difret-mehari-film-critique-visuel

Caravane des Cinémas d’Afrique : le film Difret primé

Le Prix du Public 25ème édition du festival a été remis ce dimanche 10 avril au film Difret de Zeresenay Mehari.

Synopsis : Hirut, une petite fille éthiopienne, se fait enlever et violer. Lorsqu’elle essaye de s’enfuir, elle tue son agresseur. Meaza, fondatrice de l’Association des Avocates Ethiophienne, va prendre sa défense et l’aider.

Allons droit au but : le gros problème du film réside dans sa forme. Le sujet, lui, est intouchable. Tiré d’une histoire vraie, une mineure de 14 ans abusée, le combat pour les droits des femmes, le combat pour la civilisation, bref tout y est. Voilà en gros ce dont voulait parler le réalisateur Zeresenay Mehari, éthiopien de naissance, émigré aux Etats-Unis. Ce sont bien sûr des questions importantes, auxquelles le cinéma répond en créant des oeuvres d’art, portant ainsi connaissance de la situation à travers le monde. Ce qui est intéressant dans Difret, c’est d’une part bien sûr l’histoire, mais également la découverte du pays le plus vieux du monde. On y voit bien l’opposition entre d’un côté un pays pétri de traditions, principalement hors de la ville, et de l’autre la ville et ses progrès. Ainsi, après que Hirut eut tué son agresseur, le tribunal du village se réunit et ordonne un jugement, qui a première autorité sur celui plus important de la ville. Cela n’enlève pas l’officialité du premier, au contraire. Le gouvernement ne veut pas s’opposer aux vieilles traditions, qui obligent les gens à rester manger sous peine d’impolitesse, et autorisent les hommes à choisir leurs épouses par enlèvement. Ce traitement, affreux, aurait pu avoir plus de nuances. Le manichéisme imprègne le film, avec d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Cela se retrouve particulièrement sur le personnage de l’avocat qui défend l’homme tué : il est clairement désigné comme méchant presque comme s’il voulait juste voir lui-même la petite se faire exécuter, alors qu’il ne fait que prendre la défense de son client.

Du côté de la forme, le réalisateur a choisi de mettre en avant l’émotion et le sensoriel. Il y a en effet un gros travail au niveau du son pour nous mettre dans la peau d’Hirut : quand elle se fait frapper, notre oreille est perturbée (classique), lorsque le téléphone sonne, les bruits deviennent confus, comme l’est la jeune fille. A de nombreuses reprises, on remarquera l’utilisation du regard caméra lors de certains dialogues, pour mieux nous impliquer ? L’implication se fait sans problème par ce style faussement documentaire si cher aux films se voulant réalistes à l’américaine. Il y a une grosse différence de style entre un film éthiopien comme The Price of Love de la réalisatrice Hermon Hailey, et Difret, produit par Angelina Jolie. Quelle dommage de voir un tel didactisme, une telle froideur dans les plans ! Certes le réalisateur a fait appel à des acteurs et actrices éthiopiens, il a collaboré avec les techniciens du pays, mais en s’entourant tout de même d’une productrice au nom bien connu, Angelina Jolie, mais aussi de Monika Lenczewska, chef opératrice, et de la monteuse Agnieszka Glinska. C’est-à-dire les deux postes les plus significatifs sur la forme d’une oeuvre cinématographique. C’est presque aberrant que certains critiques en viennent à encenser l’art éthiopien, alors que ce n’est qu’un calque de la plus pure production américaine.

En définitive, il n’y a rien d’intéressant dans la manière dont Difret est filmé… mais était-ce là son but ? On pourrait croire que non. Toutefois, le cinéma étant à la fois un fond et une forme, un sujet et une mise en scène, les deux sont indissociables. Que l’un ou l’autre soit sans intérêt nuit gravement à la qualité du tout, et à l’intérêt qu’on porte au long-métrage. Il n’empêche que tous les combats valent la peine d’être menés. Le film a rencontré un succès mitigé en France, totalisant un peu de moins de 4770 entrées, ainsi qu’aux Etats-Unis, où il n’a remporté que 38 500$… Si c’était pour sensibiliser l’Occident, c’est un échec. Il faut noter que le film a tout de même reçu plusieurs prix…du public (qui est à la fois un mauvais et un bon indicateur de la qualité d’un film), notamment le prix Panorama du Public à la Berlinale 2014, le prix du public du meilleur film au Sundance Festival 2014, et enfin à la Caravane des Cinémas d’Afrique 2016. Quant à l’Afrique, le film a été interdit en Ethiopie, car la femme bafouée dont l’histoire s’inspire a porté plainte.

Difret : Bande-annonce

Difret : Fiche Technique

Réalisation : Zeresenay Mehari
Scénario : Zeresenay Mehari
Distribution : Meron Getnet (Meaza Ashenafi), Tizita Hagere (Hirut Assefa)
Photographie : Monika Lenczewska
Décors : Tewodros Berhanu
Costume : Helina Desalegn
Montage : Agnieszka Glinska
Musique : Dave Eggar et David Schommer
Sociétés de Production : Haile Addis Pictures et Truth Aid
Durée : 99min
Sortie en salles le 8 juillet 2015

Ethiopie, Etats-Unis – 2014