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Rétro Coen : No Country For Old Men – Critique

No Country For Old Men, un western post-moderne au look crépusculaire et à la noirceur inégalée.

Synopsis: À la frontière qui sépare le Texas du Mexique, les trafiquants de drogue ont depuis longtemps remplacé les voleurs de bétail. Lorsque Llewelyn Moss tombe sur une camionnette abandonnée, cernée de cadavres ensanglantés, il ne sait rien de ce qui a conduit à ce drame. Et quand il prend les deux millions de dollars qu’il découvre à l’intérieur du véhicule, il n’a pas la moindre idée de ce que cela va provoquer…Moss a déclenché une réaction en chaîne d’une violence inouïe que le shérif Bell, un homme vieillissant et sans illusions, ne parviendra pas à contenir…

« Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme »

Difficile d’imaginer qu’à travers ces quelques mots, donnant le titre à leur film, les frères Coen parviennent à évoquer déjà toutes les ambitions et volontés contenues au sein du projet, à savoir celles de cristalliser en un film, autant un hommage au genre matriciel du cinéma américain – le western –, qu’une énième réflexion de leur part sur les dérives de la société et son inévitable évolution.

Car malgré leur style très incisif, dressant un éloge à peine voilé à l’humour noir et leur prédilection à user du ressort comique au travers de leurs longs métrages, les frères Coen sont des cinéastes éminemment plus matures que l’image délurée et débridée qu’ils véhiculent. Réfléchis, investis, profonds, ces derniers, un peu à l’instar du gotha des réalisateurs indépendants, semblent comme dépendants de leur époque pour façonner leur style. Tel un Martin Scorsese, dressant un éloge de la mafia, alors au sommet à travers sa trilogie constituée de Casino, Les Infiltrés et Les Affranchis ; les frères Coen ont toujours su surfer sur la vague de l’Histoire pour dresser, à travers leurs films, un regard biaisé du monde contemporain.

Sacrant la crétinerie humaine à travers leur trilogie dite des crétins composée de O’Brother, Intolérable Cruauté et Burn After Reading, ou encore la perte de vitesse enregistrée par l’industrie musicale, couplée à l’essor du caractère asocial de la population, à travers le délicieusement rétro Inside Llewyn Davis, les frères Coen agissent ainsi en parangons d’un monde en constante évolution, livré à lui-même et dont la cruauté a, telle une gangrène, envahi toutes les strates de la population.

Manifesté par le rire ou l’absurdité (on pensera alors à Fargo ou The Big Lebowski, pourtant tout deux radicalement différents, mais empruntant à cette même veine de démystification de la société, devenue impitoyable, avare et violente), ce regard ne s’était toutefois jamais appliqué à travers le prisme de la violence, comme c’est le cas avec ce No Country For Old Men, film à l’esthétisme et au propos, encore une fois, vintage et dont la teneur émane, surprise, d’un romancier récompensé du mythique Prix Pulitzer : Cormac McCarthy.

Romancier américain souvent assimilé, outre-Atlantique, au grand William Faulkner et au tout aussi grand Herman Melville (l’auteur de Moby Dick), McCarthy semble, à la vue du long-métrage, être une sorte d’alter ego des frères Coen, tant sa prose aussi agressive qu’enivrante, mise au service de romans noirs (La Route notamment), perpétue cette évolution brutale de la société, laissant sur le carreau nombre de personnes perdues et désespérées, accablées par la fatalité, la détresse et l’absence de repères.

Une perte de repères savamment entretenue par le tandem de réalisateurs qui, sortant d’une décennie de comédies (Ladykillers, The Big Lebowski, Intolérable Cruauté), ont souhaité innover et illustrer avec la maestria qu’on leur connait ce changement, en se délestant de leurs traditionnels habitués (Frances McDormand, George Clooney, John Turturro), et en dressant par leur intrigue, un fond éminemment plus sérieux et mature que ce qu’ils ont tendance à proposer aux spectateurs acquis à leur cause. Sans doute brusque pour certains, quitte à instaurer une certaine appréhension, ce changement fut heureusement balayé tant, encore une fois, le génie de ces frères cinéastes, a su transcrire avec le même désespoir que McCarthy, cette brusque évocation d’un monde changeant à toute vitesse que les vieux acteurs, le vieil homme du titre, ne comprennent plus.

