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Seule la terre de Francis Lee : Chroniques paysannes d’un nouveau genre

Seule la terre, le premier long métrage de l’homme de théâtre et de cinéma britannique, Francis Lee, est la très bonne surprise de cette fin d’année : un film du réel, un récit initiatique dans une belle histoire d’amour homosexuelle, une réflexion sociétale, mais surtout un hommage à la terre et à ses habitants.

Synopsis : Johnny travaille du matin au soir dans la ferme de ses parents, perdue dans le brouillard du Yorkshire. Il essaie d’oublier la frustration de son quotidien en se saoulant toutes les nuits au pub du village et en s’adonnant à des aventures sexuelles sans lendemain. Quand un saisonnier vient travailler pour quelques semaines dans la ferme familiale, Johnny est traversé par des émotions qu’il n’avait jamais ressenties. Une relation intense naît entre les deux hommes, qui pourrait changer la vie de Johnny à jamais.

My own private Yorkshire

God’s own Country est un sobriquet largement utilisé par les Britanniques pour designer le county du Yorkshire. C’est le titre original qu’a choisi l’homme de cinéma Francis Lee (acteur, scénariste, réalisateur) pour son premier long métrage, assez subtilement traduit en Seule la terre dans sa version française. Un choix qui donne une orientation claire de la direction suivie par son film, ou plus exactement de celle qui ne l’est pas : à savoir, un « gay movie », même si les protagonistes de l’histoire sont deux jeunes fermiers homosexuels.

seule-la-terre-francis-lee-film-critique-agnelageSeule la terre, en effet : c’est surtout de la terre dont il est question dans le film. Une représentation méticuleuse de la vie des fermiers du West Yorkshire, avec de très beaux gros plans sur les détails de la ferme, les animaux qu’on y élèvent et ceux qui y vivent librement, les pieds boueux et les ongles noirs des travailleurs de la terre, la rougeur des visages et celle des nez ; a contrario, on profite également de magnifiques vues en très grand angle sur les vallons du comté, sur de larges étendues d’une terre désolée et riche en même temps. Filmée au printemps, cette terre est hospitalière, contrairement à celle des Hauts de Hurlevent, le film de sa compatriote Andrea Arnold, également dans le Yorkshire, également belle, mais cette fois-là embrumée et inquiétante.

C’est dans ce cadre que se déroule la vraie romance entre Johnny (Josh O’Connor), le fils unique de la famille Saxby, abruti par les lourdes tâches qui sont les siennes à la ferme, n’ayant d’autre échappatoire qu’une murge quotidienne à la tombée de la nuit, suivie d’un vomi règlementaire à chaque lever. Le vomi est tacitement reconnu par sa grand-mère Deirdre (Gemma Jones), une femme dont l’apparence sèche et inamicale ne fait que mieux ressortir toute l’affection qu’elle semble avoir pour son petit-fils. La cuite quant à elle, est validée par Martin (Ian Hart), son père diminué par un AVC (not too much tonight, lad, Eh ! -Ne bois pas trop ce soir, fiston-). Car ainsi va la vie chez les Saxby : tant que le travail de la ferme est fait, le reste n’a pas trop d’importance. Ces sorties vespérales sont saluées comme salutaires dans ce monde rude, mais ni hostile, ni misérable. Même l’homosexualité de Johnny n’est pas un sujet, ce n’est presque pas le sujet dans un monde rural anglais que d’emblée, on aurait pourtant tendance à cataloguer d’homophobe.

