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Capture d'écran

« Le Testament du docteur Mabuse » : Allemagne, de fureur en Führer

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Dernier film allemand de Fritz Lang, Le Testament du docteur Mabuse porte un double témoignage : sur l’Allemagne du début des années 1930, mais aussi sur l’avènement du nazisme. Deux sentinelles thématiques auxquelles se dévouent des personnages taillés sur mesure et une mise en scène sophistiquée.

C’est une caméra papillonnante qui ouvre Le Testament du docteur Mabuse. Elle sillonne une imprimerie vrombissante, puis s’attarde sur un homme caché et manifestement apeuré, tandis qu’un vacarme continu rythme l’ensemble de la séquence. Cette entrée en matière mènera vite le spectateur dans le sillage du docteur Mabuse, « praticien notoire » dual et aliéné, dont les capacités de nuisance, désormais célèbres, se voient égrenées dans un amphithéâtre balayé en un élégant travelling latéral. « Il fait commettre [à ses patients] des crimes abominables qu’ils exécutent avec une précision scientifique, selon une conception mathématiquement parfaite qui leur assure l’impunité. » Une fois les présentations faites, Fritz Lang peut enfin dévoiler son « monstre » : il est âgé, à moitié fou, mutique et prostré sur un lit d’hôpital. Mais pas inoffensif pour la cause, puisqu’il semble exercer une emprise puissante et mortifère sur le directeur de l’asile où il est enfermé.

« L’empire absolu du crime », tel est le projet abject et mégalomaniaque du docteur Mabuse. Par la voie de l’hypnose, il prend possession de ses interlocuteurs, puis agit par leur entremise. Les exactions qu’il planifie – vols, meurtres, explosions, attentats, empoisonnements – constituent autant d’événements directement issus des colonnes des faits divers de l’époque. C’est ainsi l’Allemagne du début des années 1930 que Fritz Lang révèle peu à peu. Quand l’un de ses personnages se rend dans une agence pour l’emploi, il en repart bredouille, humilié et s’écriant : « Vous poussez les gens au crime ! » N’est-ce pas là la vision prophétique d’un marasme économique qui servira bientôt d’incubateur au national-socialisme ?

Le mouvement hitlérien est portraituré selon des procédés allégoriques : le docteur Mabuse veut remplacer les institutions existantes par des organisations criminelles métastatiques, exactement comme les nazis le projettent pour la République de Weimar. Fritz Lang affirmera d’ailleurs dans une Introduction cinématographique : « J’espérais exposer la théorie secrète du nazisme sur la nécessité de détruire systématiquement tout ce qu’un peuple a de plus cher. Jusqu’à ce que les gens, en proie au désespoir le plus profond, essaient de s’en tirer par “l’ordre nouveau”. » Ce n’est donc pas un hasard si certains slogans nazis sont repris mot pour mot par un Mabuse aux traits lucifériens. Comme le fera George Orwell en 1945 avec La Ferme des animaux, Fritz Lang compose un apologue minutieux et accablant.

Dix années après le succès d’un premier diptyque muet, Fritz Lang donne à son « monstre » une portée quasi métaphysique. Derrière celui qui manipule psychiatres, chômeurs et petites frappes se niche en effet une réflexion profonde sur la terreur, tant criminelle que psychologique. À partir du roman du Luxembourgeois Norbert Jacques, Le Testament du docteur Mabuse expose les mécanismes d’influence et d’emprise présidant aux faillites collectives. Contrairement à M le Maudit dont le récit reste axé sur une menace isolée, le spectateur est ici confronté à une organisation tentaculaire et rationalisée. Échaudé par ces multiples allusions au nazisme, Joseph Goebbels fera interdire le film. Motif officiel : « Parce qu’il prouve qu’un petit groupe d’hommes extrêmement déterminés, pour peu qu’ils le veuillent sérieusement, est parfaitement capable de sortir de ses gonds n’importe quel État en usant de la violence. »

Goebbels n’en proposa pas moins à Fritz Lang un poste de directeur dans l’industrie du cinéma. Selon un récit complété et amplifié au fil du temps, le cinéaste austro-hongrois lui aurait alors fait remarquer sa judéité, puis aurait immédiatement fui en France, exaspéré et tétanisé. La carrière en salles avortée du Testament du docteur Mabuse ne doit certainement pas occulter les nombreux atouts du film : un récit à double fond, une image expressionniste et des reflets travaillés en orfèvre, des surimpressions oniriques n’ayant pas pris une ride, une gradation maîtrisée du suspense et du spectacle, un montage visuel et sonore riche en sophistications ou des éléments suggestifs disséminés çà et là, dont des crânes et des masques. À cela s’ajoutent des séquences mémorables telles que l’assassinat au feu rouge, l’inondation d’une pièce fermée à double tour, la course-poursuite haletante ou l’explosion de l’usine chimique. Un Lang majuscule.

Bande-annonce : Le Testament du docteur Mabuse

Synopsis : Une série d’événements semble relier des groupuscules criminels au docteur Mabuse, pourtant mutique et interné dans un asile psychiatrique. Le commissaire Lohmann enquête…

Fiche technique : Le Testament du docteur Mabuse

Titre original : Das Testament des Dr. Mabuse
Réalisation : Fritz Lang
Scénario : Fritz Lang et Thea von Harbou, d’après le roman de Norbert Jacques
Acteurs principaux : Rudolf Klein-Rogge, Gustav Diessl, Rudolf Schündler, Otto Wernicke
Sociétés de production : Nero-Film AG
Pays d’origine : Allemagne
Genre : Film policier
Durée : 122 minutes
Sortie : 1933

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