Inspiré de faits réels, Nous étions soldats de Randall Wallace réinvente le film de guerre en mêlant réalisme, humanité et hommage. Une plongée saisissante dans la bataille de la Drang.
La guerre du Vietnam est l’un des grands thèmes du cinéma américain des dernières décennies avec une période d’apogée située entre la fin des années 1970 et le début des années 1990. Une période très intense durant laquelle le conflit fut abordé de différentes manières, sur un ton cocardier et viril (Les bérets verts, Les boys de la compagnie C, Rambo II), à l’inverse dans une perspective pacifiste et antimilitariste (Platoon, Né un 4 juillet, Outrages, Full Metal Jacket), sur fond de drame intimiste (Hanoi Hilton) ou de comédie douce-amère (Good Morning Vietnam). Un sujet largement abordé donc et qui avait déjà donné plusieurs films majeurs de l’histoire du cinéma. Aussi, il était audacieux de s’y risquer de nouveau au début des années 2000. Ce fut pourtant ce que firent un réalisateur débutant et un acteur confirmé.
La résurrection d’un genre ?
Le film se base sur un livre de Joseph L. Galloway (correspondant de presse ayant couvert le conflit et décoré pour avoir aidé au sauvetage de soldats américains) et Harold G. Moore (lieutenant-général de l’armée américaine et ancien combattant des guerres de Corée et du Vietnam). L’ouvrage détaille la bataille de la Drang en novembre 1965, premier affrontement majeur entre l’armée américaine et le Vietminh qui se terminera par un succès tactique de la première. Publié en 1992 sous le titre We Were Soldiers Once… and Young, il fut un grand succès et permit à Moore d’exprimer son avis tranché sur la plupart des films portant sur l’engagement américain au Vietnam : « Tous les films hollywoodiens sont faux. » Et ce fut précisément cet avis déçu qui motiva Randall Wallace à porter le livre à l’écran.
À cette époque, il est déjà un scénariste renommé et habitué aux fresques historiques avec notamment Braveheart et Pearl Harbor. Il avait déjà réalisé L’Homme au masque de fer, adaptation du célèbre roman d’Alexandre Dumas, et en était donc à son second long-métrage. De fait, cette adaptation suivra assez fidèlement le livre même si elle s’en distingue sur la fin avec l’insertion d’une charge héroïque permettant l’annihilation des forces Vietminh, charge absente de l’ouvrage. Malgré cette entorse, Moore donnera son approbation au film, déclarant qu’il était le premier à « montrer [la guerre du Vietnam] de manière juste ». Le métrage compte un casting prestigieux avec, dans le rôle principal de Hal Moore, le monstre sacré Mel Gibson, qui avait déjà collaboré avec Wallace sur Braveheart et surtout connu pour ses rôles de Mad Max et L’Arme fatale, mais aussi capable d’interprétations très différentes et profondes comme pour le Hamlet de Franco Zeffirelli. Dans le rôle de sa femme Julia, Madeleine Stowe était une actrice en vogue dans les années 1980 et 1990, surtout connue pour Le Dernier des Mohicans et L’Armée des douze singes. Barry Pepper, un second couteau présent au générique de plusieurs blockbusters hollywoodiens, interprète Galloway. Greg Kinnear et Chris Klein, surtout connus pour des rôles comiques ou romantiques, complètent le casting dans des rôles secondaires importants d’officiers ayant réellement existé.
Sorti le 1er mars 2002, le film fut un semi-échec commercial, rapportant 115 millions de dollars (dont 78 millions sur le sol américain) pour un budget de 75 millions. Le succès critique fut mitigé, l’œuvre recevant une note moyenne de 6,4 sur 10 sur Rotten Tomatoes et 65 sur 100 sur Metacritic. Le célèbre critique américain Roger Ebert fut enthousiaste à son sujet, louant le réalisme des scènes de batailles, et Lisa Schwartzbaum apprécia le traitement juste des deux camps et lui donna un B. Seule discordance, le Christian Science Monitor critiqua une image positive donnée au conflit. Un film plutôt bien accueilli donc mais qui n’a pas rencontré son public. Il est vrai que l’époque ne se prêtait plus à ce genre de film, le souvenir de la guerre du Vietnam commençant à s’estomper et s’apprêtant à laisser la place aux conflits contemporains comme les interventions américaines en Afghanistan, puis en Irak. De plus, on pouvait penser qu’après trente ans de traitement au cinéma, il n’y avait plus grand-chose à dire sur le sujet. De fait, aucun autre film important sur le sujet ne sortira à cette époque à l’exception de Tigerland de Joel Schumacher, un échec commercial encore plus cinglant.
