l-extravagant-mr-deeds-capra-critique

L’Extravagant Mr. Deeds (1936) : Back to nature

Prolongeons un peu l’esprit de Noel en ce début d’année morose en nous intéressant à ce classique hollywoodien qu’est L’extravagant Mr Deeds, film dans lequel Capra déploie son art magistral et indémodable, tout en offrant à Gary Cooper le rôle le plus atypique de sa carrière. Un monument du septième art que nous vous invitons ardemment à (re)découvrir.

« Les gens d’ici sont bizarres, déclare Deeds à Babe : ils s’efforcent tant de vivre qu’ils oublient comment vivre… Je me suis promené en regardant les grands immeubles et j’ai pensé à ce que Thoreau a dit : « Ils ont créé des palaces grandioses, mais ils ont oublié de créer les nobles pour les habiter« .

Une noblesse que Capra appelle de ses vœux dans L’Extravagant Mr. Deed, défendant ainsi avec ardeur le si fragile rêve américain.

Peu enclin au divertissement cupide et insipide, Frank Capra met tout son talent au service d’un message humaniste destiné notamment à « l’homme de la rue« , à l’enfant du peuple, afin de lui rappeler son importance, son rêve américain. Le succès aidant – New York-Miami vient de faire la razzia aux oscars – il peut s’atteler pleinement à cette tâche et donner toute son ampleur à un cinéma entraperçu précédemment dans La Ruée. L’Extravagant Mr. Deeds naît ainsi et décrit avec bonhomie l’aventure périlleuse d’un candide dans un milieu impitoyable où seul compte la loi du plus fort. Ce motif narratif, qui deviendra récurrent par la suite, lui permet d’investir pleinement l’univers de la fable afin de dispenser, sous couvert d’une histoire légère et doucereuse, regard critique et philosophie pragmatique.

Évidemment le film se voulant être avant tout une comédie, c’est le rire qui prime à l’écran et celui-ci découle bien souvent d’un traditionnel rapport d’opposition : campagne/ville, authenticité/superficialité, générosité/avidité, etc. Simple et manichéen, L’Extravagant Mr. Deeds aurait pu devenir une petite comédie sans intérêt si Capra et son fidèle comparse Riskind n’avaient pas déployé des trésors de finesse et d’écriture afin de faire de l’homme du peuple, Longfellow Deeds, le garant de l’authenticité et des idéaux drainés par le rêve américain : solidarité, fraternité, dépassement de soi. Si le patronyme rappelle l’action ce n’est pas par hasard, le personnage incarné par Cooper peut être vu comme le pionnier des temps modernes, repoussant les frontières (sociales) afin de s’adresser à tous : contrairement aux nantis, il communie aussi bien avec les paysans de Mandrake Falls qu’avec les Citadins, prêtant une oreille attentive à ceux que l’on n’écoute pas habituellement : les domestiques, les petites gens, les laissés-pour-compte…

Si Deeds est le héros, il n’est pas idéalisé outre mesure. On s’amuse de sa spontanéité enfantine lorsqu’il fait de l’ordinaire un jeu et saute de joie à la moindre sirène de pompiers, on est attendri de le voir se transformer en adolescent maladroit voulant faire une grande déclaration d’amour… si sa candeur parvient à nous charmer, le spectateur de l’époque (post crise de 29) ne pouvait que s’identifier à ce grand gaillard qui s’exprime avec sincérité (la musique et les poèmes se substituant bien souvent aux mots potentiellement trompeurs) et n’hésite pas à jouer du poing pour se faire respecter. Deeds n’est pas un héros parfait, c’est un homme ordinaire qui fait preuve de lucidité et de pragmatisme lorsque l’extraordinaire arrive (l’héritage soudain), c’est un personnage rassurant car non équivoque et porteur des valeurs telluriques, familiales ou traditionnelles. C’est une image de pureté qu’il dégage et sur laquelle vient se refléter la cupidité et la fourberie des hommes de pouvoir…

Même si le manichéisme existe, avec l’image d’une campagne vertueuse qui s’oppose parfaitement à celle de la ville, lieu de perdition, Capra parvient néanmoins à transcender les archétypes afin de faire l’éloge de l’authenticité avec savoir-faire et subtilité. C’est notamment en se réappropriant les principes du conte, qu’il y parvient.

