, la femme s’est radoucie. Le ciel s’est ouvert et le cinéma n’est pas encore fermé.

On retrouve ici l’actrice Lucie Borleteau, femme d’Antonin Peretjatko et surtout réalisatrice du beau Fidelio en ce moment à l’affiche, « mais le tournage date de 2012 et on n’en était pas encore là ».

Djihad et marmelade, Patrick Hadjadj, Fiction, 2014

Synopsis: Un jeune, parti en Syrie pour le djihad s’aperçoit qu’il est d’abord français.

Équipe:

Ingénieur son : Frédéric Ullmann
Image et montage : Pierre Datry
Ecriture et réalisation : Patrick Hadjadj,
Avec
Yeneho Bah dans le rôle de Ibrahim Cé
Adam Fadli
Mohammed Mellouki
Vitalie Kiadianga
Mohamed Benoudiba…
Matériel utilisé : iPhone 6 mais complété du matériel de long-métrage de Frédéric Ullmann (son 5.1)
Production : Les enfants du Tringlodrome (productrice Stéphanie Hadjadj)
Distribution : Michel Viktorovitch

Concernant la genèse du film: « Là où j’enseigne à mi-temps en terminale, au Blanc Mesnil, une élève que j’aimais beaucoup, est partie au djihad ! Elle était drôle, subversive… En réalité, il y a deux ans, elle avait vraiment la pêche, et était championne de judo. Ensuite, elle devint un peu moins gaie et avec le jilbab noir. Mais j’ai des photos d’elle pétillante lors de sorties cinéma que j’organise dans les cinémas arts et essais de Paris. Et en octobre, alors que je suis au festival de Montecatini, en Toscane, avec You are my lucky star (prix du meilleur film), elle fugue, en prétextant même à ses parents qu’elle va à une de mes soirées cinéma (…) Là où tout se complique c’est quand, en novembre elle envoie un message de mort à ses copines, qu’elle seront égorgées par ses copains du djihad, soit en tant que chrétiennes, soit en tant que musulmanes pas assez pratiquantes. Là, l’envie de la retrouver et l’accueillir en chantant si elle revient, en prend un coup. En décembre, Richard Sidi (Maison du Film Court) me propose de faire un film pour le Mobile Film Festival. Juste une minute et au portable.

Evidemment, je dis non. Cela me paraît aberrant. Mais avec le recul, et la loose aidant (…), je finis par décider d’essayer (…) J’ai donc tourné en décembre avec des jeunes d’une autre classe, avant les événements de janvier et tu connais la suite (Ramdam Film Festival en Belgique, etc) (ndlr : annulation du festival de cinéma menacé d’attentats. Djihad et marmelade fut diffusé la veille). Le tournage a lieu le 23 décembre 2014. Le plus dur fut de trouver le lieu pour représenter la « Syrie ». On avait d’abord pensé aux caves de l’immeuble des Tilleuls où habite Yeneho. Mais elles avaient été rénovées et paraissaient beaucoup trop propres ! Et pas le temps ni les moyens de tout salir avec un décorateur. Heureusement, on trouve un urinoir défectueux devant être bientôt mis aux normes  mais c’était très important pour moi : il faut sortir ces jeunes de leur milieu, c’est la meilleure façon de leur donner d’autres horizons, une autre structure. Les fanatiques jouent sur du velours : ils proposent un horizon infini et une structure ! Avec le cinéma, comme avec le sport, on peut aussi leur offrir cela ! « .

C’est cela le court-métrage, le passage d’un univers à l’autre, le grand écart culturel.

Cette 37ème édition fut une aventure mémorable, et passionnante en tous points. LeMagduCiné espère vous avoir convaincu à travers ces quelques chroniques, que le dépaysement en vaut vraiment la peine.

Comme l’affiche ostensiblement la Maison de la Culture sur un de ses piliers, la culture se vit, la culture est un moment privilégié d’échanges où les différences de surface s’estompent par la force du dialogue, dans un esprit qui se doit d’être festif. La culture est plus que jamais notre liberté.

CineSeriesMag vous donne rendez-vous pour la 38ème édition.

Quelques rendez-vous:

Pour les amoureux du format court, l’année 2015 prévoit de grands rendez-vous à venir. Loin d’être exhaustifs, nous citerons succinctement :

– Le Web Program Festival du 16 et 17 mars 2015. Nous y serons.

– Le Festival Silhouette où la Rédaction sera présente selon toute vraisemblance, du 26 août au 5 septembre 2015.

Le Festival Européen du Film Court de Brest fête ses 30 ans, et a proposé à Clermont-Ferrand une séance exceptionnelle placée sous le signe de la jeunesse éternelle, à travers le programme spécial « Forever Young », un tour d’Europe des pratiques et astuces déclarées sources de jeunesse par votre corps. Le Festival de Brest ouvrira ses portes du 10 au 15 novembre 2015.