La 25ème déjà. Les raisons de faire la fête ne manquent pas à l’Arras Film Festival, mais le passage d’un cap symbolique donne toujours un parfum d’impatience supplémentaire aux retrouvailles annuelles avec la manifestation. Et à en croire le nombre de séances déjà complètes avant même le coup d’envoi, la fièvre des salles obscures n’est pas près de s’estomper dans l’arrageois.
On ne pourrait choisir meilleur titre pour ouvrir le bal. Dans En Fanfare, film d’ouverture de cette 25ème édition, Benjamin Lavernhe joue le rôle de Thibaud, célèbre chef d’orchestre attaqué par une leucémie. En quête d’un donneur de moelle osseuse, il se découvre un frère adoptif en la personne de Jimmy, incarné par Pierre Lottin, cantinier et joueur de trombone à Lallaing, petite ville des Hauts-de-France. Une vie et un monde les sépare, mais ils ont en commun l’amour de la musique et surtout l’oreille absolue, faculté de superception dont un seul des deux a pu faire un destin…
« Le berceau lève le voile, multiples sont les routes qu’il dévoile, Tant pis on n’est pas nés sous la même étoile ». IAM l’a rappé et Bourdieu l’a écrit, mais entre l’inné et l’acquis il peut y avoir un fossé socio-culturel susceptible de ne jamais se combler. Emmanuel Courcol et la scénariste Irène Muscari se proposent d’incarner cette dualité sociale dans la relation de deux frères, antagonistes jusque dans la physionomie de leurs interprètes. La légèreté longiligne de Lavernhe résonne comme un affront à la gravité qui cloue le massif et trapu Lottin sur le plancher des vaches gris et désindustrialisé de ch’Nord. Deux sons de cloches et deux musicalités différentes, qui doivent apprendre à jouer ensemble, dans tous les sens du terme. Une quête qui aboutira à une belle apothéose finale mais précédée d’un récit quelque peu cacophonique. Car il n’y a pas un film mais cinq dans En Fanfare, comme si le cinéaste n’arrêtait pas de recommencer une nouvelle histoire sans avoir terminé la précédente. Un peu comme un orchestre dans lequel les musiciens prendraient 1H30 pour enfin accorder leurs violons. La destination est belle, mais le chemin un peu cahoteux.
Un film auquel on ne pourra pas reprocher ses dissonances, c’est Julie se tait. Tout y est uniformément linéaire, calé sur une seule note en ultramineure à peine audible, dont s’échappent parfois des hyperboles de lyrisme provenant des chutes de vocalises de Lisa Gérard. Tout est sous-intentionné et sous-incarné dans cette histoire d’une jeune joueuse de tennis prodige, accablé par un secret dont elle refuse de se libérer mais éventé dès la première image. Le film devient alors un exercice de procrastination au sein d’une succession de vignettes qui tiennent plus des vues Lumières que d’un récit articulant son propos avec son personnage au sens cinématographique du terme. Julie se Tait, et le film ne dit pas grand-chose de plus, malheureusement.
L’héroïne d’Aïcha ne se montre pas beaucoup plus loquace. Medhi M. Barsaoui, qui fait son retour à l’AFF après Un fils avec Sami Bouajila, y raconte l’histoire d’une femme de ménage tunisienne accablée par sa condition, qui prend la porte de sortie que lui offre la vie suite à un accident de voiture mortel pour tous les passagers sauf elle. Mais pas aux yeux des autorités, qui la déclare décédée avec les autres…
Remettre les compteurs à zéro, repartir d’une page blanche sans rendre de comptes à personne : le cinéaste sait traduire en cinéma son postulat universel en diable. C’est la meilleure partie d’Aïcha, quand l’héroïne (re)découvre tout ce que la vie lui avait refusé jusqu’alors. Barsaoui donne au spectateur l’impression d’ouvrir les yeux pour la première fois avec elle dans une mise en scène élégante et subtilement sensitive qui capte un Tunis qu’on ne voit pas sur les cartes postales.. C’est un peu plus compliqué ensuite, lorsque le sort s’en mêle, et amène la politique et la corruption policière avec lui. On ne passe du micro au macro sans vraiment prévenir, et le récit simple devient une intrigue un poil trop compliquée et (parfois) tractocapillée s’acharnant à coup de ficelles un peu trop voyantes sur le personnage principale.
Mais le film tient, malgré tout. Parce que le réalisateur a plus d’un tour de cinéma dans sa poche (superbe scène de bad trip virant au film d’horreur), et parce que Fatma Star dans le rôle principal résiste à tous les soubresauts, du destin comme du 7ème Art. Une grande figure de résilience, des deux côtés de l’écran.