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Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola : le bateau ivre

Serge Théloma Rédacteur LeMagduCiné

Variation poétique sur le film de Coppola, librement inspirée du poème d’Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre (1871)

 

Comme je remontais des Fleuves indicibles,
Je ne me sentis plus guidé par les honneurs ;
Des Vietcongs hagards qui nous restaient invisibles,
Nous auraient cloués nus aux poteaux de l’horreur.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Flingueurs de 17 ans et colonel Kilgore
Quand avec ces surfeurs ont fini ces tapages,
Le Fleuve m’a laissé remonter vers la mort.

Las des vrombissements honteux des hélicos,
Moi, Ben Willard, en bon capt’ain discipliné
Je partis ! Et les plus gradés des généraux
N’ont pas connu pour tuer, soldat si motivé

La musique a bercé les journées monotones
Plus léger qu’un bouchon trainé par l’Aviso
Danse le soldat Lance, sur un morceau des Stones
Dix nuits sans repérer le moindre bruit d’oiseau

Plus douce qu’aux soldats l’amer de leurs pétards,
La verdure de la jungle pénétra mes entrailles
Lorsqu’un tigre aux tâches noires sortit de nulle part
Nous détalâmes perdant courage et gouvernail !

Et dès lors, je me suis glissé dans son esprit
De ses mots, de ses lettres, je me suis imprégné
Dévorant les azurs verts je comprends ses pensées
Et je cerne peu à peu de ce Kurtz le délire

Mais surgit tout à coup un trio de playmates
Qui là se déhanchent aux criaillements des boys
Plus fortes que l’alcool en provenance des States,
Ils auront ces sirènes pour deux bidons de gasoil !

Je sais ces lieux crevant en éclairs, et les bombes
Et le napalm, les morts-vivants : je vois venir,
L’Aube exaltée ainsi qu’une forêt de tombes,
Et j’ai vu dans la nuit où un homme peut finir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs gothiques,
Mes hommes assassinant une famille de Viet Mihns,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Je suis comme Orphée qui remonte le Styx

J’ai rêvé une nuit d’une beauté éblouie,
L’Aurore nue en offrande, dans une cage de tulle,
Cette Circé m’ensorcelle dois-je lui dire oui ?
Oh l’opium jaune et bleu d’une femme de consul !

J’ai suivi, des semaines, pareil à un traqueur
Méthodique, la foule aux abords des villages,
Sans songer un instant que toutes ces horreurs
Pussent d’un seul homme être l’apanage

J’ai vécu, savez-vous, d’incroyables folies
Mêlant au sang des femmes des glapissements de chiots
Des flèches de pacotille lancées comme des cris
Sous l’horizon du torse, une lance dans la peau !

J’ai vu dans les hauteurs des hommes qui trépassent,
Où se terrent dans la jungle tous ces bouddhas géants !
Des écroulements d’âmes prisonnières de la nasse,
Tout un peuple conquis par un seul dieu vivant !

Brasiers, gouffres puants, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes jaunes
Où les hommes-enfants un doux sourire aux lèvres
M’observent dans ce trou là où l’on m’emprisonne !

J’aurais voulu montrer aux enfants un visage
Autre. Des chansons ou des jeux, un héros plus marrant
Des écumes de fleurs ont rempli mon couchage
Et de douces caresses alors convalescent

Je vois un roi lassé des peurs et des honneurs
Celui pour qui les femmes restaient tapies dans l’ombre
Montait vers moi sa voix aux accents d’Elseneur
Et il restait ainsi dans une demi-pénombre

Presque mort, hésitant sur les choix à venir
J’entendais les tambours et le chant des grillons,
Et les foules d’oiseaux jacasseurs et les cris
Des noyés qui descendent mourir, à reculons !

Or lui, soldat perdu à la naissance des eaux,
Mené par la gloriole dans ce Cambodge obscur,
Lui dont les supérieurs et les gradés d’en haut
N’auraient pas repêché la carcasse impure ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Lui qui trouait le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte la lecture de quelques bons poètes,
Des lichens de soleil et des mots dans l’azur ;

Qui venait tatoué de lunules léopard,
M’offrit une tête, cou coupé, à la tombée du soir
Que ses sbires firent trancher d’une lame de kandjar.
Ô ces pieux plein de sang tels d’ardents encensoirs !

Lui qui parlait sentant geindre à cinquante lieues
Le cris des insoumis et la mousson épaisse,
Lecteur éternel des auteurs des temps vieux,
Il regrette le passé il veut que cela cesse.

Mais, j’ai trop hésité ! Les Aubes sont navrantes.
Monte vers la lune un chant de sacrifice :
L’âcre mission m’a gonflé d’une vigueur enivrante.
Il faut que j’en finisse, et que ma lame jaillisse !

J’ai entendu l’appel, comme une musique de fin
« This is the end, my friend » auraient chanté The Doors
– Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Ô colonel Kurtz ? The horror ! The horror !

Je ne puis plus, lassé de tes honneurs, Ô guerre !
Détruire leur village aux planteurs de cotons,
Ni jouir de l’orgueil des héros militaires,
Ni voguer sous les feux horribles des pontons.

 

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