seule-la-terre-francis-lee-film-critique-josh-o-connorLa beauté du film de Francis Lee réside justement dans cette absence d’emphase : les choses sont brutes, le film est naturaliste. Les rencontres sexuelles de Johnny sont pires qu’hygiéniques ; la tendresse, il ne connaît pas. Seules les vaches reçoivent des caresses à la ferme. Puis un jour, le beau et ténébreux Gheorghe (Alec Secareanu) arrive en renfort, un Roumain qui par ailleurs axe le film dans une dimension supplémentaire, celle de la politique, celle du Brexit, même si Francis Lee a déclaré avoir écrit ce film avant que l’idée du référendum n’ait vu le jour. Le cinéaste réussit cette gageure de faire émerger sans heurt et sans sur-dramatisation ces problématiques sociétales (les travailleurs des pays de l’Est, la xénophobie, mais aussi le rapport des gens de la terre avec ceux qui sont partis à la ville), sociales (le devenir des fermes très traditionnelles comme celles des Saxby), personnelles (la lente et magnifique transformation de Johnny au contact de Gheorghe, vers lequel il est très rapidement attiré, et qui est également très rapidement attiré par Johnny). Aidé sans doute en cela par un caractère plus ou moins autobiographique du récit (Francis Lee vient de Halifax, est gay et est d’origine paysanne), Seule la terre est une sorte de cinéma-vérité qui bouleverse par sa justesse.

Alec Secareanu remplit à merveille le rôle de Gheorghe, une sorte de mentor bourru, taciturne et pourtant attentionné qui va déciller Johnny sur bien des aspects de sa vie. Josh O’Connor est idéal pour le rôle de Johnny, ses grandes oreilles lui prêtant l’allure de ce jeune homme mal dégrossi, qui ne sait où poser ses mains lors de sa première expérience sexuelle avec Gheorghe. Sa pâleur permet de suivre le rouge qui lui monte aux joues dans la magnifique lumière dorée d’une simple lampe torche, lorsqu’il découvre un maëlstrom d’émotions nouvelles provoquées par la tendresse, l’affection, le sentiment d’appartenir à un couple, la disparition de la solitude en présence de Gheorghe. Le film est tout aussi touchant, lorsqu’au chevet de son père terrassé par un deuxième AVC, le nouveau Johnny, l’ancienne chrysalide, amorce une caresse sur le dos de la main de son père, une caresse impensable à peine quelques jours auparavant, et encore mal assumée comme une maladie honteuse, car vite camouflée quand sa « Mémé » revient dans la chambre d’hôpital.

seule-la-terre-francis-lee-film-critique-alec-secareanuSeule la Terre est malgré une apparence brutale et âpre, de la même âpreté qu’on ressent dans la trilogie de Bill Douglas (1), un film d’une grande douceur et d’une grande bienveillance. La première scène sexuelle entre les deux protagonistes est bestiale, plus proche du combat de boue qu’autre chose, et pourtant, on y lit de la beauté, dans la soif de l’autre et le début d’abandon de soi en qui concerne le jeune Johnny. Aucun accès de misérabilisme n’est à déplorer dans le film. L’Angleterre rurale est pauvre et aride, mais on y est digne et on y mange à sa faim, et les gens s’aiment tels qu’ils sont. L’homophobie y est inexistante, le racisme y est montré dans sa réalité, ni plus, ni moins (on traite l’autre de paki ou de gyppo –gitan-, mais il est respecté d’égal à égal pour le travail qu’il fournit). Peut-être un regard idyllique, qui colle aux souvenirs particuliers du cinéaste, mais une vision filmée avec talent et souci d’esthétique, ce qui fait de Seule la Terre un des plus beaux films de l’année.

 (1) : My Childhood, My Ain Folk, My Way Home

Seule la terre – Bande Annonce

Seule la terre – Fiche technique

Titre original : God’s own country
Réalisateur : Francis Lee
Scénario : Francis Lee
Interprétation : Josh O’Connor (Johnny Saxby), Gemma Jones (Deidre Saxby), Harry Lister Smith(Stagiaire), Ian Hart (Martin Saxby), Alec Secareanu (Gheorghe Ionescu)
Musique : Dustin O’Halloran, Adam Wiltzie (A Winged Victory For The Sullen)
Photographie : Joshua James Richards
Montage : Chris Wyatt
Producteurs : Manon Ardisson, Jack Tarling
Maisons de production : BFI, Creative England, Met film Production
Distribution (France) : Pyramide Distribution
Récompenses : nombreuses, dont le Prix de la mise en scène à Sundance
Durée : 104 min.
Genre : Drame, Romance
Date de sortie : 06 Décembre 2017
Royaume-Uni – 2017

Redactrice LeMagduCiné