Dès le début du film, on nous présente le patelin de Deeds comme un lieu idyllique où « le malheur n’arrive jamais« , comme l’indique un panneau accroché à l’entrée. L’univers de la fable s’installe progressivement à l’écran et on ne s’étonne pas de voir en Deeds l’image d’un chevalier blanc, d’un grand romantique qui écrit des poèmes simplistes et rêve de secourir « une dame en détresse« . Et pourtant sa vie n’a rien d’héroïque, sa prose sert le commerce de carte postale, sa musique est au service de la fanfare du coin et son dévouement est avant tout destiné à sa famille. L’idéal pour Capra à la couleur de l’ordinaire et des valeurs simples, et si cette population est épargnée par la crise, c’est parce que l’authenticité y prévaut. En arrivant en ville, la désillusion s’installe en même temps que la tromperie : le conte de fées s’invente de toutes pièces (« Cinderella Man« ) et sert à rependre le mensonge et la moquerie, les gestes chevaleresques sont conspués et leur instigateur traité de fou.

Seulement, le faux ne peut venir à bout du vrai si l’homme affirme son authenticité nous souffle Capra. À la fourberie des uns et à la superficialité des autres, Deeds répond de la meilleure des façons, en restant lui-même : pragmatique face aux financiers, bagarreur avec les calomniateurs, allant même jusqu’à scander un « back to nature » lourd de sens dans les rues de la ville. Alors, progressivement, la transformation s’opère et le chevalier blanc du début se mue en homme de conviction : il écrit sa propre histoire en se réappropriant les titres mensongers des journaux, il défend ses valeurs en reprenant à son compte le vocabulaire des citadins lors du procès (il est d’ailleurs amusant de voir à quel point cette scène s’oppose au discours grandiloquent de Cooper dans Le Rebelle (1949)), il exprime ses sentiments par des vers toujours aussi simples mais cette fois-ci beaucoup plus personnels. Les résultats ne se font pas attendre : la jolie citadine, la bien nommée Babe, tombe sous le charme et les miséreux trouvent un relais à leur colère.

Car si L’Extravagant Mr. Deeds nous amuse par sa douce fantaisie, il parvient surtout à nous émouvoir par sa représentation de la réalité de l’époque, nous laissant entrevoir le désespoir d’une population cruellement touchée par la crise. La vision qui s’en dégage est tellement sombre et amère qu’elle ne peut être occultée par le sourire de Cooper ou un happy end quelque peu maladroit. C’est à cet instant que l’on ressent la grande force du cinéma de Capra, dans sa faculté à peindre un tableau de l’humain tout en nuances, fait d’ombre et de lumière, et dans son aisance à revêtir les attributs du divertissement afin de porter une véritable réflexion sociale et humaniste.

Synopsis : Longfellow Deeds (Gary Cooper), jeune homme sans histoire, habite la petite ville de Mandrake Falls dans le Vermont, où il écrit des vers pour cartes de vœux et joue du tuba dans la fanfare. Il hérite subitement de 20 millions de dollars d’un oncle excentrique. Il part pour New York, inconscient de ce que cela représente. Là, il attire avocats retors, arnaqueurs en tous genres et journalistes en mal de sensation. Parmi ces derniers, la belle Babe Bennett (Jean Arthur) est mandatée par son rédacteur en chef pour pister le naïf héritier. Transformée en sténo-dactylo au chômage, Babe réussit à s’approcher de Deeds, et commence à conter les aventures de Deeds dans sa rubrique Cinderella Man…

L’extravagant Mr. Deeds : Bande-Annonce

L’extravagant Mr. Deeds : Fiche technique

Réalisation : Frank Capra
Scénario : Robert Riskin
Photographie : Joseph Walker
Production : Frank Capra
Genre : comédie
Durée : 115 min
Date de sortie : 18 juin 1936 (France)

 

Note des lecteurs0 Note
4.5