Il Était Une Fois Dans l’Ouest

Disposant d’une ouverture sur fond de grandes plaines filmées à l’orée du jour, surmonté d’un monologue laconique de Tommy Lee Jones, le vieil homme du titre, énonçant son passé de shérif au sein du Comté de Terrel, No Country For Old Men démontre déjà dans cette classieuse introduction son attirance pour ce passé révolu, à la fois noble et fier, voyant le respect de la loi primer et une certaine paix s’installer. Usant d’images douces et puissantes obtenues par le travail du chef opérateur Roger Deakins (Skyfall, Prisoners), les frères Coen parviennent de manière rapide à instaurer une certaine tranquillité, telle la paix ardemment défendue par le shérif Bell (Tommy Lee Jones), qui pourtant s’effrite dès lors que son monologue prend fin, à la vue du premier protagoniste venu, en l’occurrence un prisonnier amené à une voiture de police ; un peu comme si Lee Jones, par sa figure patriarcale évidente, symbolisait à lui seul, la barrière entre l’ordre et le néant.

Hautement symbolique, cette première scène permet de prouver également que la violence, pourtant ardente dans les pages du roman éponyme, ne trouvera pas forcément sa place de manière textuelle au sein du long-métrage, un peu à la manière du récent A Most Violent Year qui, usant d’un titre reflétant une violence omniprésente, ne cédait toutefois jamais à la pression et préférait consacrer cette violence en la rendant à la fois inattendue et déchaînée.

Telle alors une chape de plomb s’étendant sur ces plaines désertiques désolées cette violence, signe annonciateur de cette évolution ayant relégué le vieil homme du titre, laisse place aux protagonistes évoluant tous de manière désordonnée sur ces plaines suffocantes et désertiques du Texas.

On y suit ainsi le prisonnier cité au-dessus, dont l’identité sera révélée un peu plus tard, au volant d’une voiture de police, supposant donc la production d’un élan de violence dévastateur, qui arrête un simple conducteur et qui, sans raison apparente, décide par le biais d’un instrument destiné à assommer des bovins, de sèchement l’abattre. Claire et nette, la violence hypertrophiée et contenue de la mise en scène des frères, trouve son point d’orgue avec cette scène qui, outre le fait d’imprimer durablement la rétine avec ce sourire angélique du tueur, permet d’étayer le profil psychologique de ce dernier et laisse donc supposer une violence dont les limites semblent inquantifiables.

De l’autre côté, il y a Llewelyn Moss (Josh Brolin), authentique redneck et pur produit triomphant de l’Amérique reaganienne, patriotique et fière, qui chasse et qui va arriver, sur ce qui constituera finalement l’enjeu dramatique du film, à savoir un parking où un trafic de drogue a mal tourné, voyant un monceau de cadavres s’amonceler autour d’une camionnette bourrée de cocaïne et d’un mexicain à l’attaché-case rempli de dollars, que Moss n’hésitera pas à subtiliser compte tenu de l’absence miraculeuse de témoins.

En apparence deux cas isolés, pourtant vite rapprochés par le sherif Bell, dont le mode opératoire et les techniques d’investigation, laissent de prime abord circonspect, puis désabusé devant une telle violence qui, malgré ses efforts, ne s’estompe pas. Tel un rejet du progrès et l’incarnation filmique du spectateur, ce dernier semble perdu, l’air hagard, comme si ce nœud ou s’entremêlent violence accrue et calme olympien, ne faisait qu’accentuer son désenchantement et sa réflexion sur le temps qui passe.

