Les vacances. Ce moment tant attendu par le plus grand nombre : par les petits mais aussi par les grands. Cet instant où il est enfin possible de lâcher prise, de rester cloisonné à la maison pour enfin profiter du temps libre ou au contraire de découvrir le monde et ses secrets. Partir de manière organisée ou de manière spontanée. Errer seul sous la canicule, sentir la bonne odeur de la mer et ressentir le souffle chaud du sable fin ou alors divaguer en groupe en quête de folle soirée.
Sauf que toutes les vacances ne sont pas forcément un moment de bonheur mais restent surtout la possibilité pour certains de faire le point, de devenir soi ou même de partir à la recherche du Graal : à l’image de Masao qui va partir à la recherche de sa mère avec l’aide d’un yakusa blasé et un peu bas de plafond, le dénommé Kikujiro. Dans l’oeuvre de Takeshi Kitano, L’Eté de Kikujiro, les vacances ne sont pas montrées sous le signe de la débauche extrême ni même de la fête à tout-va mais, de manière amusée, sincère et solaire, elles seront synonyme de rencontre et d’imagination, un espace restreint mais libre de toute frontière qui voit se mélanger l’enfance et le monde adulte pour n’en faire qu’un : celui de la découverte. Un univers foisonnant dévoilé par la mise en scène toujours aussi délicate de Kitano : tant par son naturalisme poétique habituel que par ses transgressions métaphoriques et théâtrales.
Alors que Masao voit tous ses amis partir, il reste seul sur un terrain de foot, il est alors temps de prendre son sac, quelques affaires rudimentaires et de partir à l’aventure. Les vacances peuvent alors commencer. Comme deux baroudeurs un peu bringuebalants, lunettes au nez, dans la cambrousse bucolique du Japon, Masao et Kikujiro vont former un duo festivalier assez particulier : entre un enfant mélancolique et un homme taiseux et enfantin qui se trouve des qualités impromptues de père, le long métrage se modulera sous la forme d’un road movie aussi fébrile que poétique. Les vacances, c’est le temps de l’inattendu, de l’inexplicable, de la roublardise ultime où un rien servira d’amusement laconique.
Nos deux joyeux lurons sont des MacGyver des jeux en plein air. A chaque coin de rue, à chaque nouveau patelin, à chaque jeu de regard, à chaque bêtise, une nouvelle rencontre voit le jour et nous ouvre les portes d’un monde que l’on ne soupçonne pas. Que les images soient réelles, fantasmées ou même imaginées, c’est le lieu de l’inconnu qui nous sort du quotidien, cet endroit presque féérique où la liberté est le maître mot de notre pensée, où l’on passe de l’ivresse de l’amusement (1,2,3 soleil) à la chaleur tiède de la solitude salvatrice. Le seul moment où un yakuza peut retourner en enfance et un enfant sentir en lui le goût grisant de l’aventure qu’est le monde adulte. Chacun d’eux met de côté les remous de la vie et n’ont qu’une seule idée en tête : faire que cet épilogue estival ne s’arrête jamais.
Dans L’Eté de Kikujiro, les vacances c’est le bonheur de la première et de l’unique rencontre : celle qui nous fait chavirer d’allégresse et de drôlerie (les motards) ou celle qui nous ramène par sa violence à ce que l’on est ou qui nous laisse pantois devant une telle joie ou une tristesse mesurée. De ce fait, le style de Takeshi Kitano est parfait pour nous faire ressentir cette bulle de vie intemporelle mais à l’horizon prédéfini, faite d’improvisation et de chamaillerie grâce aux faibles moyens du bord. Sa douceur, sa poésie, son rythme apaisant et son sens du silence nous font comprendre l’émerveillement doux amer de ce voyage chez nos deux protagonistes et épouse avec délicatesse et modestie ce moment de création, de communion et de souvenirs que sont les vacances.