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Cannes 2016 : L’Economie du Couple de Joachim Lafosse (Quinzaine des Réalisateurs)

La Review de Cannes : L’Economie du Couple de Joachim Lafosse

Synopsis : Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Or, c’est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c’est lui qui l’a entièrement rénovée. A présent, ils sont obligés d’y cohabiter, Boris n’ayant pas les moyens de se reloger. A l’heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu’il juge avoir apporté.

            Après les vastes plaines désertiques d’Afrique des Chevaliers Blancs où Vincent Lindon se persuadait d’avoir une conscience humanitaire en même temps qu’il essayait de redonner une chance à son couple avec Louise Bourgoin, Joachim Lafosse privilégie le retour à l’espace clos et intimiste d’une maison où un couple séparé n’a aucune autre alternative que celle de continuer à vivre ensemble.

            Cette économie du couple, on la retrouve donc partout dans le film. Que ce soit dans le partage des jours de garde, des tâches, de l’espace domicilial, des amis, des disputes, des emmerdes et des bons moments. Ainsi, chacun réfléchit à la part qu’il a dans le couple et par extension définit ce qu’il représente, ou du moins représentait au sein de ce système. C’est cela l’économie dont parle Joachim Lafosse, celle qui figure aujourd’hui le lot de milliers de couples dans une société où l’on peut désormais se séparer aussi rapidement que se (re)mettre ensemble. Le personnage de la mère de Bérénice Béjo interprétée par Marthe Keller explique clairement qu’avant « on réparait les choses, on ne les jetait pas« . On se battait pour sauver son couple au lieu d’abandonner aussi facilement. Joachim Lafosse montre alors que derrière le divorce rapide se cache des couples qui n’ont pas d’autres choix (généralement par manque de moyens financiers) que de continuer à rester ensemble quand bien même ils ne se supportent plus. C’est donc le lot exécrable de deux êtres qui ne se supportent plus mais que doivent supporter la famille, les amis et les enfants.

            Comme dans Les Chevaliers Blancs, Joachim Lafosse confirme qu’il sait diriger habilement ses comédiens. On n’avait pas vu Bérénice Bejo depuis l’échec Le Dernier Diamant en 2014 et pour son retour, elle retrouve comme une coïncidence un personnage assez similaire à ce qu’elle avait été dans Le Passé d’Asghar Farhadi, soit une dénommée Marie en instance de divorce. Soit une femme froide et figée. Déterminée dans ses intentions de faire partir son ex-compagnon, elle démontre une facette nuancée d’un personnage attachant qui se voit rongé malgré tout par la mélancolie d’un amour perdu et d’une situation invivable à la maison. A ses côtés, un personnage complexe incarné par Cédric Kahn que l’on connaît davantage pour ses réalisations (Une vie meilleure, Vie Sauvage) que pour ses prestations d’acteur. Un élément qui n’a aucune valeur ici tant il est épatant dans un rôle musclé et franc qui le pousse dans des excès de colère déments.

            Tout comme Sieranevada et avant Juste la fin du monde, on se retrouve à table pour laver son linge sale avec son entourage. Il y a ce malaise poignant où lors d’un dîner avec ses amis, Bérénice Bejo refuse que son ex-compagnon vienne à table. C’est le moment pour lui de venir se donner en spectacle, hurler, faire monter la tension et montrer sa rancoeur envers ceux en qui il éprouvait autrefois une certaine sympathie et qui ont « choisi leur camp« . Ce qui est remarquable, c’est que la violence se fait avant tout par les mots et l’humilation psychologique et que jamais Joachim Lafosse ne tombe dans la facilité de faire exploser physiquement ses personnages. Toute la finesse de l’écriture du scénario provient également de la multiplicité des états amoureux dans lesquels se retrouvent les deux personnages, allant de la haine à l’amour en passant par le mépris et l’hystérie. Le fait qu’il est possible de retomber dans les bras de l’autre laisse à penser que Joachim Lafosse croit que l’amour entre deux personnes ne disparaît jamais vraiment. Et pourtant, c’est toujours l’économie qui rattrape ces personnages fixés sur leur part commune et leur intérêt matériel.

            Par la simplicité de sa mise en scène (successions de plans longs figés en huis-clos) et malgré quelques étirements, le cinéaste belge réussit à tenir le rythme d’un procédé casse-gueule et à nous toucher en plein coeur. S’il arrive que le film se fasse long, c’est sans doute pour nous faire ressentir à quel point le temps semble pesant lorsque l’on vit avec une personne qu’on ne supporte plus dans un espace aussi clos. C’est dans ses dernières minutes que la caméra se décide enfin à sortir de cet oppressant appartement, comme une manière de résoudre définitivement la situation  de ce couple.

            L’Economie du Couple est une autopsie remarquable de la complexité des sentiments amoureux dans une séparation. De belles nuances ponctuent cette sincère et émouvante descente aux enfers de deux anciens amants. Simple et bouleversant.

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L’Economie du Couple
Un film de Joachim Lafosse
Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller…
Distributeur : Le Pacte
Durée : 98 minutes
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : indéterminée

France, Belgique – 2016

L’Economie du Couple : Bande-annonce

Reporter/Rédacteur LeMagduCiné