History Of Violence

Un tueur froid et méthodique, un cow-boy et un shérif; ainsi se voit formé le trio de protagonistes qui portera ce film sur les versants abrupts de la corruption, de la violence et de l’absurdité, à tel point que son principal auteur, Joel Coen, déclarera qu’il « s’agit certainement du film le plus violent auquel il a contribué »

Pourtant, cette violence ne trouve jamais de fondements explicites et est donc amplifiée à chaque fois que l’une de ses manifestations vient à apparaître sur l’écran. Tel le personnage iconique du Joker dans l’univers de Batman, le tueur, incarné à l’écran par le terrifiant Javier Bardem parvient, de par son jeu désarticulé et déshumanisé, à symboliser l’étonnante imprévisibilité de l’intrigue, qui véhiculera ainsi tout du long son lot de surprise, comme celle de voir Llewelyn Moss revenir sur les lieux du massacre, et se faire prendre en chasse par ce tueur, préalablement décrit par un ancien collègue apparu furtivement, comme un chien enragé, ne cessant d’aboyer dès lors que sa mission est finie.

Ce faisant, le film délaisse alors cette vaine très atmosphérique et contemplative, pour n’en retenir que la tension, inhérente à la chasse à l’homme se déroulant sous nos yeux, et voyant Anton Chigurh, le tueur, tenter d’éliminer Moss, au gré d’armes insolites, pour mettre la main sur cet argent. Une tension discrète, en filigrane, présente jusque sur l’image, et amplifiée par l’absence de musiques additionnelles, donnant au long-métrage un parfum de plausibilité effarant et une anormale quiétude.

Une quiétude qui ne disparaîtra jamais vraiment tant les frères Coen, maîtrisant autant l’art du scénario que celui de la réalisation, font progresser leur récit d’une manière diabolique, en maximisant les ruptures de ton brutales entre terreur et humour pince-sans-rire, action chauffée à blanc et désenchantement sous-jacent, sans jamais toutefois ouvrir les vannes du spectaculaire ou de la violence gratuite.

Et à ce petit jeu de massacre sous un soleil de plomb, autant Josh Brolin incarnant la brebis galeuse, que Javier Bardem jouant, quant à lui, le grand méchant loup, excellent, véhiculant par leurs interprétations aussi bien les doutes que la motivation inhérentes à cette transformation de la société, à laquelle sont contraints tous les protagonistes.

Une transformation qui, couplée au genre matriciel du cinéma américain et à une vision à la fois humaniste et symbolique de ses auteurs, ne démérite pas, et aurait sans doute du triompher sur le tapis rouge du Festival de Cannes, festival où, en cette année 2015, le président aura pour la première fois un double visage, personnifié en l’espèce par ce tandem de réalisateurs, décidément peu rancunier mais au talent inégalé.

Magistral.

No Country for Old Men ( bande annonce VOST )

No Country for Old Men: Fiche Technique

États-Unis – 2007
Réalisation: Joel Coen, Ethan Coen
Scénario: Joel Coen, Ethan Coen d’après: le roman de: Cormac McCarthy
Interprétation: Tommy Lee Jones (Bell), Javier Bardem (Anton), Josh Brolin (Llewelyn), Woody Harrelson (Carson Wells), Kelly Macdonald (Carla Jean).
Image: Roger Deakins
Costume: Mary Zophres
Son: Greg Orloff, Craig Berkey et Peter F. Kurland
Montage: Joel et Ethan Coen alias Roderick Jaynes
Musique: Carter Burwell
Producteur: Scott Rudin, Joel Coen, Ethan Coen
Production: Scott Rudin Productions, Paramount Classics et Miramax Films
Distributeur: Paramount Pictures France
Genre: Thriller, Drame
Date de sortie: 23 janvier 2008
Durée: 2h02

 

Rédacteur LeMagduCiné