Un film particulier dans le traitement d’un sujet déjà vu
On aurait pourtant tort d’ignorer ce film qui réussit à apporter une vision et un traitement original de son sujet. Il relève de ce qu’on appelle le cinéma de sécurité nationale, se basant sur des combats historiques et sur la mise au point d’une stratégie militaire particulière. Reposant sur l’emploi de moyens aériens accrus, cette stratégie avait déjà été expérimentée par l’armée française en Algérie, notamment sous la direction du lieutenant-colonel Marcel Bigeard, et fut élaborée en 1962 par le général Hamilton Hawkins Howze. De ce fait, le métrage se classe d’emblée parmi les films réalistes et documentés sur la guerre, basé sur des faits et des personnages directement inspirés de la réalité. Il peut ainsi faire penser aux Bérets verts de, et avec, John Wayne, sorti 34 ans plus tôt. Toutefois, il s’éloigne du ton cocardier et triomphaliste de ce dernier sans pour autant adhérer, loin s’en faut, à celui tragique et critique des films d’Oliver Stone comme Platoon et Né un 4 juillet. En fait, et c’est là son originalité, le film semble se placer d’un point de vue intermédiaire, défendant toujours la vision des combattants américains mais dans une ambiance apaisée et objective. Il faut noter que l’ennemi vietnamien est bien montré sans être diabolisé et dans son humanité, comme un combattant redoutable mais respectable. Pour les soldats américains, le film s’attarde sur leurs personnalités, notamment les liens avec leurs familles, et leur évolution dans l’armée et les combats. Si le déroulé du scénario est assez classique (on commence avec leurs parcours chez eux, puis durant l’entraînement et finalement sur le terrain), l’ambiance et le ton utilisés sont plus personnels. En effet, l’histoire est sensiblement plus optimiste et tranquille que la majorité des précédents films sur le conflit. On y voit des soldats avant tout humains, tranquilles, tout en étant déterminés à combattre, ayant des qualités et des faiblesses. On est donc aussi éloigné du triomphalisme exacerbé que de l’autocritique intense qui avaient caractérisé d’autres œuvres sur le sujet. On peut donc parler d’un film apaisé sur le sujet succédant à une décennie de films engagés souvent rageurs. Cela donne une approche assez originale avec en plus, son ton très réaliste.
Sur l’aspect cinématographique, on peut également apprécier beaucoup de qualités formelles au film, tant au niveau de sa réalisation que de son interprétation. Une réalisation assez classique mais sublimée par de très belles images et un montage au service du récit et des personnages, insufflant un vrai souffle épique dans la dernière partie consacrée à la fameuse bataille. Encore une fois, celle-ci est bien montrée de manière très réaliste, se concentrant davantage sur les faits d’armes que sur les protagonistes. On comprend aisément l’hommage que lui ont rendu les participants à la vraie bataille, le film étant réellement dédié à leurs faits d’armes, avec toutefois sobriété et justesse. Le casting est également impeccable à commencer par Mel Gibson qui avait prouvé sa polyvalence comme acteur et la confirme ici. Il est d’ailleurs intéressant de noter que son personnage est un père de famille nombreuse comblé, ce qu’était alors réellement l’acteur avant que son couple n’explose. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il interprète un combattant d’une guerre réelle puisqu’il le fit auparavant dans Gallipoli, Attack Force Z et The Patriot. Les autres acteurs ne sont pas en reste, certains sortant de leur zone de confort comme Chris Klein. Il est d’ailleurs à noter que les personnages secondaires reçoivent une certaine importance et une écriture soignée.
Ainsi, nous avons affaire à un film traitant d’un sujet déjà plusieurs fois abordé au cinéma, mais qui parvient à être personnel et même atypique dans son traitement. Il se veut avant tout un récit fidèle des événements et, malgré l’hommage évident aux combattants américains, parvient à éviter l’esprit partisan. Nous étions soldats est une œuvre qui se veut plutôt un film apaisé et qui sera, par ailleurs, l’un des derniers de grande ampleur sur le sujet auquel succéderont les films consacrés aux guerres d’Irak et d’Afghanistan, les guerres du Vietnam du XXIe siècle.
Bande-annonce : Nous étions soldats
Fiche technique : Nous étions soldats
- Titre original : We Were Soldiers
- Réalisateur : Randall Wallace
- Distribution : Mel Gibson, Madeleine Stowe, Greg Kinnear, Sam Elliott, Chris Klein, Keri Russell, Barry Pepper, Clark Gregg, Marc Blucas, Jsu Garcia, Desmond Harrington, Ryan Hurst, Robert Bagnell, Blake Heron, Josh Daugherty, Jon Hamm, Erik MacArthur, Mark McCracken, Sloane Momsen, Simbi Khali, Brian Tee, Don Duong…
- Scénario : Randall Wallace, adapté du livre We Were Soldiers Once… and Young de Harold G. Moore et Joseph L. Galloway
- Musique : Nick Glennie-Smith
- Photographie : Dean Semler
- Montage : William Hoy
- Production : Icon Productions, Wheelhouse Entertainment
- Distribution (studios) : Paramount Pictures (États-Unis), Concorde Filmverleih (Allemagne)
- Pays d’origine : États-Unis, Allemagne, France
- Langues : Anglais, vietnamien, français
- Durée : 138 minutes
- Budget : 75 millions de dollars
- Box-office : 115,4 millions de dollars
- Date de sortie : 1er mars 2002 (États-Unis)