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Au Festival du Film Coréen à Paris, héros et antihéros se partagent l’affiche

Le Festival consacré au cinéma coréen se poursuit à Paris, et la rédaction a pu y voir trois films, dont le nouveau Kim Jee-Woon, qui était l’une des plus grosses attentes de cette semaine.

Section Paysage : Press de Choi Jeong-min (date de sortie encore indéterminée)

Sorti depuis peu de prison, Yong-Il tente de se réinsérer en travaillant comme ouvrier dans une usine de pressage. Sa rencontre avec une jeune femme d’un programme d’entraide lié à l’Église va le sortir de son quotidien sordide. Pourtant, ses penchants borderline et son incompréhension flagrante de la gente féminine l’empêcheront de mener une relation épanouie et de se reconstruire.

Réparer ou détruire. C’est ce choix cornélien qui est au cœur de ce film dont le titre fait référence à l’outil de travail de de Yeong-il, un individu au passé trouble (qui ne sera jamais éclairci) et à ce point taiseux qu’il en devient antipathique au possible. Son quotidien sans saveur dans une usine est filmé d’une façon à ce point morne que l’on en vient à partager son ennui routinier. Le parti-pris minimaliste peut jusque-là se justifier, mais s’avère très vite pesant dès lors que le scénario tente de donner une place à ce qui pourrait s’apparenter à une histoire d’amour à sens unique. La relation entre Yeong-il et Bora, une assistance sociale rattachée à l’église, contient un caractère malsain que le réalisateur s’interdit d’exploiter en choisissant au contraire de la développer avec une mièvrerie confondante. Il faudra attendre que cet antihéros pète littéralement les plombs en agressant sa nouvelle amie pour que l’on prenne enfin conscience de sa dangerosité. Le manque de subtilité dans l’allégorie de son rapport à la machine, qui restait pourtant la meilleure piste de lecture du scénario, est lui-aussi dommageable pour le discours social de ce long-métrage assimilable, pour la forme, à un téléfilm fauché, pour le fond, à un mélodrame fort malhabile. En n’en retiendra que les scènes de karaoké, dans  lesquels le personnage principal apparait vraiment comme effrayant !

Section Paysage : Dongju : Portrait d’un poète de Lee Joon-ik (date de sortie encore indéterminée)

Fukuoka, 1945. Yun Dong-ju est un prisonnier cornéen que les services impériaux japonais accuse d’appartenir aux mouvements indépendantistes de son pays. Le prisonnier revient sur son passé, depuis sa jeunesse en Mandchourie jusqu’à ses études de lettres à Kyoto, en passant par son éveil à la création poétique.

Méconnu en France, le poète Yun Dong-ju est pourtant un symbole très fort en Corée. Il était donc tout à fait légitime que son parcours fasse l’objet d’un film. Il est en revanche fort regrettable que celui-ci noie ses nobles ambitions dans un manque de maitrise cinématographique aussi grossier. Lee Joon-ik n’aura pas été le premier à tomber dans ce piège rédhibitoire, mais faire un biopic littéraire ne doit pas signifier qu’il se base sur des discours sur-écrits. Dès les premières minutes, les grands discours sur l’attitude à adopter face à l’occupant japonais apparaissent comme trop soutenus et surtout trop mal interprétés pour que le réalisme des scènes dans lesquels ils sont tenus puisse être admissible. Et tout le film souffrira ensuite du même problème de dialogues superficiels, alors que les poésies ne seront elles-mêmes que peu exploitées. Difficile également de pardonner au réalisateur, à qui l’on doit pourtant le très beau Le Roi et le clown, qu’il limite son travail de reconstitution historique à un niveau proche du vide absolu et à une photographie noire et blanche disgracieuse. En plus de cette direction artistique problématique, le potentiel de ce récit historique est réduit à néant par un scénario extrêmement manichéen et surtout au manque de charisme de son personnage principal. Ce n’est pas rendre justice à Dong-ju que de faire en sorte que l’on s’attache moins à lui qu’à son cousin, et ce jusque dans le dernier  quart d’heure dont lequel les enjeux seront (enfin) mis sur la table. Incontestablement, ce film n’est pas la meilleure façon de découvrir qui était ce poète-martyr et moins encore ce qu’il représente auprès de ses compatriotes.

Section Evénement: The Age of Shadows de Kim Jee-Woon (date de sortie encore indéterminée)

Dans la Corée des années 20, l’armée japonaise mandate Lee Jeong-chool, un policier travaillant pour eux, d’enquêter sur un groupe de résistants. Il se rapproche pour cela de l’un de ses membres, un photographe avec qui il va vite sympathiser. Mais le jeu de dupes est à ce point opaque qu’il est difficile de déterminer qui manipule qui.

A sa manière, dans la façon de s’attaquer à tous les genres (horreur, polar, western, action et même comédie romantique), Kim Jee-Woon s’impose d’année en année comme le Kubrick coréen. Aujourd’hui, le réalisateur revient avec une fresque historique se déroulant dans les réseaux de la résistance face à l’occupant nippon. Un projet ambitieux assimilable à un L’armée des Ombres (Jean-Pierre Melville, 1969)  local. Avec les présences de  Song Kang-ho (Memories of Murder), Gong Yoo (Dernier train pour Busan) et même de Lee Byung-Hun, on comprend que le film soit depuis plusieurs semaines largement en tête du box-office coréen. A l’inverse de Dongju, le film vu quelques heures plus tôt, on ne peut que se réjouir de la qualité remarquable de la reconstitution, grâce à  des décors et des costumes soignés, mais aussi une photographie irréprochable. Après une introduction (qui dure tout de même près d’une heure !), nous présentant tous les personnages et mettant en place leurs relations ambigües, le thriller commence enfin véritablement. Malgré cette première partie un peu fastidieuse, le suspense qui va se créer dans la seconde moitié fait de cet Age of Shadows un film d’espionnage d’une redoutable efficacité. Dans la continuité de sa filmographie, Kim Jee-Woon mêle une ambiance assez sinistre à une mise en scène divertissante, qui se concrétise en l’occurrence dans des scènes d’action magistralement chorégraphiées, et des personnages à la psychologie tourmentées. Nul doute que les nombreux amateurs apprécieront, et que le film ne tardera pas à se trouver un distributeur.

 

Rédacteur